Avancer les élections présidentielles pour le 17 décembre alors qu’elles devaient avoir lieu en février est sans doute un pari risqué du premier ministre conservateur grec Antonis Samaras. En effet, pour pouvoir faire élire son candidat, Stavros Dimas (un ancien commissaire européen), il lui faut 180 voix au parlement. Or, la coalition au pouvoir (constituée de Nouvelle Démocratie et le PASOK) ne compte qu’avec une majorité de 155 députés sur 300 que compte le parlement grec. Si au bout de trois tentatives, le parlement se révèle incapable d’élire un président le gouvernement devra appeler à des élections parlementaires dans un laps de moins d’un mois. La date limite est le 29 décembre prochain.
Ce qui affole les marchés et l’UE c’est qu’en cas d’élections parlementaires anticipées, les sondages indiquent que c’est la formation d’Alexis Tsipras qui arriverait en tête.
Pourquoi ce « pari risqué » de Samaras ?
Beaucoup s’interrogent sur les motivations de Samaras pour avancer de deux mois l’élection du nouveau président au parlement. On pourrait déjà signaler la détérioration de la situation politique du gouvernement depuis plusieurs semaines, alimentée par une situation sociale et économique catastrophique pour les classes populaires. Samaras comptait sur l’annonce de la fin de la tutelle de la Troïka pour essayer de gagner un peu de crédit politique face à son principal opposant, Syriza. Or, les leaders de l’UE et du FMI ont estimé que ce n’était pas encore le moment et ont prolongé d’au moins deux mois leur tutelle sur la Grèce.
Il s’agissait d’un revers important pour Nouvelle Démocratie (ND). L’écart entre elle et Syriza risquait de s’élargir davantage. En ce sens, puisque de toutes manières il faudra aller à des élections anticipées, il vaut mieux accélérer le processus avant que Syriza ne prenne trop d’avance.
Mais ce « pari risqué » de Samaras pourrait être aussi un moyen de mettre la pression sur la Troïka. En effet, pour débourser la dernière tranche du paquet d’aide financière à la Grèce, on exige au gouvernement grec d’appliquer une nouvelle vague de mesures d’austérité. Ce à quoi Samaras s’oppose, au moins jusqu’à trouver une certaine stabilité politique pour sa coalition. Brandir la menace de l’arrivée de Syriza au pouvoir peut constituer un atout pour que la Troïka cède et fasse certaines concessions à Samaras. Il pourrait ensuite se présenter comme un homme politique qui garde son « indépendance » vis-à-vis des créanciers du pays.
Des élections anticipées sont-elles inévitables ?
Une question se pose : le candidat à la présidentielle de ND a-t-il des chances d’être élu ? En effet, malgré un nombre de députés insuffisant pour faire élire son candidat, la coalition au pouvoir peut encore espérer récolter le nombre suffisant de voix d’ici le 29 décembre.
Actuellement la coalition au pouvoir compte 155 députés (ND et PASOK) et pour élire son candidat elle a besoin de 180 voix. C’est-à-dire qu’il lui manque 25 voix. Pour faire élire son candidat, Samaras compte sur la pression interne et externe sur un groupe de 24 parlementaires « indépendants » (qui ont rompu soit avec ND soit avec le PASOK). Il pense également pouvoir faire pression sur des députés des « Grecs Indépendants » (ANEL – un parti souverainiste de droite qui a rompu il y a quelques années avec ND en s’opposant à la Troïka).
Mais aussi il exercera une pression sur les députés de DIMAR (la Gauche Démocratique), ancien partenaire de coalition qui est parti au moment de la fermeture abrupte de la TV publique en juin 2013. En effet, exemple supplémentaire d’une caste de politiciens professionnels sans scrupules, beaucoup de députés de DIMAR pourraient être tentés de voter pour le candidat de Samaras car en cas d’élections parlementaires anticipées ils risqueraient de perdre leurs postes. Cependant, la presse affirme que DIMAR serait déjà en négociations avec Syriza.
La Troïka veut imposer son choix !
Politiquement, l’élection du candidat de Samaras signifierait une victoire très importante pour les représentants de « la Troïka intérieure ». Ce serait en effet un moyen d’éviter les élections générales anticipées et une possibilité de tenter de garder le pouvoir au moins jusqu’à 2016 et pouvoir continuer à appliquer les mesures d’austérité exigées par la Troïka.
Les créanciers de la Grèce sont conscients de cela et n’ont pas hésité à se prononcer clairement sur leur choix. Ainsi, Jean-Claude Junker, cet ami des multinationales qui entendent ne pas payer d’impôts, exprimait sa préférence pour « des visages connus » pour la présidence de la Grèce (en faisant référence au candidat de la coalition au pouvoir qui était commissaire européen). Il a également mis en garde les électeurs contre un « mauvais choix ». Le « socialiste » Pierre Moscovici, dans sa nouvelle fonction de commissaire des affaires économiques de l’UE, a lui aussi apporté son soutien à Samaras.
Samaras semble d’ailleurs n’avoir comme axe de campagne que la menace du « chaos » que représenterait l’arrivée de Syriza au pouvoir. Et ce discours est véhiculé aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Une bonne partie de la presse capitaliste se fait écho de ce discours. Par exemple, L’Economist donnait une définition fantaisiste de Syriza et de Tsipras affirmant qu’il s’agit d’une organisation « d’extrême gauche » dirigée par un « populiste radical ». Mais le plus caricatural a été le gérant de Capital Group, John Sporter, qui déclarait que l’arrivée de Tsipras au pouvoir « c’est pire que le communisme »...
Quoi qu’il en soit, ces irruptions de représentants du grand capital dans les affaires internes de la Grèce rappellent l’expulsion par la Troïka du poste de premier ministre de Yorgos Papandréou en 2012 après l’annonce d’un référendum sur les mesures d’austérité.
Syriza, un danger pour le capitalisme ?
Cette attitude alarmiste de la part de Samaras et de ses partenaires internationaux est considérée comme démesurée et est critiquée par d’autres secteurs du grand capital. Ainsi, dans un article du Wall Street Journal on pouvait lire une critique affirmant que « Samaras veut effrayer les électeurs plutôt que de les convaincre ».
Concernant la « dangerosité » de Syriza, le Financial Times lui-même cherchait à la nuancer dans un article du 10 décembre : « la panique récente des marchés est en contradiction avec le fait que Tsipras a modéré sa rhétorique depuis que Syriza est arrivée en tête des élections européennes de mai dernier (...) Il exprime une dévotion pour l’euro et parallèlement son équipe économique organise régulièrement des conférences internationales dans un effort de rassurer les capitaux qu’un gouvernement de gauche serait capable de gérer le problème de la dette et ne s’opposerait pas à l’investissement étranger (...) Des responsables de Syriza ont également des contacts réguliers avec certains oligarques grecs ».
Au-delà du fait que ces journaux expriment les intérêts de certains secteurs du capital qui verraient d’un bon œil un peu de déstabilisation de l’UE, ils avancent des éléments objectifs indéniables. Effectivement, depuis les résultats des élections de mai Syriza a accéléré la modération de son discours adoptant de plus en plus une posture de « parti responsable », capable de gérer de façon « réaliste » l’Etat.
Une remise en cause même très partielle et lointaine du capitalisme est inexistante dans le discours des dirigeants de Syriza. Certes, leurs promesses limitées d’annulation de certaines dettes privées des particuliers, d’embauche de fonctionnaires, d’augmentation du salaire minimum, de renégociation de la dette ont été suffisantes pour épouvanter les marchés. Cependant, il est très clair que ce programme de mesures partielles n’est nullement une menace pour le capitalisme grec ou européen.
Il faudrait ajouter à tout cela que dans le cas d’élections parlementaires anticipées, il n’est pas sûr que Syriza obtienne la majorité absolue, même avec le « bonus » anti-démocratique de 50 parlementaires supplémentaires pour la formation arrivée en tête. Cela obligerait Tsipras à trouver des partenaires. Beaucoup parlent d’une possible collaboration avec des secteurs du PASOK ou d’une nouvelle formation centriste-libérale issue du PASOK, To Potami. De telles alliances ne feraient que tirer davantage Syriza vers une voie de modération.
Notre alternative : la mobilisation indépendante de la classe ouvrière et des masses pour imposer leurs revendications
Il y a beaucoup de spéculations autour d’un éventuel gouvernement de Syriza. Certains parlent d’un désastre total, d’une expulsion de la Grèce de la zone euro ; d’autres pensent que Tsipras saura faire preuve de sagesse et pourra conduire le pays tout en négociant avec les créanciers de la Grèce.
On ne peut pas faire de pronostiques sur la voie concrète qu’un tel gouvernement emprunterait mais ce qui est sûr c’est que les responsables de Syriza ne semblent aucunement disposés à avancer sur la propriété capitaliste et sur les intérêts de l’ensemble de la bourgeoisie nationale et internationale dans le pays pour satisfaire les besoins des exploités et opprimés. Ils semblent encore moins pressés de mobiliser les masses dans les usines, les lieux de travail, dans les lieux d’étude pour imposer leurs revendications.
En ce sens, il est plus que probable qu’un gouvernement Syriza fasse beaucoup de déçus. Et cela pourrait avoir des conséquences néfastes pour l’ensemble des opprimés et exploités. En effet, la faillite d’une organisation réformiste pourrait être profitée par des forces révolutionnaires mais à condition que celles-ci soient très claires dès le début dans leurs prises de position vis-à-vis des réformistes et surtout de leur politique concrète et préparation préalable. Cependant, même si on ne peut pas exclure un rebond de la lutte de classes motivé par les déceptions d’un gouvernement Syriza, aujourd’hui celui qui semble le plus à même de capitaliser les déçus du réformisme c’est le parti néo-nazi Aube Dorée.
C’est pour cela que notre alternative n’est pas le gouvernement de telle ou telle organisation réformiste pour « adoucir » les effets des attaques des capitalistes mais la mobilisation indépendante des travailleurs et travailleuses, alliés à la jeunesse précarisée et aux autres secteurs opprimés par le système dans la perspective de la formation d’un gouvernement de travailleurs. C’est la seule alternative réaliste pour faire payer la crise à la bourgeoisie et satisfaire les besoins sociaux et économiques des classes populaires.
16/12/2014.