Marseille est-elle abandonnée, livrée, trahie ? Après être venu faire un petit tour dans cette ville, les leaders nonistes de la gauche appuieront-il la stratégie de Thibault ? Ce qui s’est passé à Marseille cette semaine a un air de déjà vu et l’Humanité de hier avec son trombinoscope de 36 "personnalités" appelant à la résistance sur EDF laissait craindre le pire. Demain c’est sûr disait cette "une",on se battra sur ce qu’on a été incapables de défendre aujourd’hui. C’est sûr puisque même la direction du PS est d’accord, et le fond de l’affaire n’est-il pas que l’essentiel est de rassembler... pour aller demain au gouvernement, tous ensemble...
Souvenez-vous du combat des retraites, Thibault avait annoncé au congrès que le combat était perdu avant même de commencer, que l’on ne pourrait pas résister sur la diffèrence entre le public et le privé, puis il est allé se faire introniser au congrès du PS comme pour affirmer que la seule solution était là ... Dans le retour d’une union de la gauche dont chacun savait que les projets en matière de retraites étaient pires que ceux de la droite, comme en témoignait le plan de Fabius. Une union de la gauche qui, entre les dispositions de Joxe et les mesures prises par Gayssot, avait intié la privatisation portuaire, comme elle avait intié à Lisbonne la privatisation d’EDF.
De même aujourd’hui Thibaut a de fait accordé licence à la privatisation de la SNCM, puisque il a isolé ce cas de celui de l’EDF. Qui peut croire qu’un abandon soit le prélude au renforcement de la lutte et qu’il faille diviser pour rassembler. Le fait est qu’alors même que Marseille était immobilisée par la grêve, non seulement sur le port mais les tramways, que le gouvernement, la mairie de droite étaient mis en difficulté, les directions syndicales et politiques l’abandonnent, la traitent comme un conflit local que l’on opposerait à celui d’intérêt national de l’EDF. La logique voudrait après un tel exploit que l’on abandonne à son tour le combat pour EDF au nom de la logique européenne, chère au coeur de Thibault et Le Digou.
Face à une telle situation où la direction de la CGT se conduit seulement comme le vrp du PS en vue des futures échéances électorales, affirme son fil à la patte avec la logique de bradage aux multinationales de l’union européenne, en rupture avec sa base, comme lors du référendum constitutionnel, elle affaiblit ses militants combatifs. Le constater n’est pas attaquer la CGT, mais au contraire manifester que ce syndicat est le principal point d’appui des résistances et, que nous soyons syndiqués ou non à la CGT, que ses choix sont fondamentaux pour ce qu’il adviendra à l’avenir.
L’alternative n’était pas entre la proclamation non suivie d’effet d’une grêve générale et l’abandon de la SNCM, mais bien dans la montée du rassemblement autour de la défense du service public. Comme l’a noté dans une lettre ouverte à l’Humanité, Gaston Pellet : "on imagine quelle force aurait pu avoir le conflit de la SNCM, s’il avait été raccordé au cas d’EDF. Une extraordinaire convergence de dates faisait que le 12 octobre, date notée sur nos calepins depuis l’été pour la réunion du conseil d’administration, donnait l’opportunité de déclencher une action de défense des Services publics, préventive pour ce qui concerne EDF, de soutien massif pour la SNCM. C’est, semble-t-il, quelque chose de ce genre qu’était venu proposer J.P. Israël, le dirigeant des marins CGT marseillais à Montreuil."
Car, là encore, la ressemblance est forte avec le conflit des retraites, le gouvernement a décidé de passer en force jusqu’à la menace du dépôt de bilan et si les travailleurs ont voté la reprise du travail la rage au coeur, c’est parce qu’ils ont pensé qu’ils meneraient mieux le combat sur le pont de leur bateau plutôt que devant un tribunal de commerce... Tout n’est pas fini, mais c’est un sacré coup... Et il faut être aussi aguerri que le sont les travailleurs du port pour savoir que tout continue... Qu’ils vont devoir encore mieux rassembler, développer l’unité syndicale, une guerre de position qu’ils connaissent bien et dans laquelle ils ont besoin de nous.
Le contraire du baroud d’honneur doublé de slogans ultra-gauche qui permet d’éviter le rassemblement, la montée des luttes. Le cas extrême étant, on s’en souvient l’attitude de Blondel, le dirigeant de FO, qui lors du meeting de Marseille pendant les retraites avait relayé le slogan de "grêve générale" de l’extrême gauche à la tribune alors même que ses troupes reprenaient le travail.
Quand trouverons-nous des dirigeants politiques à la hauteur des combattants, que sont devenus les communistes ? La contre-révolution néo-libérale que nous subissons depuis le début des années quatre-vingt a perdu sa crédibilité, et si le gouvernement passe en force, si aujourd’hui dans un pays voisin, ils en sont à l’union du SPD et de la droite pour tenter d’endiguer la montée des mécontentement, c’est le signe de la perte d’influence de ceux qui entérinent cette politique. La seule chose qui lui permet de perdurer est le sentiment que certes c’est insupportable mais que l’on ne peut pas faire autrement, chaque échec, chaque abandon est une pédagogie du renoncement.
Et, en cette matière, l’attitude du PCF de ces dix dernières années a pesé lourdement parce que tout à été fait par la direction de ce parti à la fois pour expliquer qu’il n’y avait pas d’autre alternative que de quémander un strapontin au social-libéralisme et pour démolir un tissu militant qui aurait pu résister, aider à développer l’initiative populaire. Les choses bougent mais elles doivent se clarifier et on peut craindre que le prochain congrès du PCF reste pris dans la stratégie de la chauve souris, mi-rat, mi-oiseau : j’appuie Thibault et je met en avant Eyrault, je suis un rat qui attend de participer à un gouvernement de gauche. Pendant la lutte je viens à un meeting devant les grilles du port où Besancenot et Laguiller appellent à la grêve générale et je critique l’action du gouvernement de gauche auquel j’ai participé, je suis oiseau regardez mes ailes.
Si les directions syndicales et politiques se conduisent ainsi, étonnez-vous si demain Marseille, qui a voté NON à 60% au référendum constitutionnel, et à un maire de droite élu avec 15 % des inscrits, retrouve les chemins de l’abstention. Etonnez-vous si sa jeunesse qui s’était pourtant massivement mobilisé pour les retraites regarde avec mépris la politique, vous portez une lourde responsabilité.
Les marins, après ceux du port, sont rentrés au travail, la rage au ventre, mais samedi Marseille se mobilise sur le vieux port, il faut y être. Le seul combat que l’on est sûr de perdre c’est celui que l’on ne mène pas. C’est comme le référendum, les mêmes manifestaient la même adhésion aux projets des multinationales, le camp des nonistes tel qu’il s’exprimait officiellement sur nos écrans de télé était groupusculaire, coupé des réalités. Il proclamait cet incompréhensible slogan "Dire NON à la Constitution, pour dire OUI à l’Europe", la direction de la CGT refusait de s’exprimer en violation avec sa base, et pourtant le traité n’est pas passé. La conscience que nous sommes devant une attaque d’envergure face au service public et contre les salariés, que démolir les services publics, les statuts de ses salariés, c’est détruire la base de la résistance de tous les salariés, leur faire accepter toutes les mesures de précarisation, de pression salariale possible et imaginable est forte. C’est là -dessus que s’est gonflé le vote NON et qu’il a balayé la constitution. Aujourd’hui venir encore et toujours défendre la SNCM, c’est préparer la bataille contre la privatisation de l’EDF, c’est refuser les délocalisations.
Il est clair qu’un coup a été porté au combat des Marseillais, on aurait pu et du faire autrement. Ce que traduit le slogan de grêve générale est cette aspiration à voir converger les luttes, le refus d’être abattu en ordre dispersé, mais c’est un slogan creux, un baroud d’honneur parfois suspect quand on ne se donne pas les moyens de faire monter le mouvement. Le rendez-vous marseillais samedi sur le vieux port ne doit pas être raté, c’est ce sur quoi comptent Villepin et Gaudin. Mais si nous sommes nombreux et combatifs, ils sauront que, comme lors du vote NON à la Constitution, nous faisons le lien sur la manière dont ils prétendent chasser les Marseillais de leur centre ville, en finir avec le service public, attaquer l’éducation nationale, en finir avec Netslé et demain privatiser EDF.
Samedi, sur le vieux port c’est ce Marseille qui sait dire NON qui sera présent. Il y a des siècles, trois cent jeunes gens sont partis vers Paris à pied en traînant deux lourds canons. Ils chantaient un chant inconnu mais qui emportaient les coeurs au passage et chacun le répétait au point d’en faire l’hymne national. Ils sont arrivés à Paris pour réclamer l’arrestation du roi et, comme ils ne se contentaient pas de parole, ils ont pris d’assaut les tuileries. Sitôt le roi arrêté,ils se sont engagés dans l’armée révolutionnaire qui a battu à Valmy tous les rois d’Europe, les Marseillais en guenille, mal chaussés, mal nourris ont affirmé que "le bonheur est une idée neuve" et que cela passait par la Révolution. C’est une ancienne et belle histoire, mais il y a à Marseille ce ferment de rébellion qui couve sous la cendre, cette volonté indomptable d’un peuple qui ne se résigne pas, venez de partout nous rejoindre samedi sur le vieux port à quinze heures.
Danielle Bleitrach, sociologue.
Manifestation 15 octobre à 15 H 00 au Vieux Port
Danielle Bleitrach vient de publier avec Maxime Vivas et Viktor Dedaj Les États-Unis DE MAL EMPIRE Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud, Aden.
Quand on rêve tout seul ce n’ est qu’ un rêve.
Quand nous rêvons ENSEMBLE, c’ est le commencement de la RÉALITÉ.
Il y a beaucoup de leçons à tirer de la bataille marseillaise ! par Danielle Bleitrach.
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Censure et Empire, Dieudonné et l’usage de l’"antisémitisme", par Diana Johnstone et réponse de Danielle Bleitrach.