RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Des dizaines de milliers d’enseignants limogés, en particulier, des syndicalistes.

Turquie : la chasse aux enseignants

Les 6 et 7 mars derniers, Egitim Sen, syndicat de l’enseignement en Turquie, organisait un symposium international sur les questions de l’Éducation auquel étaient conviés différents syndicats, Européens en particulier. J’y étais au titre du SNESUP-FSU. Notre participation à ce symposium était très importante, car c’était avant tout un acte de solidarité.

Si la situation en Turquie a souvent été compliquée au cours de son histoire récente du fait d’une succession de pouvoirs autocratiques, l’installation au pouvoir de Regip Tayyip Erdogan a marqué un fléchissement fort dans les atteintes aux libertés publiques et individuelles. Le secteur de l’enseignement, en particulier, a été très tôt en butte à des attaques répétées contre la laïcité. Lors des élections législatives de juin 2015, le parti d’Edogan, l’AKP, perd la majorité absolue du fait de l’entrée au parlement du HDP, parti démocrate et progressiste pro-kurde. S’en est suivi une dissolution de l’Assemblée Nationale et une répression féroce et particulièrement meurtrière dans les territoires kurdes en Turquie avec l’arrestation de nombreux élus du HDP au parlement ou dans les municipalités qu’ils détenaient. Malgré cela, le HDP réussit quand même à dépasser la barre des 10 % qui lui permet de maintenir son groupe à l’Assemblée Nationale.

En 2016, prétextant un coup d’État dont les origines restent encore très floues, Erdogan en profite pour instaurer l’état d’urgence sur tout le territoire et renforce ainsi considérablement sa politique répressive. Elle touche avec une ampleur démultipliée tous les milieux progressistes et se par une occupation militaire des territoires kurdes avec la destruction de nombreux villages ou quartiers, des familles entières décimées, des militants emprisonnés... Face à cette situation, les forces démocratiques tentent de réagir. C’est à cette occasion qu’est né, à l’initiative de nombreux universitaires turcs, un appel « Enseignants pour la paix », dont le SNESUP s’est fait l’écho et qu’il a soutenu.

La réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre. Outre l’arrestation de nombreux signataires, le pouvoir a directement limogé des dizaines de milliers d’enseignants (on estime actuellement leur nombre à 14 000) et, en particulier, des syndicalistes. Les enseignants concernés l’ont simplement appris par un courrier électronique avec effet du jour au lendemain. Mais cela signifie aussi pour eux l’impossibilité totale de trouver un autre emploi. Ils sont véritablement mis au ban de la société, privés la plupart du temps de leurs liens sociaux à cause du danger que cela représente d’être en relation avec eux, les collègues limogés font l’objet d’une véritable criminalisation. Heureusement, et notamment grâce à Egitim Sen, un réseau de solidarité s’est mis en place qui leur permet de survivre et, pour nombre d’entre eux, de continuer à lutter.

Certains témoignages ont fait part de la grande difficulté que représente le fait d’enseigner dans une région où ce sont les tribunaux militaires qui régissent la vie, sous les bombardements quotidiens, où les gens se font tuer, les femmes se font violer...

Dans le même temps, le pouvoir exerce une forte pression pour obliger les nouveaux recrutés à adhérer au syndicat de l’AKP, ceci devenant une condition indispensable à l’embauche. Le recrutement des fonctionnaires donne lieu à des enquêtes politiques et seuls ceux qui font allégeance au pouvoir peuvent être embauchés. De manière générale, les grèves sont interdites la plupart du temps et les droits syndicaux bafoués. Le résultat est une forte diminution du nombre de syndiqués à KESK (Fédération des syndicats de la fonction publique) et à Egitim Sen en particulier. Et si, à gauche, les milieux socialistes (autour du CHP notamment et surtout implantés à l’ouest du pays) n’étaient pas vraiment touchés par la répression qui visait les populations kurdes, ils sont obligés de faire le constat que maintenant, tout le monde est touché.

En ce qui concerne plus particulièrement le domaine de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, les choses se sont considérablement dégradées. Outre le limogeage et l’emprisonnement des signataires de l’appel pour les libertés, le secteur fait l’objet d’une véritable prise en main par le pouvoir politique. Autoritarisme, islamisation, inégalité des sexes, administration arbitraire... sont monnaie courante. Les recteurs, qui étaient élus jusqu’à présent, sont nommés maintenant par le gouvernement.

Mais, au-delà, c’est un véritable changement structurel qui est en train de s’opérer. Entre 2002 et 2018, le nombre d’universités sur le pays est passé de 98 à 206. Mais, la plupart du temps, ce sont des personnels sans véritable qualification qui sont embauchés. Beaucoup d’universités sont en fait des centres d’arts appliqués, pour le développement de la céramique par exemple. Le statut des enseignants a lui aussi évolué. Ils sont devenus précaires sur des contrats de type CDI sur 3 ans. Ils font aussi l’objet d’un véritable flicage (Ordre de participer à certains colloques, obligation de mettre les cours en ligne, enquêtes disciplinaires, fouille de ordinateurs, encouragement des dénonciations anonymes, surveillance par caméra...). Le recrutement se fait de plus en plus souvent sur la base du népotisme.

L’évaluation des activités de recherche étant essentiellement basée sur de critères quantitatifs, on assiste à un véritable pillage en réseau des travaux et le plagiat est devenu une pratique courante. Les colloques répondent à des problématiques très floues au contour scientifique très approximatif.

Xavier LAMBERT

URL de cet article 34693
  

Même Thème
Déposséder les possédants - La grève générale aux « temps héroïques » du syndicalisme révolutionnaire (1895-1906)
Miguel CHUECA
Textes de Édouard Berth, Henri Girard, Jean Jaurès, Hubert Lagardelle, Paul Louis, Fernand Pelloutier, Émile Pouget, Georges Sorel et Henri Van Kol Réunis & présentés par Miguel Chueca La grève générale exprime, d’une manière infiniment claire, que le temps des révolutions de politiciens est fini. Elle ne sait rien des droits de l’homme, de la justice absolue, des constitutions politiques, des parlements ; elle nie le gouvernement de la bourgeoisie capitaliste. Les partisans de la grève générale (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

La mort de la démocratie ne sera probablement pas le résultat d’une embuscade. Ce sera une lente extinction par apathie, indifférence et privation.

Robert M. Hutchins

La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.