RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Deux dirigeants européens martèlent que l’UE doit « apprendre à parler le langage de la puissance »

Ursula Von der Leyen et Josep Borrell, qui vont prendre les plus hautes fonctions à Bruxelles dans quelques jours, annoncent des intentions martiales, voire impériales.

Ursula Von der Leyen prendra ses fonctions à la tête de la Commission européenne le 1er décembre – en principe. L’ancienne ministre allemande de la Défense n’a pas attendu pour dévoiler son état d’esprit martial.

Dans un discours prononcé à Berlin le 8 novembre, précisément à l’occasion du trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, elle a tenu de mâles paroles, passées hélas trop inaperçues. Pour la future plus haute dirigeante de l’UE, « l’Europe doit apprendre à parler le langage de la puissance ». Et pour que tout soit clair, elle a martelé : « aujourd’hui, le soft power ne suffit plus si nous voulons nous affirmer dans le monde comme Européens ».

Il est vrai qu’elle avait été précédée dans ce registre par le futur Haut représentant pour la politique extérieure et la sécurité de l’UE. Lors de son audition par les eurodéputés, le 7 octobre dernier, Josep Borrell avait déjà préparé le terrain par un tir d’artillerie. A 72 ans, l’actuel chef de la diplomatie espagnole, a une longue carrière derrière lui, commencée au sein du Parti socialiste espagnol (PSOE) et jalonnée de nombreux portefeuilles ministériels (ainsi que de quelques scandales). Il présida également l’europarlement de 2004 à 2007.

Il a donc suscité l’enthousiasme de ses anciens collègues – qui l’ont salué en conclusion par une ovation debout – en exposant ses intentions, à commencer par un discours très dur à l’égard de Moscou. Pas question de lever les sanctions, a-t-il notamment martelé. Une profession de foi peu surprenante pour un homme qui avait proclamé, il y a quelques mois, que « la Russie, notre vieil ennemi, est redevenue une menace », ce qui avait provoqué un incident diplomatique avec Moscou.

Pour l’UE, il ne s’agit certes pas d’un virage à 180°. Cependant, l’actuelle titulaire du poste, l’Italienne Federica Mogherini, a régulièrement été soupçonnée de trop d’indulgence vis-à-vis du Kremlin, notamment par les Etats membres de l’Est, désormais ravis de l’inflexion revendiquée par son successeur. Ce dernier a d’ailleurs affirmé son intention (comme bien d’autres avant lui), de modifier les prises de décision en matière de politique extérieure : celles-ci devraient, selon lui, ne plus nécessiter l’unanimité. Une telle évolution est, en l’état, improbable (elle suppose l’accord de toutes les capitales), mais elle en dit long sur les ambitions des dirigeants de l’UE.

Et pas seulement vis-à-vis de la Russie. M. Borrell a en effet martelé que l’Union devait désormais « apprendre à utiliser le langage de la force » afin de s’affirmer comme une puissance dans le monde. Pour cela, il faudrait, a-t-il poursuivi, renforcer les capacités militaires de celle-ci, notamment en sortant du placard les « groupements tactiques ». Ces bataillons multinationaux avaient été créées en 2004 mais n’ont jamais été utilisés. Certes, cette perspective n’est pas réaliste à court terme, pour des raisons de divergences d’intérêts et de stratégies entre Etats membres, mais son énoncé donne le ton. D’autant que M. Borrell n’a pas manqué de signaler qu’on pouvait bien financer tout cela sur le Fonds baptisé « facilité européenne de paix » (bonjour Orwell), soit 10,5 milliards d’euros.

Pour M. Borrell, la crédibilité de l’UE se joue d’abord dans sa capacité à aider l’Ukraine contre l’« expansionnisme russe » ; ainsi que dans les Balkans qualifiés de « priorité pour notre politique extérieure ». Dès lors, le futur chef de la diplomatie européenne a annoncé qu’il comptait effectuer son premier déplacement officiel au Kosovo. Une annonce d’autant plus remarquable que l’Espagne est l’un de seuls pays de l’UE à n’avoir pas reconnu l’indépendance de cette province qui avait fait sécession de la Serbie grâce aux bombardements que l’OTAN – dont les pays européens – mena en 1999. Madrid est en effet réticent aux proclamations d’indépendance, car confronté aux revendications séparatistes catalanes. Mais la tentation de « l’Europe puissance » prime tout... En tout cas, la priorité affichée par le futur Haut Représentant rappelle cette sentence formulée il y a vingt ans par Bernard Kouchner selon laquelle « l’Europe commence à Pristina » (la capitale du Kosovo), manière de signifier que la véritable intégration européenne ne peut se fonder que sur une guerre.

Très en verve, le dirigeant espagnol a également évoqué l’immigration : « la poussée de la jeunesse africaine représente une chance pour l’Europe », a-t-il affirmé. Comprendre : pour les patrons européens. Les mauvais esprits rapprocheront cet appétit pour la mondialisation d’une phrase lâchée il y a un an devant des étudiants. Il se lamentait alors des difficultés d’unir l’Europe, là où les Etats-Unis s’étaient constitués facilement – « il leur a suffi de tuer quatre indiens », avait-il lâché en rigolant... Il s’était excusé par la suite, et fut vite pardonné puisque cette fascinante analyse historique n’émanait pas d’un dirigeant « populiste » ou d’extrême droite.

Précisément, M. Borrell a tenu à déclarer sa haine au « nationalisme », proclamant qu’il détestait les frontières. Cette ultime affirmation n’a rien d’anodin. Car une entité qui ne se reconnaît pas de frontière, cela se nomme précisément : un empire.

Cela méritait bien une ovation.

Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel Ruptures

Editorial paru dans l’édition du 28/10/19 et actualisé

»» https://ruptures-presse.fr/actu/leyen-borrell-langage-puissance-empire/
URL de cet article 35435
  

Même Thème
Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme
Salim LAMRANI
En juin 2003, sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre espagnol, José Marà­a Aznar, l’Union européenne décide d’imposer des sanctions politiques et diplomatiques à Cuba. Cette décision se justifie, officiellement, en raison de la « situation des droits de l’homme » et suite à l’arrestation de 75 personnes considérées comme des « agents au service d’une puissance étrangère » par la justice cubaine et comme des « dissidents » par Bruxelles. Le seul pays du continent américain condamné par l’Union européenne (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Ceux qui croient connaître le monde à travers les médias connaissent en réalité un monde qui n’existe pas. D’où la difficulté de communiquer avec eux.

Viktor Dedaj

Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.