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Bruxelles : Le procès de Adam G. et la responsabilité collective

Qui resterait insensible aux cris de désespoir et de colère des parents de Joe Van Holsbeeck ? Qui oserait leur demander d’être « plus rationnels », « plus raisonnables » et « moins émotionnels » ?
Personne. Et c’est bien ainsi.

Mais dans un monde où chaque meurtre, et en particulier celui de Joe, se transforme en événement médiatique et, de ce fait même, en une affaire publique, entraînant de nouvelles lois, l’installation de nouvelles caméras dans les métros, modelant les pensées et l’opinion publique, tous les acteurs sociaux portent également une responsabilité collective.

Il faut entendre le message des parents de Joe et les soutenir dans leurs critiques à l’égard d’une justice « froide et inaccessible », sur « le manque d’aide aux victimes » ou dans leur plaidoyer pour « une peine qui a un sens pour l’acteur d’un crime et pour la société ».

Mais nous devons aussi nous opposer à l’utilisation de leur chagrin par ceux qui, dans le monde politique ou dans celui des médias, s’emparent de chaque tragédie pour pousser uniquement et toujours à plus de répression et à plus d’enfermement, et qui veulent transformer la politique pénale en populisme pénal.

Ainsi, des propos entendus avant et pendant ce procès sur « l’impunité qui règne dans notre société », sur « la tolérance et le laxisme de la justice vis-à -vis de la délinquance », sur « les mineurs qui devraient être jugés comme des adultes », sur « l’accompagnement psychologique et social qui est bien prévu pour les criminels et pas pour les victimes »… sont tout simplement faux. Il suffit de voir les chiffres de l’explosion carcérale. Le 1er mars 2007, la population carcérale belge était de 10 008 détenus pour 8 559 places. En dix ans, la population carcérale a augmenté de 32,6%. Les peines prononcées n’ont fait que se durcir. Quant à l’accompagnement, il suffit de lire le communiqué de Child Focus de début septembre 2008 sur l’inexistence de traitement pour les pédophiles emprisonnés, par manque de centres adaptés. En ce qui concerne Adam, je peux vous assurer qu’il ne recevra pas non plus l’aide appropriée dans une prison, institution qui n’est pas conçue dans ce but.

Quant au meurtre tragique lui-même, beaucoup a été dit sur la violence des jeunes qui risque de nous envahir, si on ne punit pas de manière exemplaire les deux auteurs présumés. Sur cette question aussi notre responsabilité est en jeu.

Tout le monde se souvient que suite à la transmission des images vidéos et à la déclaration du parquet dans les jours qui ont suivi le meurtre de Joe, une vague d’indignation médiatique et populaire s’est levée contre la communauté d’origine marocaine. La communauté marocaine était priée de « livrer les assassins » qui s’étaient enfuis et devaient se cacher en son sein. Dans les mosquées, des appels étaient lancés à la dénonciation. Pendant toute cette semaine, nombreux ont été les travailleurs d’origine immigrée qui ont été interpellés à leur boulot et qui ont souffert des propos racistes à leur égard. La communauté marocaine devait être présente « de manière visible » à la marche pour Joe, comme une forme d’excuse collective pour sa tolérance vis-à -vis des jeunes délinquants, sans quoi elle donnerait « une image négative » de sa communauté.

Après l’arrestation des deux inculpés, toutes ces accusations se sont avérées fausses, mais le message de criminalisation de toute une communauté était passé. Je suis convaincu qu’on n’était pas loin du pogrom. Une responsabilité collective consiste à dire que le meurtre de Joe n’est pas l’expression « de la culture d’une communauté » (ni marocaine ni gitane), ni le sommet de l’iceberg du crime. Ce meurtre brutal n’est pas typique ou emblématique du comportement des jeunes d’aujourd’hui, contrairement aux décès de jeunes dans les accidents de voiture ou par suicide. Le meurtre de Joe est et reste un événement tragique, mais exceptionnel.

Et comment réagir à cet acte ? C’est avant tout à la justice de faire son travail. Mais la responsabilité collective dans une société dominée par le modèle américain de haine, de revanche, « oeil pour oeil, dent pour dent » est aussi engagée.

A Huyton en Grande Bretagne, le 30 juillet 2005, Anthony Walker, 18 ans, a été tué par deux jeunes racistes de 20 et 17 ans à avec un pic à glace, sans aucune raison, sauf le racisme. Ils ont été condamnés à perpétuité. La maman de Anthony déclarait à propos des deux tueurs : « Je ne sens pas de haine vis-à -vis d’eux. Parce que c’est la haine qui a tué mon fils. Je me demande : qu’est-ce qui ne va pas dans leur vie ? J’aimerais m’asseoir avec eux comme une mère et trouver pourquoi. Je ne ressens pas de haine. Je ne sens que du chagrin. » La famille de Walker a mis sur pied l’Anthony Walker Foundation pour promouvoir l’intégration raciale.

Aux Etats-Unis, quelques mois après l’assassinat de Joe, le 2 octobre 2006, Charles Roberts a exécuté dix jeunes filles, dont certaines n’avaient que six ans, devant le tableau de leur classe, avant de se suicider. Les familles de ces filles appartenaient à la communauté Amish. Ecrasées par le chagrin, elles se sont néanmoins rendues chez la femme et l’enfant de l’assassin et leur ont offert le pardon et de l’aide financière.
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Peut-être est-ce ainsi que la maman d’Anthony Walker et les familles des dix jeunes filles ont trouvé un sens à leur douleur et à l’irréparable ?

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