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Avec l’envie comme complice

En cette période dite de la Trêve des Confiseurs, il serait logique de faire léger, de s’adonner au festif, de satisfaire au futile avant que de replonger.

Les journaux télévisés font cela à merveille : victuailles par-ci, boustifaille par-là, chiffre d’affaires par-ci, part de marché... Déjà la nausée.

J’avais envisagé de vous entretenir d’un sentiment noble, de vous parler d’amitié. En guise d’introduction, j’aurais peut-être choisi La Bruyère. Il écrivit dans les Caractères : « Le Temps, qui fortifie les amitiés, affaiblit l’amour ».

Finalement, j’ai opté pour quelque chose de fort partagé, même « à l’insu de notre plein gré », la complicité.

Dans un système organisé, il y a des exécutants, des serviteurs, des complices et des Ayants droit.

Les exécutants sont, de plus en plus, que des exécutés laissés sur le carreau, que des victimes propitiatoires au nom du Veau d’Or, de la Sainte Accumulation.

Les serviteurs sont les relais : il en est de deux sortes. Les premiers se nomment médias, ce qui veut dire moyens, intermédiaires (on peut noter que « mass » a été délaissé, terme peu flatteur, il faut bien le reconnaître). Les seconds sont les politiques qui n’ont souvent, comme unique bagage, que leur carnet d’adresses et, comme unique compétence, que leur aisance à l’oral. Ils maîtrisent le verbe du premier groupe « pantoufler » : « Il fallait que je pantouflasse derechef ». Ils sont intarissables, ils peuvent vous parler, des heures, de travail comme Diafoirus parlerait de médecine. C’est dire leur talent oratoire.

Les Ayants droit forment la précellence : le Droit est fait pour Eux. Ils usent des relais pour diffuser leur Doxa hégémonique. Ainsi, leur prétendue théorie du ruissellement ne concerne-t-elle que les serviteurs qui recevront leur généreux pourboire.

Les complices n’ont pas de compétences particulières. Ils n’ont pas besoin d’un carnet d’adresses étoffé. Ils n’ont pas besoin d’entregent. Il leur est simplement demandé de suivre les instructions. C’est du niveau d’un enfant de cinq ans. D’ailleurs, à cet âge, sont inculqués les rudiments indispensables.

Un vocabulaire restreint, des envies à satisfaire, une conscience a minima, c’est simple. Et en plus, les complices sont, en apparence, choyés.

Bien sûr, vu le niveau requis, il semble que l’on puisse les leurrer avec aisance. Mais ceci n’a rien de rédhibitoire. Bien au contraire. Dans le contrat, ce n’est pas ce que l’on appelle une clause de style.

Imperturbable, insidieux, le Capitalisme agit contre l’Humanité. En tout lieu, il frappa, a frappé et frappe encore celle-ci. Insatiable, il s’autorise à compromettre l’avenir des générations futures, c’est dire la grandeur de son crime.

Napoléon aurait dit : « Les crimes collectifs n’engagent personne ».

Ce crime est un crime collectif qui a besoin de complices.

Les complices furent, ont été et sont les clients.

Plus on les flatte, plus ils se croient heureux. On choie le client comme on choierait un roi au bonnet d’âne.

Le client ne semble mû que par des instincts dénués de toute humanité.

Parfois, son égoïsme l’aveugle à telle enseigne qu’il en oublie jusqu’à son propre statut de salarié, d’exécutant à l’issue incertaine.

Il veut être servi sans attendre, de jour, comme de nuit. Il peut être odieux avec l’hôtesse qui se doit d’être accorte.

Il ne peut attendre car le besoin irrépressible, qui le tenaille, l’exige.

Il veut ignorer que ses penchants causeront sa perte. Après l’orgie, c’est promis, sera le temps du raisonnable.

Les Ayants droit ne peuvent que se réjouir : après l’avoir tondu une première fois, en lui fourguant le superflu, ils pourront le retondre et retondre encore. Ils lui vendront la diète, puis plus tard les moyens pour soigner les dégâts de toute sorte.

Le client n’a que faire du « comment ? », du « par qui ? ». Il est indifférent à autrui. Il en oublie qu’il sera lui aussi cet autrui.

Seule compte son immédiate satisfaction.

Le Rana Plaza n’est déjà plus qu’un nom exotique, au mieux, rangé aux côtés de Bhopal et autres Courrières. C’était pourtant le révélateur de notre coupable insouciance. Ici et ailleurs, il y a toutes ces souffrances, ces blessures, ces morts anonymes, « sans bruit, dans l’ombre, avec le hasard comme complice » (Hugo). Bien évidemment, s’il faut en passer par là, cela en vaut forcément la peine... se dira-t-il.

Sans clients, que serait le Capitalisme ?

Ce mot de client semble si familier, que l’on oublie de l’interroger. C’est à tort.

Dans la Rome antique, « client » se disait du « plébéien qui se mettait sous la protection d’un patricien appelé ’’patron’’ » (Le Robert).

« Étonnant, non ? »

Ainsi, sans bruit, dans la lumière, avec l’envie comme complice, le Capitalisme prospère grâce à ses « protégés ».

Je n’écrirai donc pas « Bonnes Fêtes ».

« Ce n’est pas parce que nous sommes invités au festin, que nous ne faisons pas partie du menu. »

« Personne »

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Depuis 1974 en France, à l’époque du serpent monétaire européen, l’État - et c’est pareil dans les autres pays européens - s’est interdit à lui-même d’emprunter auprès de sa banque centrale et il s’est donc lui-même privé de la création monétaire. Donc, l’État (c’est-à -dire nous tous !) s’oblige à emprunter auprès d’acteurs privés, à qui il doit donc payer des intérêts, et cela rend évidemment tout beaucoup plus cher.

On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

Ce hold-up scandaleux coûte à la France environ 80 milliards par an et nous ruine année après année. Ce sujet devrait être au coeur de tout. Au lieu de cela, personne n’en parle.

Etienne Chouard

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