La disparition du juge d’instruction est dans l’air. En Belgique, un nouveau rapport, écrit à la demande du ministre de la Justice, envisage tout simplement de supprimer cette fonction et de transférer l’essentiel de ses pouvoirs au procureur. Le texte semble être un copié-collé du rapport du comité Léger, remis en 2009 au Président de la République française. En France, ce dernier rapport a été partiellement réalisé. La fonction de juge de l’enquête et des libertés a bien été mise en place, mais le juge d’instruction n’a pas complètement disparu, bien que, le procureur de la République dispose de plus en plus de prérogatives. Le juge d’instruction est cantonné dans une petite fraction des affaires et presque chaque réforme donne de nouveaux pouvoirs au procureur de la République. Ainsi, grâce à la loi Urvoas du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme [1], le procureur devient aussi un « directeur d’enquête », conduisant les « enquêtes préliminaires ».
Une attaque de longue date.
La Belgique a anticipé depuis longtemps cette mutation. Déjà la célèbre réforme de la justice de 1998, connue sous le nom de « petit Franchimont, » renforçait considérablement les pouvoirs du procureur en créant une « mini-instruction [2] » placée en ses mains. Ainsi, « l’enquête proactive », une enquête de la police pour son propre compte qui peut avoir lieu en dehors de toute infraction, et la « mini-instruction » du parquet réduisaient déjà le juge d’instruction à un rôle proche de celui d’un « juge de l’instruction », c’est-à-dire d’un juge dont la fonction se réduit à produire certains actes tels le mandat d’arrêt, les mesures de surveillance et de perquisition, ainsi que la vérification de la légalité des procédures.
La loi de 2006 sur les techniques spéciales de recherches [3], portant sur l’infiltration, le recours à des indicateurs ou le contrôle visuel discret dans des lieux privés, impose que les données recueillies avec ces moyens soient placés dans un dossier séparé et confidentiel. Le juge d’instruction n’a pas accès à ces informations, si les techniques spéciales utilisées ont été demandées par le procureur. Remarquons aussi que le juge de fond doit établir son jugement, sans avoir accès à ces données secrètes.
Les attaques contre la fonction de juge d’instruction ne datent donc pas d’aujourd’hui. La Belgique a entrepris, depuis une quinzaine d’années, un ensemble de réformes qui visent à réduire progressivement ses prérogatives au profit du parquet. Aujourd’hui, bien que, actuellement, le juge d’instruction s’occupe encore d’une part nettement plus importante des affaires qu’en France, c’est la suppression même de la fonction qui est envisagée. Le rapport ’Jalons pour un nouveau Code de procédure pénale [4]’, qui vient d’être soumis au ministre de la Justice Koen Geens, recommande la disparition du juge d’instruction et préconise de réserver l’enquête pénale au parquet. Ainsi, le texte conseille d’’instaurer une procédure d’enquête unique dans laquelle toutes les investigations pénales prendraient la forme d’une enquête conduite par le parquet’.
Ce rapport ne peut que recevoir un bon accueil de la part du ministre de la Justice, puisque le texte recommande exactement ce que le pouvoir exécutif veut entendre.
Une police toute puissante.
La fonction de juge d’instruction n’est pas seulement réduite, mais disparaît au profit d’une fonction de « juge de l’enquête » qui n’aurait plus comme prérogative que le contrôle de la légalité et de la proportionnalité des mesures prises par le parquet qui hériterait de l’ensemble des pouvoirs d’enquête. Cependant, si le procureur apparaît fortement renforcé, ce n’est pas pour son propre compte. Il s’agit d’un magistrat qui, au contraire du juge d’instruction, n’est pas indépendant vis-à-vis du pouvoir exécutif. Les différentes réformes de l’action publique, comme la loi sur la verticalisation du Parquet, ont d’ailleurs renforcé sa dépendance. Dans les faits, les pouvoirs placés aux mains du procureur se révèlent être une illusion, la police gardant la maîtrise réelle de l’enquête pénale. Déjà, devant la commission parlementaire de 1999 relative à la police unique, dite « structurée à deux niveaux », les procureurs auditionnés ont fait savoir que, une fois l’autorisation de l’enquête donnée, ils n’avaient plus le contrôle effectif de son déroulement [5].
Le rapport qui vient d’être remis au ministre Geens estime que le procureur, un magistrat soumis à l’exécutif et dont la fonction est de porter l’accusation, a l’impartialité pour juger à charge et à décharge. Tandis qu’un magistrat indépendant, le juge d’instruction, ne peut avoir une ’parfaite neutralité, car il cumule les fonctions ’d’enquêteur et d’un juge’. Ce qui ne lui permettrait pas de présenter ’toutes les apparences de l’impartialité’. Paradoxalement, ce serait donc le fait d’être « juge » et « d’émettre des hypothèses », qui l’empêcherait d’être neutre. Ainsi, seuls le procureur, un représentant du pouvoir exécutif responsable des investigations, et la police, un appareil autonomisé ayant la direction effective de l’enquête, pourraient être au-dessus de la mêlée. Tout est renversé, « l’impartialité » ne pourrait résulter que du non contradictoire, que de la certitude exprimée par l’enquêteur.
Jean-Claude Paye
sociologue, auteur de L’emprise de l’image, éditions Yves Michel 2012.