Voila un mois que nos gardiens de prison sont en grève. Un mois que des milliers de prisonniers sont privés de douche. Qu’ils ne reçoivent qu’un repas par jour. Qu’ils sont cantonnés continuellement dans leurs cellules jusqu’à dix pour quelques mètres carrés. Que des centaines de malades incarcérés sont privés de soins adéquats. Que des émeutes éclatent. Que le gouvernement semble impuissant. Déjà un mort en aile psychiatrique. Du sang jusqu’au plafond. Un mois.
Ça ne peut pas durer.
Voila deux ans que d’anciens néo-nazis sont rentrés au gouvernement. Deux ans que Charles Michel pactise avec ceux qu’il qualifiait autrefois de "racistes". Deux ans qu’ils distillent leur propagande fascisante dans les plus hautes sphères de l’Etat. Deux ans qu’ils contrôlent la police. La sûreté de l’Etat. Les finances. La lutte contre la fraude fiscale. La lutte contre la pauvreté. L’égalité des chances. L’immigration. La politique des grandes villes. Deux ans qu’ils n’ont montré qu’incompétence dans tous ces secteurs. Incivisme. Attentats. Grèves. Fraudes. Misère. Discriminations. Racisme. Capitale à l’abandon. Deux ans que l’extrême-droite mène le pays au bord du gouffre. Deux ans.
Ça ne peut pas durer.
Voila dix ans que le nombre de sans-abris explose. Doublé en dix ans à Bruxelles qu’il a, ce nombre. Dix ans que l’on ne s’émeut plus des malheureux dormant sur le pavé à chaque coin de ses rues. Que le nombre de morts dans nos rues ne fait qu’augmenter. De froid. De faim. Seuls. Avec une Cara Pils pour seule consolation. Dix ans que les huissiers expulsent à tours de bras avec la force de la loi. Que l’extrême misère s’étend. Dix ans.
Ça ne peut pas durer.
Voila quinze ans que la haine s’étale publiquement sans complexe. Racisme. Homophobie. Haine des Roms. Appels aux meurtres. Menaces. Volontés de génocides. Hommages à des collaborateurs du régime nazi. Dans tous les médias. Des anonymes jusqu’à des ministres. Quinze ans que des assassinats et tortures racistes sont perpétrés. Que des homosexuels sont agressés, parfois même par les forces de police. Que les roms sont traités par l’Etat comme des animaux. Que le patronat étale ses pratiques discriminatoires raciales. Que le parquet s’en moque. Quinze ans.
Ça ne peut pas durer.
Voila vingt ans que notre pays est secoué de scandales fiscaux. Vingt-ans que le travail n’est que survivance. Plus personne n’en doute. KB-Lux. Amnisties fiscales. Lux-Leaks. Panama Papers. Toute une classe supérieure vit sur le sang des classes inférieures. Cumul d’allocations à des rentes exorbitantes. Primauté du consommateur sur le travailleur. Spoliation des revenus du travail. Explosion des revenus des patrimoines. Asile aux rentiers français fuyant leur ISF. Uccle. Néchin. L’emploi n’est plus qu’une vue de l’esprit. Le pays ne compte plus que 2,7 millions de travailleurs déclarés. Seuls à financer tout l’édifice. Vivant parfois dans des conditions misérables. Vingt ans.
Ça ne peut pas durer.
Voila trente ans qu’on nous promet une sortie du nucléaire. Qu’on en connaît le danger. Que des bombes atomiques américaines sont stockées illégalement dans notre pays. Que nos centrales nucléaires se fissurent. Qu’on distribue des pastilles d’iode, au cas où. Trente ans qu’on ne fait rien. Qu’aucun plan de cette sortie promise n’est mis en oeuvre. Trente ans.
Ça ne peut pas durer.
Voila quarante ans que nos politiques et technocrates ne font plus illusion. Corruption. Oligarchie. Charges héréditaires. Conflits d’intérêts. Ca parle au nom des travailleurs. Parfois au nom des pauvres. Ca ne les connaît que de nom. Cela ne nous étonne plus. Charleroi. Agusta. Valises suisses. Le Botanique. Kubla. De Decker. Quarante ans. Que l’Etat se désagrège sous les coups de boutoir linguistiques. Que des pans entiers de l’armée et de la police s’autonomisent. Que les tueurs du Brabant et Patrick Hamers sentent le souffre. Quarante ans.
Ça ne peut pas durer.
Voila deux siècles que le pays vit sur le sang du monde. Qu’il proclame sa fierté de ses crimes contre l’humanité au Congo. Du fouet. Des mains coupées. Des massacres. Des assassinats. De Lumumba. Que l’exploitation se pare des oripeaux de coopération. Que nous créons et vivons de l’endettement des pauvres. Que nous formons et rémunérons les dictateurs. Que notre micro-pays est un des premiers exportateurs d’armes au monde. Qu’Anvers charrie les diamants du sang. Deux siècles.
Ça ne peut pas durer...
Et, pourtant, ça dure...
Belgique, Bruxelles-ville, mai 2016.