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Comment constituer un parlement par le vote et le tirage au sort

Le vote et le tirage au sort ont des qualités et des inconvénients pour désigner des représentants politiques. Voici comment lier les deux pour désigner les députés et les sénateurs et instituer un pouvoir législatif qui soit le plus représentatif du peuple grâce à des partis politiques de masse.

Etienne Chouard mène un combat très juste et encore solitaire pour la désignation par tirage au sort dans les institutions politiques. Son discours est bien argumenté, mais je ne l’ai pas entendu faire de proposition de constitution donnant au tirage au sort un rôle principal. Cette absence de concrétisation de ses idées, laisse donc le vote sans réelle alternative. S’en abstenir, car cela serait la prérogative exclusive d’une assemblée constituante, est presqu’un aveu d’échec : une telle assemblée ne peut pas tout réinventer, un vrai débat et des idées doivent précéder et aider à ses choix souverains. D’un autre côté, le vote a certaines vertus qu’il serait dommage d’abandonner. Voici donc une proposition pour un parlement constitué par une alliance du vote avec le tirage au sort.

L’Assemblée nationale

Le parlement se compose d’une Assemblée nationale et d’un Sénat comportant deux fois moins de sénateurs que de députés. L’assemblée est renouvelée par tiers tous les deux ans par un scrutin proportionnel national. Les partis qui se présentent doivent préciser au sein de quelle coalition de partis ils s’associeraient pour former un gouvernement. À l’issue du dépouillement, les voix obtenues par chaque parti sont additionnées par coalition. Le nombre de députés de chaque coalition est la proportion, multiple de trois, du carré de ces additions.

Concrètement, par ce mode de scrutin, nous aurions eu avec le vote des législatives de 2012, l’assemblée suivante :

CoalitionNombre de voixCarré du nombre de voix (en milliards)Nombre de députés pour une chambre de 500 sièges
Majorité présidentielle (PS, EELV, RG,…)10 347 043107 061261
Droite parlementaire (UMP, NC, PR,…)8 994 34980 898198
Front national3 528 66312 45130
Front de gauche1 793 1923 2169
Le Centre pour la France458 0982100
Extrême gauche253 386640
Écologistes249 068620
Régionalistes145 809210
Autres133 752180
Extrême droite49 49920
Total25 952 859204 004498

Les personnes qui vont exercer ces mandats sont tirées au sort parmi les militants des partis de chaque coalition.
L’assemblée étant renouvelée par tiers et devant respecter le nouveau partage politique à chaque élection, deux cas se présentent :

  1. Si la coalition a gagné des sièges, le nouveau tiers sera plus important que les deux précédents.
  2. Si la coalition a perdu des sièges, alors un tirage au sort désigne les députés de chacun des deux tiers non renouvelés dont le mandat est interrompu à l’issue de cette législative de façon à ce que les trois tiers comportent le même nombre de députés.

    Chaque coalition représentée a le droit de former un groupe parlementaire, qui comporte donc au minimum 3 députés. Si un parti a, à lui seul, plus de députés que la plus petite coalition, il peut former un groupe parlementaire autonome.

    Le Sénat

    Le même vote permet aussi le renouvellement complet du Sénat. Le nombre de sénateurs est attribué par parti, en proportion de la racine carrée du nombre de voix obtenues.
    Toujours avec les législatives 2012, nous aurions eu le Sénat suivant :

    PartiNombre de voixRacine carrée du nombre de voixNombre de sénateurs pour un Sénat de 250 sièges
    Union pour un mouvement populaire7 037 2682 65340
    Divers droite910 03495414
    Nouveau Centre569 89775511
    Parti radical321 1245678
    Alliance centriste156 0263956
    Front national3 528 6631 87828
    Le Centre pour la France458 09867710
    Régionalistes145 8093826
    Extrême droite49 4992223
    Parti socialiste7 618 3262 76041
    Europe Écologie Les Verts1 418 2641 19118
    Divers gauche881 55593914
    Parti radical de gauche428 89865510
    Front de gauche1 793 1921 33920
    Extrême gauche253 3865038
    Écologistes249 0684997
    Autres133 7523665
    Total25 952 85916 735249

    Comme pour un scrutin de liste traditionnel, les sénateurs seront désignés selon leur rang dans la liste de candidats présentée par chaque parti.

    Il y a autant de groupes parlementaires qu’à l’Assemblée Nationale. Dans cette limite, seuls les plus importants groupes de sénateurs peuvent donc être un groupe parlementaire.

    Les citoyens

    Avec ce mode de scrutin, il faut aussi revoir le droit des élus et le financement des partis politiques :

  • Les députés devront pouvoir réintégrer leur emploi à l’issue de leur mandat, et même ils pourront travailler un ou deux jours par semaine pendant leur mandat.
  • Le financement public des partis sera proportionnel aux cotisations de leurs adhérents. Le plafond individuel annuel de cotisation sera égal à la moitié du revenu médian, soit environ 700€.

    Avec ce système, le vote permet de connaître les tendances politiques majoritaires. Le tirage au sort parmi les militants respecte ce choix tout en assurant une base populaire à la représentation nationale.
    C’est un système très simple pour l’électeur : il n’y a qu’un tour et qu’un bulletin à choisir selon ses idées politiques. Il n’y a pas de double voix comme en Allemagne et ce n’est pas compliqué comme le système Condorcet.

    Illustration imparfaite

    Remarquons tout d’abord que l’application de ces idées aux législatives 2012 n’est pas tout à fait exacte, car je n’ai pas réussi à obtenir un résultat détaillé pour les tendances minoritaires (régionalistes, extrême gauche). Cela n’a pas d’impact sur la répartition des députés, mais au Sénat, les sénateurs du Front de gauche sont minorés car je n’ai pas les détails par parti, et ceux des micro-partis sont majorés, car pris individuellement, il est possible qu’ils n’aient pas assez de voix pour obtenir ne serait-ce qu’un Sénateur.

    Naturellement, le mode de scrutin a aussi un impact sur le choix des électeurs. Donc, on ne peut appliquer strictement le dépouillement d’un scrutin uninominal à deux tours sur un scrutin à la proportionnelle.

    Une majorité forte et populaire

    Généralement, le vote à la proportionnelle permet difficilement de dégager une majorité comme c’est le cas en Israël où les petits partis marchandent très cher leurs voix de députés. Pour éviter ce cas de figure, on prévoit souvent d’accorder un bonus en siège au parti arrivé en tête.
    Mais ce bonus est fixe et ne reflète pas un rapport électoral : on voit bien, dans les triangulaires des élections municipales, que le parti arrivé en tête fait partie de la tendance politique minoritaire mais bénéficie des conflits du camp opposé. En faisant une proportionnelle au carré des voix, on a un effet loupe sur les premiers partis : on favorise les grandes coalitions pour avoir une majorité stable tout en permettant aux petits partis d’avoir une représentation alors qu’ils sont exclus de l’Assemblée nationale actuelle, notamment le Front National (sauf exception comme en 2012).

    Avec la proportionnelle on évite le découpage électoral et ses magouilles car on n’a qu’une seule circonscription. S’il faudra peut-être toujours imposer la parité des sexes au Sénat, cela ne sera sans doute plus nécessaire pour l’assemblée, car le tirage au sort n’est pas sexiste.
    Certes, dans tous les partis politiques il y a plus de militants que de militantes, mais il ne tiendra qu’aux femmes de s’investir plus dans la politique. Cela nécessitera néanmoins des réformes sociales, mais elles seront bénéfiques à tous : diminution du temps de travail, augmentation des places en crèches… Ces réformes favoriseront ainsi l’entrée en politique des classes sociales défavorisées, actuellement non représentées au parlement, comme la classe ouvrière par exemple. Et la lutte pour la parité rejoint la lutte pour l’égalité sociale.

    Les partis politiques comme éléments essentiels de la démocratie

    Le tirage au sort pour chaque coalition se faisant tout parti confondu, ce n’est pas le parti qui a eu le plus de voix qui sera statistiquement le mieux représenté, mais le parti qui a le plus de militants. Et des militants qui accepteront la charge de députés, car chaque refus implique un tirage supplémentaire qui désignera une personne qui appartient à la même coalition mais pas forcément au même parti.
    À priori, cela favorise les petits partis qui ont une proportion de militants par nombre de voix plus importante et des militants plus motivés.

    Il importe absolument d’avoir des partis de masse afin de bénéficier d’une réelle représentativité et d’un réel soutien de la politique, mise en œuvre par toute la population.
    Une république ne peut être viable sur le long terme que par un soutien fort et éclairé de ses citoyens. Et seuls les partis politiques assurent ce cadre par la rencontre de la masse avec la réflexion politique.
    Donc, ce tirage indifférencié, et le plafonnement très bas des cotisations aux partis, pousseront leurs dirigeants à conquérir le plus de citoyens possible et ainsi, à mener la politique qui améliore leur vie et pas celles des 0.1% les plus riches qui possèdent les banques et les médias.

    Pour éviter que les grands partis ne suscitent la création de partis fictifs, où une même personne pourra cotiser à plusieurs partis, tout électeur ne pourra cotiser qu’à un seul parti par année fiscale. Chaque citoyen versant son soutien financier via sa déclaration d’impôts, l’administration fiscale pourra donc rendre public le nombre d’adhérents de chaque parti, le montant total de leurs cotisations et de là, en déduire le montant du soutien public.

    Le financement public des partis est proportionnel au total des cotisations. Mais on doit quand même avoir une certaine progressivité qui favorise les petits partis et empêche que les grands partis ne détournent une fraction de cet argent pour des causes, légales ou pas, qui n’ont plus un lien direct avec leur objet social. Le financement public ne dépend plus du nombre de voix ou d’élus mais du nombre de militants et de leur motivation pécuniaire afin que les partis élaborent un vrai programme politique au service du peuple. Le financement est ainsi plus stable, prévisible, et toute dérive est immédiatement sanctionnée par le départ des militants, sans attendre la prochaine élection.

    Les scrutins de liste permettent aux caciques des partis d’avoir une place assurée et n’autorisent pas aux électeurs de choisir leurs élus.
    Cependant, comme le but est d’avoir des partis de masse, les militants pourront donc exiger d’avoir un rôle essentiel dans la formation des listes de sénateurs : un parti où les dirigeants se partagent les postes entre eux risque de n’attirer que des militants serviles, antithèses du militant politique engagé. Les citoyens pourront donc participer activement et démocratiquement à la formation des listes en adhérant à un parti.
    Pour gouverner, il ne suffira plus aux partis d’être des écuries de formules qui entretiennent des candidats hors-sol ; ils devront convaincre le peuple, créer des écoles de cadres du partis ou inventer d’autres méthodes, pour avoir la plus grande base populaire possible.

    Dans ce mode de scrutin, le vote blanc et nul n’a aucun pouvoir. Mais faut-il donner du pouvoir à ce qui représente un signe de malaise démocratique ? En imposant aux partis politiques d’être des partis de masse, on combat l’abstention et la résignation en amont.

    Des enjeux d’idées et pas d’enjeux d’appareils

    On peut imaginer que le tirage indifférencié puisse être détourné par les partis coalisés : ils peuvent s’entendre pour forcer les militants tirés au sort à se désister, afin que le tirage reflète non pas les effectifs de militants mais le nombre de voix obtenues, ou tout autre rapport de force.
    Un tel détournement est très compliqué à mettre en œuvre. Il donnera une image négative de la coalition. Il nécessitera l’accord des militants. On peut imaginer qu’il puisse s’effectuer dans une coalition à deux partis, mais à partir de trois, il faudra beaucoup de désistements pour obtenir la répartition souhaitée.
    On peut de suite se prémunir contre cette fraude en abandonnant le tirage indifférencié par un tirage au sort par parti, en proportion du nombre de militants : ainsi tout militant se désistant sera remplacé par un militant du même parti.

    On peut aussi imaginer qu’un parti fasse le tri parmi les tirés au sort pour sélectionner ceux qui sont les plus orthodoxes. Encore une fois, il faudrait que les militants acceptent une pratique aussi détestable, et il faudrait mettre en place un fichier des militants digne de celui de la Stasi.

    Pour décourager toutes ces velléités de triche, il suffit de ne pas tirer en une fois tous les députés. Par exemple, une coalition doit renouveler 10 députés. Compte tenu de la faible proportion d’accords, car bien peu de militants accepteront de s’investir à ce point dans la vie politique, il faudra vraisemblablement désigner 20 fois plus de personnes qu’il n’y a de places.
    Donc, si on désigne en une fois 200 personnes, celles-ci peuvent se concerter et se choisir entre elles avec l’accord des dirigeants de la coalition afin de désigner les « meilleures ». Mais si on tire 2 fois plus de personnes qu’il y a de places, une telle concertation n’est plus possible, car si les partis font le tri dans les 20 premières désignations, ils ne peuvent pas savoir si les 20 suivantes seront meilleures selon leurs critères ou pas.
    Un tel mode de désignation prend du temps, car il faut attendre la réponse des tirés au sort avant de procéder à un nouveau tirage. Or, il faut que la nouvelle assemblée se réunisse au plus vite, car les 100 premiers jours sont décisifs. Donc le délai d’acceptation individuel sera très court : 1 ou 2 jours. Cela signifie que les partis devront préparer leurs militants à cette éventualité bien avant l’élection.
    Enfin, l’Assemblée nationale se réunira suivant les délais prévus dès que le quorum est atteint, que tous les députés aient été désignés ou pas. Tant pis pour les coalitions retardataires, les tirages au sort se poursuivront pendant que l’assemblée siègera.

    On procède aussi à de nouveaux tirages pour chaque vacance de poste pour cause de démission, maladie…
    Bien sûr, si on quitte son parti, on démissionne de facto de son mandat de député car on a été désigné parce qu’on y a été militant. Comme tout poste vacant est remplacé, un député ne doit pas hésiter à démissionner s’il l’estime nécessaire. Si le poste à pourvoir devait être renouvelé avant deux ans, alors le député désigné restera en place après la prochaine élection, sous réserve que le nombre de places obtenues par son parti le permette. Cela évite d’avoir des sièges vacants et de libérer un député qui a tout juste eu le temps de se former. Ainsi, un député pourra siéger au plus 7 ans et 364 jours.

    La proportionnelle du carré encourage les coalitions, car le gain de siège augmente plus vite que le nombre de voix, mais comme on ne connaît pas à l’avance les députés, on ne peut s’allier que sur un accord d’idées et non sur des compromis personnels.
    Avec les scrutins de listes actuels ou les élections uninominales, les partis qui se coalisent doivent s’entendre pour se répartir les sièges et cela donne lieu à des batailles de chiffonnier.
    Ici, tant pour l’Assemblée nationale que pour le Sénat, il n’y a pas ce genre de débat secret et ces batailles d’égos.
    Pour les électeurs, il sera plus clair que les partis annoncent les coalitions avant le scrutin, mais formellement, celles-ci ne seront définitives qu’après la publication du dépouillement : on laisse 24 heures aux partis pour annoncer officiellement les coalitions.
    Les partis devront, dans tous les cas, non plus choisir de s’allier avec les partis grâce auxquels ils auront le plus d’élus, mais ils devront désigner les coalitions où ils maximiseront leur nombre de voix. Ainsi par exemple, le PCF et les Verts ne choisiront plus le PS pour avoir des élus, mais devront choisir entre le Front de Gauche et le PS suivant les programmes soutenus les plus populaires.
    Cela clarifie donc le jeu politique. Les alliances sont des alliances d’idées et non pas des alliances d’appareils.

On peut imaginer qu’un parti soit confus sur sa coalition ; il faudrait alors mieux pour lui que ses électeurs ne soient pas confus sur leur soutien.
À l’issue du dépouillement, si un parti voulait changer de coalition, cela ne peut se faire qu’avec l’accord des militants car ce sont eux qui siègeront à l’Assemblée nationale. Le changement de coalition après dépouillement peut avoir une importance décisive et devra être discuté lors du débat électoral. Le cas de figure peut se produire avec les écologistes : s’ils avaient choisi de se coaliser dans le Front de Gauche on aurait eu l’assemblée suivante :

Droite parlementaire219
Front national33
Front de gauche27
Majorité présidentielle216
Total495

Et la droite aurait été majoritaire mais n’aurait jamais pu faire passer les lois sans l’accord du Front National, c’est-à-dire sans mener exactement sa politique.
Les dernières déclarations de François Fillon sur le parti le moins sectaire laissent entendre que cela serait possible. Mais la gauche peut aussi s’unir : le Front de gauche a toujours dit qu’une alliance FdG, EELV et PS était possible sur une ligne Hamon-Montebourg mais pas sur la ligne actuelle Valls-Moscovici. Le Président François Hollande aurait eu à choisir entre une cohabitation avec la droite extrême ou une politique franchement à gauche : abandon du nucléaire et de l’austérité.
Avec ce mode de scrutin, les Verts auraient pu tout à fait faire plier le Président de la République, car quoiqu’il arrive, ils auraient eu leurs sénateurs et leurs députés. Et deux postes de ministre subalternes ne valent certainement pas le reniement de leurs convictions politiques.

Mais que les belles personnes se rassurent, ce dilemme entre ces deux solutions scandaleuses n’aurait pas eu lieu, car avec un scrutin proportionnelle le Modem n’aurait pas disparu et François Hollande aurait opté pour une coalition PS-Modem avec ou sans EELV. Avec la proportionnelle, il y a en effet la possibilité d’avoir un parti centriste perpétuellement au pouvoir, un coup avec la gauche, un coup avec la droite. Sauf qu’ici, les députés ne sont plus des notables mais des Français moyens dont les intérêts personnels sont ceux de la population et pas ceux d’une élite économique.

Prééminence d’une assemblée populaire sur un Sénat élitiste

L’Assemblée Nationale doit jouer un rôle prépondérant sur le Sénat, c’est pourquoi les députés sont deux fois plus nombreux que les sénateurs. Ce rapport est encore accentué pour les grands partis qui gouvernent : on aura une quarantaine de sénateurs face à près de 200 députés. Donc en commission mixte paritaire par exemple, les députés, même débutants arriveront en force face aux politiciens de métiers du Sénat.

Dans les grands partis les places de sénateurs seront chères. On ne pourra toutes les donner aux plus ambitieux et aux plus médiatiques car ce sont souvent les moins compétents : on ne peut pas en même temps courir les meetings et les caméras et travailler ses dossiers.

La naïveté des députés sera compensée par le renouvellement par tiers de l’assemblée : les anciens pourront transmettre le relai aux nouveaux ; leur transmettre la culture de cette chambre du parlement. Les députés gagneront ainsi en indépendance face aux sénateurs et à leur attaché parlementaire.

L’absence de majorité au Sénat n’empêchera pas le parlement de légiférer : la gauche sous Mitterrand a toujours fait voter ses lois malgré un Sénat à droite. Avec la proportionnelle à la racine carrée des voix, le Sénat devient la chambre des débats politiques idéologiques avec une réelle représentation de toutes les diversités de pensée même les plus minoritaires. Il ne pourra plus y avoir de pensée unique par censure médiatique ou économique. Mais il pourra peut-être y avoir des jeux de mains entre les sénateurs d’extrême gauche et ceux d’extrême droite…

Comme l’assemblée est renouvelée par tiers, les élections doivent être fréquentes afin qu’un mandat ne dure pas trop longtemps. Les Américains votent déjà tous les 2 ans pour leur parlement. Un vote régulier permet de maintenir l’intérêt du débat politique dans la population. Il permet aux électeurs de contrôler l’action du parlement. Et comme on peut espérer qu’une coalition dure deux ans, cela évite aussi au Président de la République de convoquer des élections anticipées.
En effet, le nombre de députés étant fonction des coalitions, tout éclatement de la coalition majoritaire implique très probablement un scrutin anticipé : cela dépend si avec l’assemblée courante une autre majorité peut faire passer des lois. La rupture d’une coalition minoritaire n’implique pas de dissoudre l’assemblée même si le nombre de députés est déterminé par l’existence de cette coalition, car elle ne remet pas en cause l’expression majoritaire, et de toute façon elle reste très improbable : on se désunit quand il faut gouverner, pas quand il faut s’opposer.

Une représentativité sans circonscription

Ici le Sénat ne représente plus les collectivités locales. Mais ce rôle n’est qu’un prétexte pour garantir que le Sénat, en France comme aux États-Unis, soit le plus conservateur possible, car on a un collège électoral de notables et une surreprésentation des collectivités rurales. Le Royaume-Uni se passe très bien d’une telle assemblée et les élus locaux ont bien d’autres moyens de se faire entendre : ne sont-ils pas des militants et des élus qui côtoient régulièrement les députés et les sénateurs ?

Les députés, tout comme les sénateurs, ne sont plus affectés à des circonscriptions. Mais ils restent accessibles aux citoyens : les parlementaires ont un domicile.
Avec le tirage au sort, on aura donc beaucoup de députés là où il y aura le plus de militants et un sixième de l’Assemblée nationale viendra certainement d’Ile de France, car cette région a plus de 10 millions d’habitants. Les députés seront encouragés à ne pas abandonner leur travail pendant leur mandat. Cela pour permettre leur retour à la vie civile mais aussi pour rester en contact avec les citoyens.

Aucun parlementaire ne pourra exercer d’autres fonctions politiques. Cela est de facto le cas pour les députés qui sont désignés par tirage au sort. Quant aux sénateurs, si les militants de leur parti le veulent, le scrutin de liste leur garantit à vie leur poste : ils n’ont pas de baronnie locale à se constituer, leur nouvelle baronnie est leur parti. Ce n’est pas parce qu’un sénateur n’exerce pas une autre fonction qu’il perd le sens des réalités ou qu’il ne peut pas s’intéresser aux problèmes de terrain. Au contraire, c’est parce qu’il n’a qu’un seul mandat qu’il aura le temps de le faire en plus de son travail législatif.

Comment pervertir ce scrutin

Le parti de la presse et de l’argent peut tout à fait continuer à avoir un pouvoir législatif à sa solde avec un tel parlement. Comme aujourd’hui, en contrôlant les médias, il peut abrutir les gens par les divertissements et contrôler les informations : parler des faits divers et pas des luttes sociales, crédibiliser trois partis (deux pour la fausse alternance politique et un troisième d’extrême droite pour ramasser les déçus du système) et être odieux avec les autres. Mais il ne suffira pas de gagner les élections, il faudra aussi que les militants de ces partis ne fasse pas parti des 99% les plus pauvres de la population, car il sera difficile de les faire voter contre leurs intérêts de classe.
On peut faire voter une population pour une opposition qui une fois au pouvoir poursuit la même politique que le camp sortant, mais faire voter directement une loi qui la dessert est autrement incertain : en 2005 avec le référendum du TCE cela n’avait pas marché. Pour ainsi dire on devra avoir deux partis de gouvernement ayant autant de militants que d’élus : est-ce possible et crédible ? Qui va coller les affiches ?

Si on part de l’hypothèse que des lois ont permis de rendre indépendants les médias, comment peut gouverner le parti de l’argent ? Il ne peut pas payer des citoyens pour qu’ils deviennent de faux militants, car il en faudrait tellement que l’un d’entre eux parlerait et déclencherait une enquête judiciaire. Mais tout simplement il pourra toujours corrompre des députés et des sénateurs. Cela peut ne pas déranger certains partis, mais ceux qui veulent servir le peuple formeront alors leurs députés pour ne pas tomber dans ce piège et leurs militants surveilleront leur travail législatif. Quant aux corrupteurs, les mandats de députés n’étant pas reconductibles, il devront recommencer leur travail tous les 2 ans avec les nouveaux députés.

Le parti de la presse et de l’argent devra donc déployer beaucoup de talents et d’efforts pour continuer à dominer la population avec un tel parlement. Il serait bien plus efficace pour lui de dénigrer et combattre un tel mode de scrutin et d’encenser le régime actuelle de démocratie prévisible : une présidence tentaculaire avec un parlement à sa botte.

Du peuple, par le peuple, pour le peuple

La logique d’une telle réforme du parlement implique aussi que l’on passe d’un régime présidentiel à un régime parlementaire fort où le parlement a l’initiative des lois et du budget.
Par les élections, la haute bourgeoisie a pu assoir sa domination sur toute la société depuis 1789.
Par le tirage au sort, le nouveau Tiers État d’aujourd’hui, c’est-à-dire la petite bourgeoisie intellectuelle, les ouvriers et les employés, prendront enfin le pouvoir. L’élément moteur des partis ne sera plus l’élu mais le militant dont la base sociale est beaucoup plus importante.

Laurent S

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