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Connaissez-vous Cafougnette ?

Cette note ne s’adresse pas aux Ch’tis qui connaissent leur Cafougnette sur le bout des doigts, comme les Marseillais connaissent leurs Marius et Olive et les Tarasconais leur Tartarin. Le personnage de Cafougnette fut inventé en 1896 par Jules Mousseron, mineur de fond et poète ch’ti. Mousseron publia une soixantaine d’histoires dans Le Galibot (1), une revue publiée à Denain.

On ne sait trop d’où vient ce joli nom de Cafougnette. Peut-être du verbe cafouiller, voire du piémontais cafognetta, propos tenus par un paysan mal dégrossi, un peu butor.

Cafougnette, c’est un "pauf’ diape" sur qui s’abattent toutes les catastrophes. Mais son verbe conjure tous les malheurs du monde. Même les comètes. Avec Cafougnette, on n’est jamais "dins l’berdoulle".

Bourdieu l’avait dit en son temps : le dit et le dire des classes dominées ne sont pas entre leurs mains, car ces classes ne parlent pas : "elles sont parlées". Cafougnette offre une jolie exception à la règle : un discours ouvrier, constitué de récits singuliers de vie individuelles, condition de la constitution d’une conscience de groupe, de communauté ou de classe.

Le grand acteur Jacques Bonaffé, ch’ti pur sucre, a mis en scène et enregistré les histoires de Cafougnette.

Ci-dessous, "La Fin du monte", un des textes que je préfère. C’est poétique, métaphysique et, pour finir, optimiste.

À Alfred Hazard

Ch’étot du temps d’ l’étoile à queue
Annoncé pa les arménachs.
Not’ coeur battot comme un hoch’ queue
Tell’mint qué nous avott’s el trac !

In n’ parlot fauque ed fin du monte,
D’ délug’, d’ boulevers’mint sans parel !
La lun’, comm’ du burre, allot fonte
Dins l’immens’ payèl du solel !

Et l’feu s’répandant su la Terre
Couvrant l’ mont’ dé s’ terrip fléau,
Un grand trembelmint d’allot faire
Craqu’ler not’ planèt’ comm’ del chaux !

Ah ! c’ cop-là, ch’ n’étot point pou rire !
D’après l’ prédiction des anciens,
L’Etoile à queu’, – n’y-a pas à dire, –
Ch’étot vraimint la fin des fins !

Aussi chacun i riot jonne.
Malgré l’ prochaine égalité,
Beaucoup trannott’n dins leu marronne
D’vant l’ grand jug’mint d’ l’éternité !

El pus heureux ch’tot cor les biêtes.
Tout l’ z’ animaux d’ nos alintours
N’ sé souciott’ pas eun’ seul’ milette
D’être aussi près del fin d’ leus jours.

Mais les avar’s, les mauvais riches,
Les égoïst’s ed’ parvénus,
Ceux qui-ont toudis l’air d’ s’in fiche,
In v’là qui-étott’nt bin arkaius !

Les pauvr’s, bons bougr’s, par habitude
Fixés su l’sort des sans-av’nir,
S’démandott’nt avec inquiétude,
Si d’ l’autr’ côté ch’ n’étot point pir’,

La vie humain’ est si bizarre !
In y rincontr’ peu d’ gins contints,
Et malgré tout, ch’est putôt rare
Qu’in quitt’ l’existenc’ joyeus’mint.

Dins l’ ciel rayonnant, suspindue
Comme eun’ bell’ montre et s’chaîne in or,
Infin l’étoîle à queue est v’nue
Sans causer au monte aucun tort.

Quand in n’a pus vu cheull’ comète,
Chacun r’parlot d’ ses émotions :
« Mi, qui disot Zeph Cafougnette,
J’avos bin pris mes précautions !

Avant qu’ l’étoile à queu’ s’amoutre,
J’ m’étos mis inter deux mat’las,
Et tant qu’alle n’a point été outre,
Ej’ n’ai jamais bougé dé d’là…

Chaqu’ momint j’ rinfrognos m’ n’ échine
Pou t’nir moins d’ plache ed’ large et d’ long,
Tout minc’ comme inter deux tartines
Eun’ misérap trinque ed’ gambon !

Ch’est vrai… in n’ sait jamais… peut-ête
Qué l’ laine à mat’las m’ protégeant,
Dins l’ z’ espitur’s ed’ not’ planète
Ej’ m’aros artrouvé vivant !

— Ouais ! qu’i fait l’un d’ ses comarates
Té pouvot fin bin réussir,
Mais t’ s’ros bintôt kaïu malate :
Té t’ s’ros innuyé à morir.

Qu’est-c’ t’aros fait su l’ tierr’ du monte,
Tout seul, dins l’Univers intier ?
— Bé, qu’i dit Zeph, acout’ queu conte !
Eh bin ! j’ m’aros mis cabar’tier ! »

Jules Mousseron

(1) Un galibot était un enfant mineur de fond.

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