RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Dans le Sud-Ouest, des milliers de porcs, deux présidents et un ancien camp de concentration

Dans le Tarn-et-Garonne, l’extension d’une porcherie industrielle là où furent internés des Républicains espagnols à la fin des années 1930 rencontre une farouche résistance. D’une part, pour la préservation de ce lieu de mémoire ; de l’autre, contre l’élevage intensif, qui soulève ici un parallèle historique plus que morbide.

Lundi 15 mars, Emmanuel Macron se rendra à Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, pour une rencontre au sommet avec Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol. Ce sera certainement pour les deux chefs d’État l’occasion de se recueillir sur la tombe de Manuel Azaña, président de la République espagnole de 1936, mort en exil à Montauban en 1940, un an après la défaite contre Franco. Emmanuel Macron ne le sait peut-être pas, mais il s’apprête à mettre le pied dans une situation où il pourrait lui être difficile de célébrer tranquillement la mémoire de l’Espagne républicaine.

Depuis quelque temps, sur les marchés du Tarn-et-Garonne, surgissent des personnes affublées de masques de cochon qui entonnent à pleine voix les célèbres chants de la Guerre d’Espagne : “ El ejército del Ebro ! Rum balarum balarum bam bam ! ” Cette vision loufoque reflète en miroir l’obscénité d’un projet qui voit le jour à trente kilomètres de Montauban : un élevage intensif de porcs sur un ancien camp d’internement de républicains espagnols.

De nombreux descendants de Républicains vivent dans le Tarn-et-Garonne. Et pour cause : non loin de Montauban se trouve la commune de Sept-fonds, où fut construit en 1939 un camp de concentration – c’était le terme employé à l’époque – où le gouvernement français enferma les soldats anti-franquistes arrivés en France après la victoire du dictateur. Seize mille de ces combattants furent parqués dans le camp de Sept-fonds en qualité d’« étrangers soumis à une surveillance spéciale, dans l’intérêt de l’ordre et de la sécurité publics ».

En d’autres termes, ces soldats fortement politisés ne devaient pas se mêler à la population. Bon nombre y moururent de faim, de froid et de maladie. Certains furent ensuite dispersés dans des fermes, remplacèrent des ouvriers français dans des usines, des mines ; d’autres furent envoyés au service du travail obligatoire (STO) en Allemagne ou rejoignirent les rangs de la Résistance. Ensuite, à partir de 1942, le camp de Sept-fonds servit à emprisonner 295 Juifs, dont 26 enfants, raflés dans la région puis déportés à Auschwitz.

D’une simple ferme à l’élevage intensif de porcs

Une ferme s’installa en 1971 sur le site du camp, détruit en 1945, au milieu de quelques anciens baraquements couverts de ronces. En 1995, elle s’étendit pour devenir un élevage de porcs, un élevage « moderne », cette fois, un millier de cochons sur caillebotis parqués dans des bâtiments. Les associations de mémoire juives et espagnoles s’indignèrent de cette superposition troublante : qu’on enferme des cochons sur le lieu même où ont été enfermés leurs aînés, qu’on fasse écho à la sombre histoire d’un camp par une pratique d’élevage précisément décriée comme « concentrationnaire ».

Un accord fut alors trouvé avec ces associations : l’exploitant leur fit don d’une parcelle de terrain à cinq cents mètres de là pour qu’on y érige un mémorial, en échange de quoi il construirait la porcherie, avec ses mille places d’engraissement.

Mais en 2018, la préfecture a autorisé le triplement de cet élevage.

Mais en 2018, la préfecture a autorisé le triplement de cet élevage. Une fois en fonctionnement, ses effectifs atteindront plus de trois mille cochons, soit six mille cinq cents à l’année... toujours sur l’ancien camp de concentration. Ce sera l’un des plus gros élevages intensifs du département.

Et c’est désormais l’équivalent de dix-huit tonnes de lisier par jour qui seront déversées dans les alentours. Sur ces causses où l’on va manquer d’eau, les rivières seront polluées aux antibiotiques et aux nitrates à une échelle sans précédent. En période d’épandage, une odeur pestilentielle se répandra dans cette campagne et tout autour de ce mémorial érigé à la mémoire des victimes du camp, où leurs descendants viennent se recueillir.

En 2019, le tribunal administratif de Toulouse a débouté les descendants de prisonniers espagnols du camp, qui demandaient l’annulation de l’autorisation de cette extension, au motif qu’ils « n’ont pas intérêt à agir », n’étant pas riverains de l’élevage. Il eût pourtant été étrange qu’ils choisissent d’élire domicile tout à côté de là où furent détenus leurs pères !

L’association MER 82, soutenue moralement et financièrement par l’État espagnol, a fait appel. Mais le ministère de la Transition écologique, manifestement pas pressé que le jugement ait lieu, a été récemment mis en demeure par la justice de produire le mémoire en défense qui permettrait la tenue de cet appel.

Dans l’intervalle, le GAEC du Saintou a construit les bâtiments de l’extension. Tout est prêt pour accueillir ces milliers de cochons, qui ne verront jamais le ciel et jouiront d’un espace vital d’un 1 m² par tête.

L’État français doit déjà assumer ses crimes historiques vis-à-vis de la résistance contre Franco.

Celui de la non-intervention du gouvernement Daladier alors que l’Espagne servait de laboratoire de guerre aux armées fascistes européennes.

Celui de l’internement forcé de quelque trois cent mille hommes et femmes espagnols dans ces camps du Sud-Ouest, où ces familles furent séparées et privées de leurs droits.

Faudrait-il y ajouter, sur un lieu de mémoire, les ravages de l’élevage intensif ? Un modèle agricole carcéral dont on sait aujourd’hui qu’il se concrétise non seulement par la souffrance des animaux mais aussi par de véritables bombes écologiques et sanitaires, entre la déforestation pour produire les tourteaux de soja, la pollution aux nitrates, la résistance aux antibiotiques chez les humains, et l’émergence de pandémies comme celle que nous vivons aujourd’hui.

»» https://reporterre.net/Dans-le-Sud-Ouest-des-milliers-de-porcs-deux-pr...
URL de cet article 36977
  

Même Thème
Histoire de ta bêtise
François Bégaudeau
PREFACE D’abord comme il se doit j’ai pensé à ma gueule. Quand en novembre les Gilets jaunes sont apparus pile au moment où Histoire de ta bêtise venait de partir à l’imprimerie, j’ai d’abord craint pour le livre. J’ai croisé deux fois les doigts : une première fois pour que ce mouvement capote vite et ne change rien à la carte politique que le livre parcourt ; une second fois pour que, tant qu’à durer, il n’aille pas jusqu’à dégager Macron et sa garde macronienne. Pas avant le 23 janvier 2019, date de (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le prix à payer pour être présenté par les média comme un candidat "responsable et sérieux" est généralement d’être en accord avec la distribution actuelle de la richesse et du pouvoir.

Michael Lerner

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.