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Douleur et Gloire : encore une louche de macédoine à la sauce Almodovar

Les comptes-rendus de films dans la presse sont bien souvent de la publicité déguisée : la critique au sens propre (faire le tri entre le bon et le mauvais) ne s’accorde pas avec le néo-libéralisme consensuel, où tout ce qui rapporte de l’argent est bon. Almodovar est bankable, aussi ses films sont toujours encensés, bien qu’il ne soit qu’un faiseur cynique : la movida madrilène des années 70 est loin derrière nous et la fantaisie et les « audaces » d’Almodovar éventées ; aussi joue-t-il depuis maintenant 25 ans du pathos, mais, dans son cinéma, les sentiments sont aussi superficiels que ses jeux de jeunesse.

Le Figaro, pour qui Douleur et Gloire est « un beau film sur le regret et la création » (association de termes qui ne veut rien dire), lui prédit la Palme d’or. Pour Libération, c’est « un beau film autobiographique mais sans narcissisme » (on se demande où commence le narcissisme pour ce critique), qui se confronte à la vie, au destin, à la création (de tout en vrac) « avec un calme et une évidence qui ont quelque chose de stupéfiant » (au sens propre, alors, dans la scène où un quinquagénaire apprend consciencieusement à se rouler un joint !). Mais ces critiques n’appuient leurs louanges sur aucun argument ni analyse concrets. Le Huffington Post, plus honnête, préfère se focaliser sur la nouvelle muse d’Almodovar, la chanteuse Rosalia, « nouvelle star du flamenco espagnol ». Critikat, plus inspiré, y voit une « synthèse de la filmographie d’Almodovar » ; mais, plus qu’une synthèse, c’est un best of, un pot-pourri, où Almodovar fait flèche de tout bois et s’auto-anthologise.

On a souvent une impression de déjà vu : l’auteur en panne d’inspiration mais qui, grâce à des rencontres et des événements dramatiques, retrouve la joie de créer est un thème archi-rebattu, et traité de façon bien plus séduisante et convaincante dans La Grande Bellezza de Sorrentino. Douleur et Gloire n’apporte rien de nouveau, et se limite au contraire à un lieu commun simpliste : toute épreuve traversée par le créateur (douleur) devient source d’inspiration et se transforme automatiquement en œuvre (gloire) : à peine le héros, Salvador, repense à un épisode de son enfance avec sa mère qu’il est transposé en séquence de film (le dénouement joue de cette confusion, en une scène reprise de La Mauvaise Education). Quant à la méthode de travail réelle d’Almodovar, on peut peut-être en voir une illustration plus concrète dans La Mauvaise Education, quand on trouve le cinéaste héros du film gravement occupé à découper dans les journaux des faits divers spectaculaires.

Pour agrémenter ce thème, Almodovar utilise des références à d’autres films dont le charme ou le caractère mythique est censé se reporter sur Douleur et Gloire. Ainsi, Salvador retrouve son amour de jeunesse, Federico, qui est joué par l’acteur argentin Leonardo Sbaraglia ; or, dans Plata Quemada (Vies brûlées), il formait avec Eduardo Noriega, en 2000, un couple d’un érotisme torride. Vingt ans après, Sbaraglia est toujours séduisant, mais, à la place de Noriega, on a un Banderas complètement éteint, et le petit jeu du « couchera, couchera pas » est plus ridicule que troublant.

Cet amour de jeunesse a inspiré à Salvador un monologue théâtral, Addiction, dans lequel Federico est appelé Marcelo : Almodovar nous invite ainsi finement à mettre sa propre relation avec un acteur fétiche (Banderas ou un autre) au même niveau que celle qui unissait Federico Fellini à Marcello Mastroiani ! On retrouve aussi dans le film, vingt ans après encore, une revenante de Tout sur ma Mère, Cecilia Roth, dans un monologue exubérant où elle se vante, face au cinéaste sans inspiration, de toujours travailler, comme Jane Fonda, dans Youth, annonçait à un autre cinéaste en panne, qu’elle renonçait au cinéma pour faire des séries télé, bien mieux payées.

A ces rappels de films plus inspirés, il faudrait ajouter les clins d’œil aux dernières tendances de la mode, que ce soit la décoration de sa cuisine en rouge et bleu ciel, qui renvoie au revival des seventies, ou la maison troglodytique où emménage Salvador enfant : censée prouver la pauvreté de sa famille, elle renvoie en fait au succès actuel de ce type de logement (voir les pubs pour locations de vacances et les superbes photos de maisons troglodytes, avec même piscine intérieure !).

Mais Almodovar exploite aussi sa propre filmographie, dans l’intention de capitaliser les scènes et thèmes qui ont le mieux marché, essentiellement dans deux films, considérés parmi les plus réussis, Volver (2006) et La Mauvaise Education (2004).

De Volver, il reprend tel quel le personnage de Penelope Cruz en Andalouse folklorique et mère Courage caricaturale, sa vie de labeur se traduisant ici par une mauvaise humeur permanente (Almodovar est incapable de représenter le travail de façon concrète : la séquence de lessive dans la rivière dérive vite vers des plaisanteries érotiques et se termine en chanson folklorique).

Douleur et Gloire nous offre aussi un curieux reflet inversé de La Mauvaise Éducation : au lieu du curé qui viole un petit garçon, c’est ici un petit garçon qui s’excite à la vue d’un jeune ouvrier. La séquence a tout du scénario de film porno : le jeune ouvrier en question présente le type « gouape » qui semble avoir les préférences d’Almodovar ; aussi comprend-on tout de suite de quoi il retourne quand l’« ouvrier », qui est venu badigeonner les parois de la maison troglodyte, seul avec le petit Salvador, demande à se laver, sans aucun souci de vraisemblance (le père ou la mère peuvent rentrer à tout moment) : il se met nu, et se verse de l’eau sur le dos, avec des gestes langoureux, telle une Femme au Tub de Degas, suscitant chez le petit Salvador un désir tel qu’il s’évanouit. Ici, non seulement Almodovar inverse avec cynisme la situation de La Mauvaise Education (l’enfant en proie au désir au lieu de l’enfant violé), mais il rejoint, avec un naturel et une " évidence " stupéfiants, une thèse inquiétante (défendue par un certain ex-soixante-huitard aujourd’hui verdisé) qui affirme le droit de l’enfant à disposer de son corps et milite pour un abaissement de la majorité sexuelle, ce qui revient à le livrer sans protection aux désirs des adultes.

Almodovar n’a jamais eu la Palme à Cannes, malgré son assiduité : le jury va-t-il finalement céder, alors qu’à 69 ans, il ne fait que recycler depuis près de 50 ans les mêmes thèmes et ficelles, sans aucun souci du monde réel et de l’évolution de la société, en jouant sur des émotions frelatées et des scènes grossièrement tire-larmes ? Ce serait récompenser un mystificateur et une sorte de fake cinéma.

Rosa Llorens

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COMMENTAIRES  

25/05/2019 18:18 par irae

Excellent de lucidité cet article. Il y a beau temps en effet qu’Almodovar ne fait que s’auto-recycler. La movida est déjà bien loin, moeurs et préoccupations ont bien changé depuis, seul Pedro ne l’a pas vu.

26/05/2019 05:38 par gusdenantes

ah bon ?
il y a du cinéma a cannes ?

zut moi qui pensais qu’on faisait un parterre de photographe pour une soirée mondaine ou de belles déshabillée viennent montrer leur efforts de bronzage à une foule de gens surexcité d’apercevoir untel ou unetelle , starification qui me fait penser au saluts et au vivas des bêtes que l’on nourrit.

j’ai je sais pas combien d’année de film derrière moi , j’y connais rien je suis un spectateur c’est tout , je comprends juste pas le délire a propos des acteurs , qu’est ce qui leur prend a tous de faire un foin du diable pour une bande de pro qui se font de la pub ?

mon petit doigt me dit que tout cela est plus à analyser sous le thème de l’identification , des méthodes de captation de l’attention voir de la propagande pour une société marchande du spectacle , tiens je vais aller écouter guy debord sa me réconciliera avec l’industrie du spectacle , et au passage merci à l’auteur et aux publicateurs de ce texte , je connais rien au ciné , j’aime bien almodovar mais sans plus je ne dis pas que le texte m’ouvre les yeux , non mais il ajoute un point de vue un angle auquel ma culture ne me donne pas forcément accès , je le répète je m’en fou du ciné je me fais chier dans les salles depuis les années 90 et j’en ai marre de payer aussi cher pour revoir sans cesse les memes histoires ou des scènes vide qui graphiquement ne me racontent rien ou ne suggère rien , dernièrement je me suis surpris à me rendre compte que je passais plus de temps dans les mangas pour ado , parce que j’y trouve de la matière , à penser , à voir , à réagir , je sors toujours différent de ces scéances là souvent surpris par l’intelligence et la finesse du scénario ou de la narration .

27/05/2019 10:09 par J.J.

D’accord avec "gusdenantes" : il y a longtemps maintenant que je me désintéresse du cinoche (et pourtant au temps glorieux des Debrie 16 mm et de l’OROLEIS, j’étais opérateur et souvent animateur de ciné club en milieu scolaire).

Je préfère de loin la tranquillité d’un bon "polard", type Ruth Rendell, Mankell ou Hiaasen, pour citer des anciens.
D’ailleurs, si vous en connaissez des nouveaux dans ce genre, je suis preneur !

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