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Exclusions du P.T. brésilien.


Le grand historien et militant Pierre Broué nous a quittés ce mardi 26 juillet 2005, par Gérard Filoche.



LMA, janvier 2004


Les exclusions qui viennent d’être décidées par le PT brésilien posent problème et beaucoup se sont émus de voir exclure des militants fondateurs qui défendent la ligne du parti avant son arrivée au pouvoir, exclus du Parti pour avoir continué à défendre la politique pour laquelle ils ont été élus

Je dois pourtant avouer qu’une certaine presse de droite ou d’information à l’étranger m’indispose par ses exagérations voire ses mensonges cherchant à démontrer que Lula et son parti n’étaient que de passage et ont fondu dans la dure réalité.

Un exemple suffira : Lula aurait dit qu’il n’avait jamais été de gauche, et c’est tout. Or, s’il a démenti en effet avoir été « de gauche », c’est pour souligner qu’il n’a appartenu qu’au parti des travailleurs qu’il a fondé et qu’il ne s’est pas dit « de gauche » mais socialiste, ce qui est assez différent.


Pluralité d’appartenance

Il y a un problème d’organisation sur lequel tout le monde se tait : la double ou multiple appartenance. Le PT a été fondé par la fusion de militants appartenant à des mouvements, parfois des partis qui ont subsisté dans ses rangs en tant que « courants » avec une discipline propre. Les vétérans ont presque toujours une sorte de double appartenance, avec parfois deux disciplines opposées.

Bien des militants ont été émus des larmes d’Heloïsa Helena qui, elle, a une triple appartenance, puisque, sur le plan international, elle est liée au groupe qui fut dirigé par Michel Pablo, qu’elle appartient à Démocratie socialiste liée au secrétariat unifié de la IVe Internationale et finalement au PT qui l’a présentée au Sénat où elle a été élue et a voté plus de cinquante fois contre des textes présentés par la direction du groupe PT.

Quel objectif poursuivait-elle en votant contre ce parti qui ne la satisfaisait jamais tout en en restant membre ? Pourquoi n’a-t-elle pas « divorcé » de cette organisation pour une évidente « incompatibilité d’orientation » ? La double appartenance qui, dans les débuts du parti, fut un atout pour le rassemblement, une mesure positive, se change là en son contraire.

La presse française ne le dit pas, mais les exclus ont une autre organisation et un autre parti. Outre Heloïsa Helena dont j’ai indiqué plus haut la multiplicité des liens d’organisation, Joao Batista Araujo, Bà ba appartient aussi au CST (Courant socialiste des travailleurs) et Luciana Genro au MESC (Mouvement de la Gauche socialiste), deux courants nés de la scission de Convergencia Socialista. Tous deux y appartenaient l’an dernier, mais il a scissionné : depuis, Luciana et Baba sont dans deux groupuscules différents, exclus tout de même ensemble du Parti des Travailleurs.

Cela peut expliquer qu’il n’y ait pas eu une majorité écrasante pour les exclure. ll y avait beaucoup d’absents qui se sont dérobés devant un choix où ils n’étaient pas avec la direction, par exemple, l’ancien patron des bancarios puis gouverneur du Rio Grande do Sul, Olivio Dutra, ministre de la ville, était absent.

Comprenne qui pourra, que Baba et Luciana se soient opposés dans leur groupuscule et soient exclus ensemble du PT. Quel sens a , dans ces conditions, leur menace de former un nouveau parti ? Vont-ils se décider à être clairs ?


Oui, le PT a changé

Le PT a changé mais ce n’est pas un changement qui s’est fait dans les têtes ou a résulté de la terrible maladie mentale qui s’appelle le goût du pouvoir, après tout, le meilleur remède contre la révolution... Le comité de rédaction de Marxismo revolucionario Atual écrit :
« Le PT, construit par les travailleurs pour le rassemblement des opprimés comme leur instrument de représentation politique, après une dégénérescence rapide et une dilution programmatique, va devenir un agent central de l’application des plans néo-libéraux et va cesser de tolérer dans ses rangs des manifestations peu claires dans un projet de transformation sociale. D’un parti de classe, né dans la lutte contre la dictature, qui revendiquait le socialisme, passant par un bref moment de résistance au néo-libéralisme, le PT, sous le contrôle d’un groupe dirigeant bureaucratisé et coupé des intérêts de la majorité, s’est tourné contre ses créateurs. »

On peut négliger le ridicule de l’emphase et les faussetés politiques qui se déguisent en « marxisme révolutionnaire » ; Il reste qu’on est saisi qu’un réquisitoire contre la direction puisse être rédigé au futur sur les points capitaux et ne propose que d’obscures généralités et pas le moindre programme ni mot d’ordre de transition nécessaires pour poser la question du pouvoir.

En fait, au lieu de tripoter les citations, de pleurer, de maudire, les censeurs systématiques feraient mieux de réfléchir et de donner des explications qui ne soient pas des imprécations ou des banalités style Café du Commerce comme ce « pouvoir » qui serait une sorte de gangrène bien courue !

Emir Sader s’y est essayé dans La Jornada de Mexico du 24 décembre :

« Les chiffres et les faits du dernier congrès (Recife) montrent que les trois quarts des délégués ne sont pas liés au mouvement de base , mais exercent des fonctions institutionnelles dans les groupes parlementaires, les Préfectures (mairies), le gouvernement des états, les structures du parti. La moyenne d’âge a beaucoup augmenté et les secteurs d’âge moyen prédominent. Le secteur populaire/jeunes de la périphérie des grandes villes, Sans terre, Mouvement noir, entre autres, ont été réduits à un rôle secondaire et même dérisoire dans la vie du parti. »

Pour lui, le fait décisif, le vrai changement, s’est produit pendant la campagne électorale à partir de la vague de spéculation qui faisait craindre l’étranglement financier. Dans sa Lettre aux Brésiliens, Lula a donné le signal du changement : Alliance explicite avec le capital financier, et les organismes internationaux qui veillent sur ses intérêts. Selon lui, à ce moment-là , « la priorité du social » dans la politique gouvernementale est rendue impossible par les exigences du FMI. On verra dans un an .

Sader explique :

« Le gouvernement de Lula est devant la quadrature du cercle : reprendre le développement, redistribuer la rente, créer des emplois et affronter les graves problèmes sociaux brésiliens sans sortir du modèle néo-libéral ».

Il conclut que c’est la politique extérieure qui ouvrira une alternative. Le gouvernement Lula a préparé et mis en place une politique de souveraineté. Le choix sera entre Mercosur et Alca :

« Donner la priorité à Mercosur signifiera l’adoption d’une politique qui privilégiera le marché intérieur , avec distribution de rente, création d’emplois, redonnant la priorité aux politiques sociales (...) De ce dilemne dépend aujourd’hui la possibilité que la deuxième année du gouvernement de Lula ne consolide pas le chemin conservateur et lance une politique dépassant le néo-libéralisme qui a survécu et qui est resté au centre dans sa première année de gouvernement ».

De toute façon, avant de nous prononcer définitivement sur l’exclusion et sa signification, du point de vue des exclus compris, il nous faudra autre chose que des citations tronquées, une confusion systématique avec les retraites françaises-les fonctionnaires brésiliens s’arrêtaient à 42 ans-, une meilleure définition de ce qu’est la démocratie et la discipline dans un cadre démocratique. Il faudra aussi expliquer pourquoi perdure la popularité de Lula, pourquoi même ceux qui dénoncent un tournant ne dirigent pas leur colère contre le preneur de décisions. Enfin l’idéalisation du PT avant sa victoire électorale est un erreur. Ce n’est pas ce Parti des travailleurs-là qu’il faut refaire, mais un parti révolutionnaire des travailleurs dont il a en fait jeté les bases

Et puis l’empressement de la droite à affirmer que Lula a trahi, trahit, trahira les travailleurs, mérite le mépris et montre l’enjeu de ce débat de mots. Le point final n’a pas été mis ici.


Pierre Broué est historien. Article écrit pour Le Marxisme Aujourd’hui N° 53 : BP 276 - F 38407 Saint-Martin d’Hères.



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