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Faire grève, c’est « se moquer du monde », c’est-à -dire enfreindre moins une légalité civique qu’une légalité « naturelle », Roland Barthes, 1957.








"L’usager de la grève", 1957, extraits.


Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c’est-à -dire
non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral,
une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature.
Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d’une grève récente certains
lecteurs du Figaro.

C’est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en
exprime la mentalité profonde ; c’est l’époque où la bourgeoisie, au pouvoir
depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase entre la Morale et la
Nature, donnant à l’une la caution de l’autre : de peur d’avoir à 
naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l’ordre
politique et l’ordre naturel, et l’on conclut en décrétant immoral tout ce
qui conteste les lois structurelles de la société que l’on est chargé de
défendre.

Aux préfets de Charles X comme aux lecteurs du Figaro d’aujourd’hui, la
grève apparaît d’abord comme un défi aux prescriptions de la raison
moralisée : faire grève, c’est « se moquer du monde », c’est-à -dire
enfreindre moins une légalité civique qu’une légalité « naturelle »,
attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de
morale et de logique, qu’est le bon sens.

Car ceci, le scandale vient d’un illogisme : la grève est scandaleuse parce qu’elle gène précisément ceux qu’elle ne
concerne pas. C’est la raison qui souffre et se révolte : la causalité
directe, mécanique, computable, pourrait-on dire, qui nous est déjà apparue
comme le fondement de la logique petite-bourgeoise dans les discours de M.
Poujade, cette causalité-là est troublée : l’effet se disperse
incompréhensiblement loin de la cause, il lui échappe, et c’est là ce qui
est intolérable, choquant.
...

La restriction des effets exige une division des fonctions. On pourrait
facilement imaginer que les « hommes » sont solidaires : ce que l’on oppose, ce n’est donc pas l’homme à l’homme, c’est le gréviste à 
l’usager.

L’usager (appelé aussi homme de la rue, et dont l’assemblage reçoit le nom
innocent de population) ...l’usager est un personnage imaginaire, algébrique
pourrait-on dire, grâce auquel il devient possible de rompre la dispersion
contagieuse des effets, et de tenir ferme une causalité réduite sur laquelle
on va enfin pouvoir raisonner tranquillement et vertueusement.

En découpant dans la condition générale du travailleur un statut
particulier, la raison bourgeoise coupe le circuit social et revendique à 
son profit une solitude à laquelle la grève a précisément pour charge
d’apporter un démenti : elle proteste contre ce qui lui est expressément
adressé.

L’usager, l’homme de la rue, le contribuable sont donc à la lettre des
personnages, c’est-à -dire des acteurs promus selon les besoins de la cause à 
des rôles de surface, et dont la mission est de préserver la séparation
essentialiste des cellules sociales, dont on sait qu’elle a été le premier
principe idéologique de la Révolution bourgeoise.

C’est qu’en effet nous retrouvons ici un trait constitutif de la mentalité
réactionnaire, qui est de disperser la collectivité en individus et
l’individu en essences.
...

Ceci participe d’une technique générale de mystification qui consiste à 
formaliser autant qu’on peut le désordre social.

Par exemple, la bourgeoisie ne s’inquiète pas, dit-elle, de savoir qui, dans
la grève, a tort ou raison : après avoir divisé les effets entre eux pour
mieux isoler celui-là seul qui la concerne, elle prétend se désintéresser de
la cause : la grève est réduite à une incidence solitaire, à un phénomène
que l’on néglige d’expliquer pour mieux en manifester le scandale.

De même le travailleur des Services publics, le fonctionnaire seront
abstraits de la masse laborieuse, comme si tout le statut salarié de ces
travailleurs était en quelque sorte attiré, fixé et ensuite sublimé dans la
surface même de leurs fonctions. ... de même que tout d’un coup le citoyen
se trouve réduit au pur concept d’usager, de même les jeunes Français
mobilisables se réveillent un matin évaporés, sublimés dans une pure essence
militaire que l’on feindra vertueusement de prendre pour le départ naturel
de la logique universelle ...

Roland Barthes, Mythologies, 1957.




La grève

[La grève a toujours été un acte construit par l’initiative de minorités déterminées ou organisées, qui ont su cristalliser le désir de la majorité qui, autrement, demeurait refoulé et réprimé. L’acte véritablement démocratique, c’est la grève. Le droit de grève n’aurait jamais été conquis sans des initiatives "anti-démocratiques", des mises devant le fait accompli (les portes sont fermées, il y a un piquet ...), des actes de violence sans lesquels aucune légalisation ne serait jamais intervenue. La grève est illégale par essence. La grève n’est pas simplement l’acte par lequel on refuse de travailler à un moment donné. Elle modifie les rapports existants et créé un climat dans lequel les travailleurs discutent, s’ouvrent les uns aux autres de nouveaux horizons, se découvrent et découvrent leur force. Les assemblées générales, organisme vivant groupant le collectif de travail devenu collectif de grève, sont le lieu par excellence de ce travail collectif de soi sur soi. La grève par son existence même, et par ce qu’elle permet -piquets, assemblées, discussions, organisations, comités élus, unité syndicale, coordination des délégués ...- pose des questions qui vont au delà de ses motifs limités : elle met en cause, par cela même qu’elle l’interrompt fut-ce si peu, le principe de l’exploitation et l’ordre politique qui le soutient.- Le timing de Sarkozy-Fillon : contrat unique de travail et laminage du droit de grève, par Vincent Présumey. ]






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