Flexibilité = zéro emploi.

19 août 2005


Toutes les politiques néo-libérales « de l’emploi » reposent sur un postulat unique : le chômage n’existe que parce que le travail n’est pas une véritable marchandise. Si c’était le cas, le salaire, considéré simplement comme le prix du travail, devrait pouvoir baisser et ajuster l’offre à la demande. Seulement voilà  : toute une série de rigidités sur ce « marché » particulier y font obstacle, qu’il s’agisse du salaire minimum, des « charges » sociales ou du droit du travail. Et les indemnités trop « généreuses » allouées aux chômeurs les encouragent à s’installer dans le « luxe » (pour reprendre l’expression de Michel Bon quand il était président de l’ANPE) de ces « trappes à chômage ».

Les recettes néo-libérales se déduisent de ce postulat. Ainsi, Pierre Cahuc et Francis Kramarz proposaient, dans un rapport récent pour Sarkozy et Borloo, de passer « de la précarité à la mobilité », suivant en cela l’analyse du chômage développée par Cahuc, avec André Zylberberg, dans leur livre Le chômage, fatalité ou nécessité ? (Flammarion, 2004). Le petit détail est que cette analyse ne réussit pas à expliquer la création de deux millions d’emplois entre 1997 et 2001. Si la thèse des rigidités était juste, alors ces performances exceptionnelles - même en tenant compte de la croissance plus soutenue - devraient provenir d’une plus grande fluidité du marché du travail. Or il n’en a rien été : certes, le taux de rotation (demi-somme des entrées et sorties sur le marché du travail) atteint un point haut comparable à la reprise de la fin des années 80, mais pour des performances d’emploi bien meilleures. Et cette rotation plus rapide correspondait pour l’essentiel à des démissions de salariés qui saisissaient l’occasion de trouver de meilleures conditions d’emploi, au désespoir du patronat se lamentant aussitôt sur les « pénuries d’emploi ». En même temps, on a pu observer d’importants recrutements en CDI, et une pause dans le recours au temps partiel.

Les choses fonctionnent donc à l’inverse de ce que pensent les experts néo-libéraux : ce n’est pas la rotation plus rapide sur le marché du travail qui crée des emplois, c’est au contraire la dynamique de l’emploi qui accélère cette rotation, à institutions données. Le simple bon sens suffirait d’ailleurs pour mettre en doute ce théorème curieux selon lequel la liberté de licencier et d’embaucher permettrait de créer des emplois. En réalité, la formule gagnante au cours de cette « embellie » a été : stabilisation de la part des salaires, réduction du temps de travail, euro faible et politique budgétaire moins restrictive. L’épreuve des faits montre que c’est en tournant le dos à chacun des préceptes néo-libéraux que l’on a pu améliorer la situation de l’emploi, au moins temporairement.

Au cours de cette même période, le nombre de chômeurs a baissé de près d’un million. Etait-ce en raison d’un durcissement des conditions d’indemnisation ? Evidemment non : des emplois étaient créés et une partie de celles et ceux qui n’en avaient pas ont pu en trouver un. Et si deux millions d’emplois n’ont fait baisser le nombre de chômeurs que d’un million, c’est parce qu’un autre million de personnes qui étaient jusque là sorties de la population active sont revenues sur le marché du travail. Elles n’étaient donc pas installées dans le « luxe » du chômage, mais dans sa fatalité.

Les néo-libéraux ne sont pas des imbéciles. Les politiques qu’ils préconisent ne paraissent absurdes que si l’on pense que leur objectif est l’emploi. Comment croire en effet que la fusion du CDD et du CDI en un contrat de travail précarisé pourrait en soi créer des emplois ? Aucune des mesures prises par de Villepin, qui vont toutes dans ce sens, ne saurait obtenir un tel résultat. En revanche, elles vont dégrader la situation des salariés et des chômeurs. Car le chômage a son utilité : il exerce, avec la menace des délocalisations, une pression conjointe sur les uns et les autres. Les contraintes exercées sur celles et ceux qui n’ont pas d’emploi pour qu’ils acceptent n’importe quel salaire et n’importe quel statut conduit à dégrader la condition salariale dans son ensemble. La politique de ce gouvernement n’est rien d’autre qu’une entreprise de déconstruction sociale.

Michel Husson, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales). pour Regards, septembre 2005.

- Source : http://hussonet.free.fr


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- De michel Husson, lire entre autres :

Dix raisons de lutter contre la mondialisation capitaliste.

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Les mirages du financement de la sécu.

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COMMENTAIRES  

01/09/2005 22:32 par klod06

Il se trouve que j’ai posté un message sur le site actuchomage.org ("la délinquance patronale est systématique") sans avoir lu le présent article de Michel Husson.

L’article de M. Husson confirme l’utilisation du chômage par le patronat pour obliger les travailleurs à tout accepter (et les transformer en esclaves).

Dans mon message, j’assimile cette pratique à de la délinquance sociale, comme les délocalisations, les paradis fiscaux et autres combines patronales, et me révolte contre l’absence de sanctions à leur égard mais aussi contre l’indigence des médias à ce sujet.

Je vous livre le contenu de mes propos :

De tous les thèmes abordés dans actuchomâge, je pense que la délinquance sociale est celui qui mériterait la primeur.
Car dans ce forum qui lui est dédié, les affaires évoquées semblent donner l’impression qu’il ne s’agit que d’un problème anecdotique.
Mais enfin il s’agit d’une délinquance organisée à l’échelle mondiale !!!
Les patrons utilisent systématiquement toutes les combines pour échapper à leurs obligations.
La délocalisation par exemple doit être assimilée à de la délinquance sociale !!!
Les paradis fiscaux de même !
Les médias ont une responsabilité scandaleuse dans l’interprétation qui est faite de ces combines patronales.
Car si l’on prend le thème des délocalisations, le sujet est abordé comme n’importe quel problème politique.
Alors que les actes de délinquance en banlieue sont traités comme des affaires criminelles.
Dés lors qu’il s’agit d’entreprises, ces actes sont présentés comme « des affaires » au lieu d’actes passibles de sanctions.
Les entreprises sont donc traitées dans les médias dominants avec un respect tout à fait méprisant vis à vis du peuple, mais la politique de Sarcozy n’a jamais été différente : les sanctions ne sont que pour les individus, pas pour les entreprises !

Ne nous arrive t-il pas d’autre part de voir le sujet abordé dans le journal de 20h, affiché le lendemain d’une toute autre manière sur les magazines comme Marianne, Politis, ainsi que dans les webzines comme Actuchomage, le Grand Soir, Acrimed...
Ces médias hélas sont volontairement destinés à rester marginaux : il faut forcément être complaisant avec les patrons pour avoir accés au journal de 20h, puisqu’il est réalisé dans une de leur filiale...
Mais les Français, par ce décalage incroyable entre médias dominants et alternatifs, ne vont-ils pas un jour prendre conscience qu’il y a là une manipulation de l’opinion ?

Et qu’en est-il finalement du chômage ?
Quand donc notre société prendra t-elle conscience qu’il ne s’agit pas « d’un problème social », mais d’une volonté du patronat afin d’obtenir une main d’oeuvre corvéable à merci ?
Ne faut t-il pas dénoncer le fait qu’ils organisent eux-mêmes volontairement la rareté de l’emploi ?
Crions-le haut et fort : le chômage n’est qu’une combine patronale parmi d’autres !!!
Et elle doit être sanctionnée !!!
Non seulement nous devons présenter les choses ainsi, mais dénoncer les médias qui ne le font pas !!!

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