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Haiti, le chaos : A qui la faute ?

« Joseph Michel Martelly au pouvoir en Haiti , à qui la faute ? », s’indigne Herns Mesamours [1].

A qui la faute ? Pas aux pontifes des différentes religions et/ou sectes qui pouse nan peyi a tankou dyondyon .On ne peut reprocher aux Ligondé, Verrier, Kébreau, Poulard, Athis, Sicot, André Pierre etc, leur cohérence, leur constance, leur assiduité, leur acharnement à toujours défendre leurs intérêts de classe quand ils ont par exemple tué dans l’oeuf la Mission Alpha pour son Goute sèl…

A qui la faute ? Pas à ladite « Communauté Internationale » qui a toujours mis en place, supporté, soutenu les régimes dictatoriaux. On nous annonce en grande pompe que l’ambassadeur de France en Haiti vient de refuser de serrer la main (couverte de sang) du sanguinaire Jean-Claude Duvalier. Pharisaisme ! N’est-ce pas l’actuel ministre des Affaires Étrangères de la France qui a hébergé ce dernier lors de sa fuite d’Haiti le 7 février 86 ?

A qui la faute ? Pas à la minorité possédante . Elle a reconquis le pouvoir politique, le seul qui lui avait « virtuellement » échappé.

A qui la faute ? Pas à ladite élite intellectuelle qui s’est révélée excessivement médiocre !

A qui la faute ? Pas à nos parlementaires qui pour la plupart se payent une immunité, les uns dealers de drogue, les autres agents de la CIA, escrocs, illettrés presque…

A qui la faute ? Pas à Aristide, Préval… Mais aux Partis politiques.

La faute est aux ex-militants de Atis Endepandan, aux ex-militants de L’heure Haitienne, aux carriéristes de l’Opposition, aux ex-militants de Tèt Kole Ti Peyizan, aux ex-militants des TKL, à la CHR…

La faute est à oumenm, mwenmenm ki lave men n, ki fèmen dan nou, ap gade san pran sa k ap pran san gade yo. Notre silence, notre indifférence est coupable. Nous sommes tous des lâches.

« Aujourd’hui, dans cette grande débâcle politique, tous les faux leaders se sont révélés de purs maniaques du pouvoir, sous leurs apparences de technocrates, de populistes ou de révolutionnaires. Au milieu des partis fantoches et des discours usés, face à la réalité inchangée de la violence et de l’exploitation, on se souviendra peut-être du Karl [2] militant honnête, amoureux de son peuple, à la parole radicale, sans concession aux démocrates de salon et aux poètes de tout acabit, attentif aux revendications des mouvements de base. Mais ses vertus et les sympathies qu’attire une telle figure vers la lutte de son peuple ne sont plus qu’un souvenir dont l’histoire ne peut même pas assurer la conversion en utopie » [3].

Parti il y a quatre ans déjà , au soir d’une révolution longtemps attendue, Karl n’a pas connu le destin tragique de son pays d’Haiti dans l’après-Duvalier. Toutefois, il appréhendait déjà les lendemains du mouvement poignant de ce peuple sans leader, mais aussi sans stratégie et sans horizon alternatif [4].

A QUI LA FAUTE ? nous conduit à POUR QUI SONNE LE GLAS ?, un texte de KOMITE PA BLIYE HAITI paru le 3 octobre 1995 il y a près de 17 ans... et dont voici la teneur :

« Aristide est un homme seul, avec une ruée d’admirateurs, un certain nombre de collaborateurs, quelques amis et beaucoup de personnes qui veulent l’utiliser. Il n’a ni équipe, ni organisation. [..] La candidature d’Aristide est prématurée et improvisée. L’homme aurait pu mieux s’y préparer et donner au pays de meilleures chances de libération sous sa gouverne. Au pouvoir, il va bricoler et ce n’est pas ainsi que nous serons conduits à mener valablement la politique d’indépendance et d’auto-suffisance nécessaire à la réaffirmation de notre dignité et pour la satisfaction à terme de nos besoins les plus immédiats » [5].

Si le retour d’Aristide qu’on a fait coincider avec le repli commandé des criminels ne devait avoir pour effet majeur que de conduire à nouveau le peuple aux urnes sans même avoir instauré les conditions minimales de justice, ce serait s’illusionner de façon tragique non plus sur l’avenir de la démocratie en Haiti mais bien plus sur l’avenir d’Haiti elle-même, soulignons-nous en novembre de l’année dernière.

Sonnette d’alarme à laquelle les tenants du pouvoir légitime sont restés sourds… ou plutôt ont réagi en s’évertuant, par la magie de la réconciliation, à faire couvrir du simple voile de l’oubli ces trois années pendant lesquelles le peuple haitien a vu, entre autres choses, l’aube lui apporter chaque matin sa fournée quotidienne de cadavres.

Propos sans nuances de détracteurs professionnels, serait tenté d’arguer le lecteur ! Mensonge, diffamation, objecteront les intrépides thuriféraires du régime ! Nous essaierons, pour la pleine édification des uns et des autres, de donner quelques éléments concrets, significatifs, en évitant, autant que faire se peut, l’écueil patent ici d’en dire à la fois trop et trop peu. Ce texte ne vise donc qu’à contribuer à la discussion sur la compréhension, et les leçons à tirer, des événements, notamment du processus de démocratisation suivi jusqu’à maintenant.

Les événements survenus en Haiti les trois dernières années du coup d’État mais aussi le processus en cours depuis le 19 septembre 1994 ne peuvent être convenablement saisis qu’en fonction du nouveau contexte mondial - et surtout nord-américain - dans lequel ils se situent : la phase nouvelle/actuelle de l’impérialisme et ses effets ; la promixité d’Haiti avec les États-Unis n’étant pas seulement ni même principalement géographique.

C’est trop évident pour qu’on y insiste, les États-Unis ont systématiquement et constamment soutenu le coup d’État, mais il serait peut-être exagéré d’en tirer la conclusion qu’il s’est fait soit à leur instigation soit, à l’inverse, en dépit ou contre leur volonté. Ce serait, il nous semble, négliger le poids spécifique des facteurs internes.

La thèse du complot qui fixe le problème autour du rôle direct, immédiat et exhaustif des États-Unis présente l’avantage appréciable d’écarter l’examen de nos propres erreurs et surtout de fermer les yeux sur les conjonctures internes qui ont précisément permis aux interventions, dont l’occupation, d’être efficaces. Elles n’ont pu jouer un rôle décisif qu’en s’articulant aux rapports de forces internes. Les U.S.A ont acquis une large expérience dans la répression des peuples et dans leur rôle de gendarme des bourgeoisies.

Il y a certes une stratégie globale des U.S.A mais il n’y a pas qu’une tactique des U.S.A, il y en a plusieurs. En fait de stratégie ils ne misent pas sur une seule carte. Ils en ont plusieurs qui ne sont pas pour eux équivalentes et ils préfèrent certaines à d’autres, bien que souvent ils les jouent simultanément. Leur stratégie peut donc s’adapter à plusieurs solutions qu’ils ne soutiennent ni avec la même intensité, ni avec la même constance, ni par les mêmes moyens. La CIA, le Pentagone, l’Exécutif, le Congrès etc, adoptent souvent des tactiques différentes et parfois parallèles. Rien de plus faux donc que de considérer les U.S.A- et leur politique extérieure, quand bien même ils nous considèrent comme leur arrière-cour, -comme un bloc monolithique sans fissures.

Il serait trop long de détailler toutes les péripéties de ces trois ans de terreur, de sang et de destruction. Rappelons seulement, que par une conjugaison d’intérêts, tout fut mis en oeuvre pour solidement tenir la population en laisse. Seule sa résistance opiniâtre a forcé à une modification du plan cauchemardesque du 30 septembre 1991… Acculée à un héroisme quotidien, elle a réussi à subvertir, dans un premier temps, la nature et l’action de la puissante armada dépêchée sur son territoire le 19 septembre 1994. Mais pour qui a vraiment sonné le glas quand on sait que cette force d’appoint à l’oppression avait été préparée à entrer en action, sans délai, dans une atmosphère de terreur, de carnage, de violence, de pillage et de sang ?

Lorsque Clinton, déployant sa superbe devant les cameras du monde, avait parlé de retour de la démocratie (sous occupation) en Haiti, il s’est trouvé des coeurs d’une touchante pureté pour se convaincre au quart de tour de l’imminence du meilleur des mondes. Les liquidations physiques, les immixtions intempestives de l’occupant démontrent à suffisance que Haiti n’est pas sorti de l’ornière. De désarmement des zenglendos : membres du Fraph, militaires démobilisés, attachés..., point. Mais bien encerclement musclé de la population. On « nous » fit avaler des couleuvres !

Aristide demeure le président de jure mais le président de facto, de fait, est incontestablement mister Schrager. On aura beau dire aujourd’hui, il reste que l’anesthésie des docteurs Clinton/Carter et de leurs assistants a bel et bien fonctionné. Si le bras armé de la force étrangère devait quitter le pays, la relève est assurée. N’est-ce pas lui qui forme nos futurs anciens policiers ? Gendarmerie nationale, Garde nationale, Garde d’Haiti, Forces armées d’Haiti, Police nationale….. Mais il n’y a pas que des sorciers, des anesthésistes. Il y a aussi ceux qui gardent un oeil rétif et qui n’ont pas gobé la première pilule..

Pour qui a-t-on donc voulu véritablement sonné le glas ? Pour les zenglendos ou pour le mouvement populaire ? Une situation d’une ambiguité explosive donc !

Le chef de l’État est, semble-t-il, chargé de gérer des exigences contraires. Fonctionnant en pleine dictature de l’urgence, il a clairement opté pour des considérations tous azimuts qui présentent le grand inconvénient - ou avantage - de noyer l’essentiel. Comment comprendre que la Commission Nationale Justice et Vérité et dans une moindre mesure la Secrétairerie d’État à l’Alphabétisation aient choisi de travailler à toutes fins pratiques sous le boisseau alors qu’ils auraient pu constituer de puissants leviers de mobilisation pour remettre le peuple sur la scène politique dont il a été si brutalement éjecté ?

Il est douteux donc que l’étape de démocratisation puisse se consolider comme telle. Une rechute, un retour au passé sont-ils à craindre ? C’est un danger qui est loin d’être écarté : les limites de la démocratisation qui a pris la forme concrète de Réconciliation nationale permettent encore - et pour longtemps - l’existence de forces puissantes de la réaction… en réserve de la République. Qu’elles restent vigilantes et prêtes à intervenir, est une évidence ; tandis que les tenants actuels du pouvoir continuent à nous présenter leurs divers « compromis historiques » comme recours, in extremis, contre le passé.

Une partie appréciable des agents de l’État, irrécupérable même par le mouvement démocratique - encore moins par le mouvement populaire - mais bien utile à la bourgeoisie en prévision de luttes futures, reste en place, en osmose étroite avec les appareils politiques propres de la bourgeoisie en voie de reconstitution, de consolidation. Car la bourgeoisie, même si l’expérience montre qu’elle peut être, dans des conjonctures précises, un allié, elle ne cesse jamais d’être, en même temps, un adversaire.

L’ossature institutionnelle des régimes précédents n’est pas touchée. Plusieurs secteurs n’ont marché contre les régimes Duvalier, Namphy, Manigat, Avril, Trouillot qu’à condition, plus même, pour que la « continuité de l’État », la leur, soit préservée. Ils ont maintenant misé sur Aristide - chose tout aussi évidente - pour maintenir les luttes populaires dans les limites « raisonnables ». Dans le dernier rapport « secret » en date du 1er septembre 1995 du commandant en chef de la force d’occupation à son supérieur hiérarchique, il fait part de ses inquiétudes et des dispositions à prendre si Aristide n’arrive pas, face à la montée croissante des revendications populaires relatives à la justice, à mettre la population au pas.

Donc, confusion remarquable : politique de va-et-vient, de zigzags constants, de reculs. Bref, de réconciliation. Amnistie. Compromission. Laxisme. Corruption. Vogue la galère !

C’est donc une fois les compromis faits que les organisations populaires sont appelées à intervenir dans le processus. Elles peuvent tout au plus reculer les limites imposées mais ne peuvent que difficilement - et seulement à long terme - les éliminer, car leur intervention survient, sinon tout à fait après coup, mais de façon relativement tardive… Risque calculé ou calcul risqué ?

Il faut, certes, que le mouvement populaire - et ses organisations - qui a une potentialité extraordinaire ne reste plus dans l’attente du « grand soir », mais oeuvre en permanence pour créer des échéances, pour s’assurer des bases solides de pouvoir politique propre, en organisant des formes de pouvoir populaire à la base, parallèles et extérieures aux appareils d’État. Autrement, à force d’attendre, ce n’est pas le « grand soir », ce sont les petits matins des chars qui, comme au matin du 30 septembre 91, finiront par arriver. Il y a des faits têtus qui ne peuvent être contournés d’aucune façon. A moins de vouloir se leurrer complètement et rebâtir l’histoire avec des si.

Malheureusement, ce qui frappe actuellement, c’est le caractère immature, chaotique, fragmentaire et contradictoire des initiatives populaires et aussi l’absence de coordination et d’alliance entre organisations populaires sur un programme et des objectifs nettement définis.

Yvon Pierre

26/06/12

P.S : Mesamours, comment as-tu fait pour avoir accès aux colonnes du Nouvelliste ? Pas un de mes textes n’y a été publié..!

Notes :

[1] Le Nouvelliste, Haiti # 38772, p. 26 21 juin 2012

[2] Karl Léveque, jésuite haitien décédé à Montréal Canada le 18 mars 1986

[3] in Karl Léveque : la militance à l’épreuve de la pensée par Marc Maesschalck, 1990

[4] cf Impressions d’un retour d’exil in Relations, Avril 1986 pp 77 et 78

[5] Renaud Bernardin , 21 octobre 1990

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Claude Lanzmann. Le Lièvre de Patagonie. Paris : Gallimard, 2009.
Bernard GENSANE
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