« Tout ce qu’il faut pour que le mal persiste, c’est que les braves gens ne fassent rien ». Edmund Burk.
Les Duvalier (Baby Doc), Supplice, Gillot, Achille, Avril, Philippe, Chamblain et consorts, bien protégés, récompensés ou... abandonnés par leurs tuteurs, attendaient des jours propices. Ces criminels patentés, repliés dans leurs bases tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, leurs mains couvertes du sang de leurs victimes aux mains nues, nous reviennent, sans peur et sans crainte. Par la grande porte. Officiellement.
Finie la « bamboche démocratique ». Intermède éphémère donc pour cette Haïti martyre, un pays qui poursuit son chemin dans la tragédie comme un train sans frein dans une pente à 45 degrés !
« Le 15 octobre 1994, -[il y a 17 ans]-, le peuple haïtien en liesse s’est réjoui du retour d’un exil de trois (3) ans du président Jean Bertrand Aristide élu démocratiquement par une écrasante majorité de la population. [Ce] retour [...] qu’on a fait coïncider avec le repli commandé des criminels serait un fragile répit, un intermède éphémère pour le peuple haïtien si l’on s’évertuait à lui faire couvrir du simple voile de l’oubli ces trois (3) années pendant lesquelles il a vu, entre autres choses, l’aube lui apporter chaque matin sa fournée quotidienne de cadavres. [...]. Si ce retour ne devrait avoir pour effet que de conduire le peuple aux urnes sans même avoir instauré les conditions minimales de justice, ce serait s’illusionner de façon tragique non sur l’avenir de la démocratie en Haïti mais bien plus sur l’avenir d’Haïti elle-même ». [1]
Signal d’alarme que nous avons laissé virer au rouge !
La messe est-elle dite pour autant ? Aux braves gens d’y répondre aujourd’hui. Concrètement. Que finissent les palé anpil, les voyé-monté « qui n’engagent à rien ». Les grandizè-tifezè ont assez pavoisé... nan savann nan.
La génération des 50-75 ans, la nôtre, doit s’astreindre à un double devoir : devoir de mémoire certes, mais aussi et surtout devoir d’histoire envers la jeunesse. Combien d’entre nous ont pris conscience que les plus âgés de nos universitaires (jeunes) avaient au plus cinq (5) ans, quand Jean-Claude Duvalier prit la poudre d’escampette le 7 février 1986 ?
Et puisque que nous y sommes, quelques dates de ce mois de novembre à leur intention. Outre l’assassinat de Charlemagne Péralte sous l’occupation américaine (1er nov. 1919), et le bombardement de la ville du Cap-Haïtien par les Britanniques (9 nov. 1865), retenons sous les Duvalier et les FAD’H le :
- 22 novembre 1960 : établissement de la loi martiale sur le pays entier
- 24 novembre 1960 : expulsion de Mgr François Poirier, archevêque de Port-au-Prince
- 12 novembre 1964 : exécution des survivants de Jeune Haïti, Louis Drouin et Marcel Numa
- 9 novembre 1979 : vendredi noir chez les Salésiens de Port-au-Prince
- 28 novembre 1980 : vague de répression : arrestations/expulsions de journalistes, d’hommes politiques...
- 28 novembre 1985 : assassinat aux Gonaïves de trois (3) jeunes écoliers : Jean Robert Cius, Mackenson Michel et Daniel Israël
- 22 novembre 1987 : incendie du Marché Salomon précédé de celui du magasin d’Emmanuel Ambroise du CEP (le 3) et de Le Natal, imprimerie chargée de l’impression des bulletins de vote (le 4)
- 29 novembre 1987 : massacre à la Ruelle Vaillant et annulation des élections générales.
Dans ce pays écartelé, culturellement détérioré, socialement désintégré, la culture civique et démocratique n’a eu que très peu de temps pour s’imposer.
Nous entendions, la semaine passée, des parlementaires autour du dossier Sweet Micky/Arnel Bélizaire pérorer sur la crise qui perdure en Egypte. Ils faisaient montre de leur ample connaissance de la politique internationale... Ces badernes et leurs médias auraient pu s’attarder quelque peu sur ce qui se passe plus près de chez nous en Amérique latine, notamment au Nicaragua où il y a eu des élections le 6 novembre. Voici un extrait de ce qu’en dit Maurice Lemoine de Le Monde Diplomatique :
« M. Ortega, l’un des principaux dirigeants de la guérilla christiano-marxiste qui, en 1979, a renversé la dictature d’Anastasio Somoza, a été élu une première fois en 1984. Devenu à son corps défendant l’un des enjeux de la guerre froide, le Nicaragua fut alors soumis à une féroce agression américaine par contre-révolutionnaires interposés " la contra [2]. Le viol du droit international fut tel que, en 1986, la Cour internationale de justice de La Haye condamna Washington à payer 17 milliards de dollars d’indemnisation à Managua pour avoir soutenu les mouvements « terroristes » agissant en territoire nicaraguayen depuis le Honduras " décision que les gouvernements américains successifs ont ignorée et continuent à ignorer avec mépris. C’est donc épuisés et ayant laissé 30 000 morts dans ce combat inégal que les Nicaraguayens, dans une nation ruinée, « mirent les pouces » en 1990, permettant à la droite de revenir au pouvoir en la personne de Mme Violeta Chamorro. S’ensuivirent seize années de politiques néolibérales qui, ravageant à leur tour le pays, ramenèrent M. Ortega à la présidence le 5 novembre 2006 ». [3]
Revenons avec nos très peu ""Honorables’’ à l’ignominie du 22 novembre : après les martiales déclarations de Martelly et Mayard à leur endroit, c’est la main tendue. Appels téléphoniques, rencontres, promesses d’argent, visas, discours d’apaisement... Discours repris par les Kélly Bastien, Latortue et autres spécimens du genre. L’adage « La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit », peut-il trouver plus belle illustration ?
Vivre sans conviction est un autre des malheurs caractéristiques de la société dans laquelle nous surnageons. La vie politique de ces derniers mois nous plonge dans une désolation d’autant plus indolore qu’elle est sans éclat. Nos ""Honorables’’ donnent à penser que toute considération pour le bien public est inféodé à l’intérêt partisan et personnel. Le « patri-pochisme », la nouvelle idéologie !
Nous vivons à l’ère des rusés, des petits malins, des gros mystificateurs, des cyniques, des chen. En ces temps difficiles donc, « il convient d’accorder notre mépris avec parcimonie tant nombreux sont les nécessiteux ».
Yvon Pierre
Notes :
[1] Justice oui. Impunité non. Texte militant paru en novembre 94.
[2] Une cargaison d’armes illégale, destinée aux Contras et transitant par Haïti, fut confisquée par le défunt colonel Jean Claude Paul.
[3] Le Nicaragua persiste et signe, LMD 10 novembre 2011.
Source : Haiti-Progres 30 novembre - 6 decembre 2011