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Journée de La Femme : Hommage à Aafia Siddiqui

«  Dis-moi comment tu traites La Femme, et je te dirai qui tu es. »
Marek Halter (1)

En ce 8 mars, «  Journée de La Femme », ou plus précisément «  Journée des Nations Unies pour les Droits de La Femme et la Paix Internationale », ayons une pensée pour une femme dont on n’évoque jamais le sort dans les médias de l’Empire : Aafia Siddiqui.

Quelques courageux s’y sont essayés, en dehors des véhicules traditionnels de l’appareil de désinformation. Notamment, dans les médias indépendants anglophones (2) et francophones (3). Il est vrai que le Pakistan, c’est loin.

Oui, Aafia Siddiqui est Pakistanaise. Diplômée en neurosciences d’une des plus prestigieuses universités des USA, le MIT (Massachussetts Institute of Technology). Elle s’était spécialisée dans les modes d’apprentissage des enfants et sur les thérapies de la dyslexie.

Mariée, mère de trois enfants : deux garçons et une fille. Partageant son temps entre ses consultations, car elle était médecin avant tout, ses recherches, son enseignement. Musulmane pratiquante, elle trouvait le temps d’animer des actions caritatives, collectant des fonds, organisant des secours, pour les démunis et les exclus de la société.

Le mensonge des escadrons de la mort

Jusqu’au jour où son destin bascula. Comme souvent quand il vole en éclats, ce fut dans l’horreur. Enlevée à Islamabad, avec ses trois enfants. En mars 2003. On perd sa trace, totalement.

A l’exemple de ces dizaines de Pakistanais, enlevés, disparus, dont on ne connaît pas le sort. Rappelant les pratiques en usage en Amérique latine lors de l’Opération Condor où les opposants, au Chili ou en Argentine notamment, étaient victimes de ces actions secrètes organisées par les "escadrons de la mort" , émanation des services spéciaux occidentaux.

Puis, par un prisonnier de nationalité britannique libéré, on apprend sa présence dans le camp US d’internement et de torture de Bagram, en Afghanistan. Sous le numéro : 650. Elle y aurait subi de multiples tortures, physiques, psychologiques, et viols. Pendant 5 ans.

Pour couvrir cette abjection, les autorités d’occupation inventent un scénario à la hauteur de leur intelligence de soudards : "grotesque" .

Ils prétendent ainsi qu’Aafia Siddiqui aurait été arrêtée dans la ville afghane de Ghazni, transportant dans "son sac" des produits chimiques, des plans pour faire des bombes et une liste de cibles aux USA (entre autres : Wall Street et le Pont de Brooklyn…). Tout juste, si elle n’affichait pas tout cet attirail sur une pancarte accrochée à son dos…

Diabolisée, considérée comme une militante d’Al Qaïda, surnommée par les organes de propagande Lady Al Qaïda, diffamée y compris sur sa vie privée, peinturlurée en pétroleuse des armes à feu et des bombes…

Suite à cette arrestation, elle est interrogée par une dizaine d’hommes de l’armée et des services spéciaux US. Au cours de cette cordiale entrevue, elle aurait tenté de s’emparer d’un fusil (que faisait un fusil dans une salle d’interrogatoire ?...) tirant sans blesser qui que ce soit. C’est elle qui est blessée par balle à l’estomac.

Transférée aux USA, elle est jugée finalement le 23 septembre 2010 à New York. Dans sa condamnation, le juge Richard Berman, ne retient aucun motif relevant du scénario terroriste à l’encontre de cibles aux USA, ni de collusion avec Al Qaïda et autres réseaux armés. Du fait de l’absence de preuves crédibles.

Elle est donc condamnée à 86 ans de prison pour avoir menacé et tiré, sans les blesser, sur ses interrogateurs US. Constituant le seul acte de "terrorisme" à sa charge. Ce qu’elle a toujours nié, disant ne pas savoir utiliser une arme.

Mais, six militaires ont témoigné contre elle… L’accusation, par la voix de l’Assistant US Attorney (équivalent d’un substitut du procureur) Christopher La Vigne, souhaitant une condamnation à perpétuité, ne cessant de clamer : «  Cet acte, ce crime était horrible par son intention », ("This act, this crime was horrific in its intent" )… (4)

Relevez avec soin le mot : «  intention ». Le support, la légitimation de toute Inquisition : l’intention.

Parodie de Justice qui choque les citoyens américains eux-mêmes, du moins ceux qui se soucient des Libertés Publiques et de la Dignité Humaine. (5)

Avec dignité, devant les protestations de la salle d’audience à l’énoncé du jugement, Aafia Siddiqui a demandé à l’assistance de pardonner au Juge et au Jury, faisant référence au Prophète qui n’avait jamais pratiqué la revanche personnelle. Affirmant qu’elle ne voulait pas faire appel, sachant que ce serait une procédure inutile.

Elle est, à présent, enfermée dans des quartiers de haute sécurité à la prison de Forth Worth, au Texas, comme une redoutable criminelle. Aucun contact avec l’extérieur. Sans voir ses enfants, bien entendu.

Le silence des Belles Ames

Notons qu’après plusieurs années de détention, séparés de leur mère, deux de ses enfants ont été rendus à la famille. Le troisième serait mort au moment de l’enlèvement. Ahmed l’ainé, qui avait 12 ans lors de l’enlèvement et souffre de graves troubles psychologiques, se souvient de son petit frère, Souleiman, âgé de 6 mois, gisant sur le sol dans une mare de sang. Dans son procès, Aafia Siddiqui a pu faire allusion au fait qu’ils auraient été torturés sous ses yeux.

Pourquoi cet acharnement ?...

Ces personnalités scientifiques, avec leur formation et leur expérience de niveau international, sont très surveillées par les services spéciaux. Elles forment une élite, un leadership potentiel, constituant, dans leur vision paranoïaque, un danger pour les intérêts de l’Empire et les dictatures corrompues qui contribuent à leur protection.

Son simple mode de vie était vécu come une provocation. Elle n’intégrait pas le circuit de la corruption. Au contraire, son comportement citoyen, son éthique, représentaient un véritable blasphème pour l’oligarchie et ses «  escadrons de la mort ». Ce déni devenant un délit d’intention, une hérésie, pour atteinte aux intérêts de l’Empire.

D’autant plus qu’elle était une femme musulmane, ne correspondant pas aux canons de la propagande islamophobe ne cessant de les dépeindre en "femme-esclave" qu’il convient de libérer. Son dynamisme, son indépendance d’esprit, son rôle actif dans la collectivité, son influence, son rayonnement, gênaient les spécialistes de la désinformation.

Pour eux, il devenait indispensable de la diaboliser comme une sorcière au Moyen-Age, la brûler en place publique après torture et faux procès. Ces personnes qui veulent donner du sens à leur société, à leur collectivité, on les assassine ou on les brise. Elle est tombée dans la deuxième catégorie. Elle est brisée.

Pour l’Empire, c’est un exemple destiné à bien faire comprendre que même dans son comportement on se doit de se plier à ses volontés, ses normes, ses représentations, surtout dans les pays colonisés sous dictature. L’Empire ne pratique pas la "guerre contre La Terreur" . Il instaure la terreur.

Mais, Aafia Siddiqui n’est pas oubliée. Heureusement, blogs, sites, se sont constitués à travers le monde. Tout un maillage de solidarité, grâce à Internet. Des bénévoles voulant défendre la Dignité Humaine (6), ainsi que sa famille qui se mobilise tenant un site officiel, malgré menaces et piratages, animé par ses soeurs tout particulièrement (7).

Elle est devenue au Pakistan et en Asie un symbole de l’acharnement de l’Occident dans le déni du respect élémentaire de La Dignité Humaine, de la Justice, à l’égard des populations qu’il domine militairement.

Bien sûr, Les Belles Ames se taisent, chez nous. La cause n’est pas «  vendable »…

Les associations et ONG ayant pignon sur rue, si promptes à s’enflammer pour le moindre "dissident" , craignent de perdre sponsors et subventions, provenant de multiples canaux. Plus souterrains et occultes que transparents. Leur hantise : voir le robinet soudainement se fermer !… Adieu voyages, congrès et autres prétextes à fréquenter palaces, plateaux TV et «  grands » de ce monde !…

C’est le culte du Totem : la langue de bois.

Contemplez dans ce texte en français celui, en acajou massif, d’Amnesty International, véritable chef d’oeuvre du genre (8)…

Elle a eu 39 ans, le 2 mars dernier.

Aafia Siddiqui, ton supplice incarne toute l’injustice et la violence de cet Empire malade, profondément malade, qui dans sa mégalomanie prétend donner des leçons d’humanité à la planète. Il t’a emmurée vivante, comme au Moyen-Age on jetait dans les oubliettes après la torture. Probablement, pour que tu n’entendes pas les voix de ceux qui partagent ta souffrance et exigent ta libération.

Mais, au-delà des murs, grilles et portes blindées, nous savons que tu ressens les vibrations de cette multitude de pensées, de tendresses, de prières, veillant sur toi…

Georges STANECHY

(1) Marek Halter, Cf. Personnalité de l’Année 2010, sur ce blog.

(2) Victoria Brittain, The Siddiqui Case - A New Turn as Lawyers Release Explosive, Secretly Recorded Tape, A CounterPunch Special Report, 14 février 2011, http://www.counterpunch.org/brittain02142011.html

(3) Pascal Sacre, Le traitement médiatique et politique des prisonniers d’opinion, Le Grand Soir, 17 octobre 2010, http://www.legrandsoir.info/Le-traitement-mediatique-et-politique-des-prisonniers-d-opinion.html

(4) Patricia Hurtado et Bob Van Voris, Pakistani Woman Gets 86 Years for Attacking Americans, Businessweek, September 23, 2010, http://www.businessweek.com/news/2010-09-23/pakistani-woman-gets-86-years-for-attacking-americans.html

(5) Stephen Lendman, Aafia Siddiqui : Vicimized by American Injustice, http://wondersofpakistan.wordpress.com/2010/02/10/aafia-siddiqui-victimized-by-american-injustice/

(6) Exemple : http://www.justiceforaafia.org/

(7) Site officiel animé par sa famille : http://www.freeaafia.org/

(8) Amnesty International, Etats-Unis - Amnesty International assistera à titre d’observateur au procès d’Aafia Siddiqui, Déclaration publique, Index AI : AMR 51/004/20010, 19 janvier 2010, http://www.amnesty.org/en/library/asset/AMR51/004/2010/en/7a8ad8a4-90b5-4567-9e42-e9ee86838918/amr510042010fr.html

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COMMENTAIRES  

08/03/2011 10:53 par kounet

Aafia Siddiqui, on pense à toi et on vomit tes tortionnaires , ils sont décadents et donc ils mordent mais ils tomberont .

08/03/2011 11:18 par cultive ton jardin

Même vous, vous parlez de "LA" femme ? Et vous reprenez cette formulation fourre tout de "Journée des Nations Unies bla bla bla" ? J’ai dû me tromper sur votre compte...

08/03/2011 11:20 par legrandsoir

et l’article, vous en pensez quoi ?

08/03/2011 13:02 par Anonyme

Au grand soir,

Il est toujours plus douloureux d’être trahi(e) par ceux qu’on aime.

Le cas de Aafia, m’en rappelle un autre, qui montre que la peur des femmes savantes ne date pas d’hier : celui d’hypatie, directrice de la grande bibliothèque d’Alexandrie, au 3e ou 4 e siècle de notre ère, qui fut déchiquetée par la foule à coup de coquillages sur la plage d’Alexandrie, sur l’instigation de l’évèque Cyril qui fut, pour sa part, canonisé après sa mort.

Ceci étant dit, que pouvons-nous faire, maintenant que nous sommes informé(e)s de la situation de Aafia, pour l’en sortir ?

08/03/2011 18:05 par Kestadi

Le silence surprenant de Tarik Ramadan au sujet de cette terrible "affaire Aafia Siddiki" en cette occasion de "la journée de la femme", mérite d’être relevé.

Les Français musulmans savent, depuis belle lurette, à quoi s’en tenir quant à cette "gôache" parisienne flanquée de ces auto-proclamés "islamologues" et autres incontournables et inénarrables "experts" des plateaux TV. La perfidie des uns vient s’allier au souci de la pâtée et de la niche des autres.

En revanche,une certaine attente de ses sympathisants reste perceptible vis à vis de ce célèbre intellectuel musulman dont le grand-père,fondateur des Frères musulmans, fût assassiné sur ordre du roi Farouk Ier d’Égypte(vassal des britanniques) et son père, Saîd Ramadan l’héritier spirituel,qui eût à connaitre les persécutions de la police politique de Nasser et un long exil loin de son pays. Il devrait, à tout le moins, s’en souvenir.

Gilad Shalit, ce tankiste imberbe de Tel-aviv a fait pleurer bien des mammas de Belleville et, le trio comique troupier de BHL+FINKEL+ADLER (les 3 stooges) battent le tambour,hurlent dans les hauts-parleurs,rameutent leurs troupes et sonnent la charge contre cet "islamofascisme" de Hamas "preneurs d’un otage",un pacifiste, un "juste" parmi les "justes" !

08/03/2011 22:30 par Zap Pow

Une pensée pour elle, et pour tous ceux qui ont du subir les délires de l’antiterrorisme, ici et là .

Je ne pense pas que sa qualité d’intellectuelle ait particulièrement compté. Elle a probablement été dénoncée, comme beaucoup, par quelqu’un qui lui en voulait pour une raison quelconque, et, comme d’autres, qui n’étaient aucunement intellectuels, s’est retrouvée enfermée, torturée, et ses geôliers, n’ayant rien trouvé contre elle, on créé de toutes pièces une charge, comme cela est arrivé à d’autres. C’est uniquement pour n’avoir pas à reconnaître d’erreur.

Autre chose : je me demande bien ce que la charge du commentateur précédent, contre Tariq Ramadan vient faire ici. Quel rapport avec Aafia Siddiqui ? Pourquoi faudrait-il plus noter le silence de Ramadan ou de n’importe quel islamologue ?

20/07/2013 17:22 par Romane

Le compte twitter @UK_HumanRights vient d’informer à l’instant que les Etats-Unis ont accepté de l’extrader vers le Pakistan pour qu’elle y purge le reste de sa peine :

Wow ! "US offers Pakistan agreement for Dr Aafia Siddiqi’s extradition, so that she will be allowed to serve remaining sentence in Pakistan."

14/03/2016 15:52 par Tertouche

Salem aleykom, inchallah que la vérité éclatera et surtout courage et endurance et inchallah Dieu te donnera la patience de Ayoube alayhi elsalem

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