Khaled El Masri résiste aux intimidations de la CIA et soutient Assange pendant son procès d’extradition (Shadowproof)

Khaled El Masri, un survivant d’enlèvement, de torture, d’extradition et de détention par la CIA, a présenté un témoignage en faveur du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, lors de son procès.

Le tribunal pénal central de Londres était prêt à ce qu’El Masri témoigne. Un interprète était là pour le neuvième jour de procédure.

Cependant, des problèmes techniques l’ont empêché de s’adresser au tribunal au-delà de sa déclaration écrite. Les procureurs se sont également opposés à ce qu’El Masri donne un témoignage en direct. Selon le journaliste de Court News UK, Charlie Jones, cela a incité Assange à se lever et à déclarer : « Je n’accepterai pas que vous censuriez la déclaration d’une victime de torture devant ce tribunal ». Le témoignage d’El Masri est directement lié à l’argument de la défense selon lequel Assange a publié des informations classifiées en provenance des États-Unis afin de révéler les abus et les fautes, telles que la torture et les crimes de guerre. Au Royaume-Uni, l’équipe juridique d’Assange a été autorisée à verser ces preuves au dossier public. Cependant, lors d’un potentiel procès aux États-Unis, cela serait probablement exclu à cause de la loi sur l’espionnage.

Assange est accusé de 17 chefs d’accusation, de violation de la loi sur l’espionnage, et d’un chef d’accusation pour complot en vue de commettre un crime informatique. Les accusations criminalisent le simple fait de recevoir des informations classifiées, ainsi que la publication de secrets d’État du gouvernement des États-Unis. Il cible les pratiques courantes de collecte d’informations, raison pour laquelle cette affaire est largement contestée par les organisations de la liberté de la presse du monde entier.

El Masri a déclaré : « J’enregistre ici ma conviction que sans une révélation dévouée et courageuse des secrets d’État en question, ce qui m’est arrivé n’aurait jamais été reconnu et compris ». Il a ajouté que les menaces et les intimidations « ne diminuent pas […] ».

« Je pense néanmoins que la révélation de ce qui s’est passé n’était pas nécessaire que pour moi mais aussi pour le droit et la justice dans le monde entier. Mon histoire n’est pas encore terminée ».

Comme l’a noté El Masri, il a présenté un témoignage car « les publications de WikiLeaks ont été invoquées par la [Cour européenne des droits de l’homme] pour obtenir la réparation » qu’il a reçue. Tout en lisant des parties de la déclaration d’El Masri à la cour, l’avocat de la défense Mark Summers a déclaré qu’à la suite de câbles, on sait que le gouvernement allemand a cédé aux pressions des États-Unis pour ne pas demander l’extradition de l’équipe impliquée de la CIA. El Masri a également mentionné que les câbles de WikiLeaks ont montré de la même manière que le gouvernement américain était intervenu dans une enquête judiciaire en Allemagne et en Espagne. (Le voyage d’extradition est parti depuis l’aéroport de Palma en Espagne.) […]

Depuis son extradition et ses tortures, El Masri rappellent des incidents lui faisant peur tels « qu’être soudainement bloqué sur l’autoroute par des voitures ou des inconnus s’approchant de mes enfants ». Ses plaintes à la police ont conduit ces derniers à essayer de le faire interner dans un « hôpital pour les malades mentaux ».
« Ma famille et moi avons enduré des expériences hostiles prolongées et répétées pendant de nombreuses années », a déclaré El Masri. « Celles-ci ont été entièrement documentées, et je ne les aborde donc pas en détail dans cette déclaration ». Il a mentionné que la CIA lui avait dit qu’il serait espionné après sa libération, un fait confirmé par un rapport de l’inspecteur général : …

Le soir suivant, ces officiers ont de nouveau rencontré el Masri afin d’expliquer les conditions allant avec sa libération […] qu’il ne révélerait pas son expérience aux médias ou aux autorités locales ; qu’il accepterait que ses activités après sa libération fassent l’objet d’un suivi et que toute violation de son engagement aurait des conséquences.

En soumettant des témoignages lors du procès d’extradition d’Assange, El Masri a pris un grand risque. On sait déjà que la CIA a soutenu UC Global, une société de sécurité privée espagnole, dans une opération d’espionnage qui visait Assange alors qu’il vivait sous asile politique à l’ambassade de l’Équateur à Londres. El Masri s’est également vu refuser tout semblant de justice par le gouvernement américain pour ce qui lui a été fait.

Par conséquent, si les détails de ce qui est arrivé à El Masri sont bien connus, je vais raconter ce qui a été résumé dans sa déclaration. À la frontière macédonienne, El Masri a été kidnappé, détenu et maintenu au secret et maltraité pendant 23 jours. Le 23 janvier 2004, une équipe de la CIA l’a menotté et lui a bandé les yeux à l’aéroport de Skopje. […] La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a confirmé neuf ans après qu’El Masri avait été « sévèrement battu, sodomisé, enchaîné et encapuchonné, et soumis à une privation sensorielle totale - menée en présence de représentants de l’État de Macédoine et ceci dans leur juridiction ». « Le gouvernement de Macédoine était par conséquent responsable des actes accomplis par des fonctionnaires étrangers… Ces mesures avaient été pré-méditées, le but étant de causer de graves douleurs et souffrances à M. Masri afin d’obtenir des informations », a en outre constaté la CEDH. Lorsque son bandeau a été enlevé, El Masri s’est souvenu que la photographie au flash l’avait « temporairement aveuglé ». Il a ensuite vu sept ou huit hommes habillés en noir avec des masques noirs. Ils l’ont mis […] un sac sur la tête et des cache-oreilles. Il a été enchaîné et a marché vers l’avion. « Dans l’avion, j’étais écartelé et mes membres étaient attachés aux côtés de l’avion. J’ai reçu des injections et une anesthésie. J’étais inconscient pendant la majeure partie du voyage », selon El Masri.

El Masri a appris plus tard qu’il était en Afghanistan […] « Humilié, déshabillé, insulté et menacé ». Il a été interrogé et en mars 2004, il a entamé une grève de la faim. Le 34e jour de la grève de la faim, El Masri a déclaré qu’il avait été traîné de la cellule à une salle d’interrogatoire, « attaché à une chaise, et un tube [a été] douloureusement enfoncé dans [son] nez ». El Masri a découvert plus tard que la CIA savait que sa détention était le résultat d’une « erreur d’identité ». Ils ont compris qu’il devait être libéré mais l’ont maintenu en détention pendant plusieurs mois. En mai 2004, El Masri a appris qu’il serait libéré. Il a été interrogé à nouveau et « prévenu comme condition » de sa libération qu’il « ne devait jamais mentionner ce qui s’était passé » sous peine de conséquences. El Masri a eu les yeux bandés et enchaîné - encore une fois - le 28 mai. Il a été conduit hors de sa cellule, a remis la valise avec laquelle il était arrivé à Skopje, et on lui a dit de reprendre les vêtements qu’il avait en Macédoine. Ensuite, El Masri a été amené dans un avion et soumis à ce qui ne peut être décrit que comme une restitution inversée. Il avait les yeux bandés, un cache-oreilles et enchaîné à un siège. Il a été informé qu’il finirait par atterrir dans un pays européen et ensuite serait autorisé à retourner en Allemagne. L’avion a atterri en Albanie. Il pensait que lorsqu’il atterrirait, il recevrait une balle dans le dos. Ils lui ont demandé pourquoi il était en Albanie sans permission parce qu’il avait un passeport allemand. Il a dit qu’il ne savait pas où il était.

Sans WikiLeaks, la vérité sur ce qui est arrivé à El-Masri serait toujours enterrée Le 16 septembre, John Goetz, un journaliste allemand qui a travaillé pour Der Spiegel de 2010 à 2011, a fait une déclaration au tribunal pour aider à renforcer le témoignage d’El Masri. « Cela a été l’enquête la plus difficile sur laquelle j’ai travaillé », a déclaré Goetz. « Ce n’est que des années plus tard, lorsque WikiLeaks a publié des câbles diplomatiques américains en 2010-2011, que j’ai finalement trouvé une explication sur les raisons pour lesquelles il y avait tant de difficultés durant l’enquête.

Cela a révélé non seulement que des informations importantes avaient été supprimées, mais j’ai enfin compris pourquoi il n’y avait pas de répercussions lorsque ces informations ont été révélées. "Les câbles diplomatiques américains ont révélé l’ampleur de la pression exercée sur les autorités allemandes (et en parallèle, les autorités espagnoles compétentes) pour qu’elles n’agissent pas sur les preuves claires d’actes criminels des États-Unis, même si elles étaient alors révélées", a ajouté Goetz. « Comme il ressort de sa déclaration », a déclaré Goetz, l’épreuve d’El Masri n’a pas pris fin en 2004 après s’être retrouvé en Allemagne. Je suis resté en contact avec M. El Masri depuis le moment de mon enquête et confirme, en plus de l’exactitude de son récit de sa torture en 2004 […]

« Les obstacles ont été et continuent d’être placés pour empêcher la résolution et la conclusion appropriées de son cas, ce qui comprend l’acceptation et la responsabilité […] des atrocités contre lui, (par) les États-Unis ».

« Les obstacles ont pris un tournant inquiétant à ce jour, avec des menaces et des mesures d’intimidation annoncées par le ministre compétent, le secrétaire d’État américain Pompeo, menaçant de représailles les différents parties qui amènerait des affaires (dont l’affaire de M. El-Masri) à la Cour pénale internationale », a soutenu Goetz.

Goetz a écrit : « L’intimidation entourant cette affaire, souvent intrusive dans le passé, […]parfois secrète, est maintenant manifestée ouvertement.

« Je note que le déni du « droit à la vérité » évoqué par la Cour européenne à propos de M. El Masri a eu des effets graves et durables sur M. El Masri et sa famille. Il reste difficile […] d’expliquer pleinement l’ampleur de son traumatisme persistant […] » a soutenu Goetz.

Goetz, qui s’est rendu en Caroline du Nord pour confronter les membres de l’équipe de la CIA derrière la restitution d’El Masri, a en outre déclaré :

« Sans la publication d’informations que le gouvernement américain avait l’intention de garder secrètes pour des raisons de sécurité nationale, toute la vérité serait toujours enterrée. Ce n’est qu’en lisant les câbles diplomatiques, que nous avons vu le rôle que jouait le gouvernement américain dans les coulisses ». La publication des câbles « a mis en lumière les pressions et les techniques d’intimidation exercées par les États-Unis dans plus d’un pays pour empêcher la poursuite des agents de la CIA impliqués [dans l’affaire El Masri] ». Goetz a conclu : « Ces révélations détaillées ont mis en lumière des actions inexplicables dans d’autres pays concernés. Avec d’autres informations [liées] aux guerres afghanes / irakiennes et à Guantanamo, […], le tableau complet a enfin pu être vu et compris. »

Kevin Gosztola

Traduction par Douma Djib pour le Grand Soir

COMMENTAIRES  

21/09/2020 12:44 par babelouest

Si une vraie justice existait, certains hauts (et moins hauts, et aussi bien plus hauts encore) responsables US pourraient légitimement subir la question pendant le reste de leur existence.

22/09/2020 23:54 par Autrement

À propos de Khaled El Masri.
Extraits du CR de Craig Murray pour la Journée N°9 du procès d’Assange (sur LGS) :

(...) La juge Baraitser a déclaré qu’elle n’allait pas déterminer si les États-Unis avaient fait pression sur l’Allemagne ou si El-Masri avait été torturé. Ce n’étaient pas les questions qui lui étaient posées. Mark Summers QC a déclaré qu’il s’agissait de savoir si Wikileaks avait accompli un acte nécessaire pour empêcher la criminalité du gouvernement américain et permettre la justice. Lewis a répondu qu’il était inacceptable pour le gouvernement américain que des allégations de torture soient faites.

À ce moment, Julian Assange est devenu très agité. Il se leva et déclara très fort :

"Je ne permettrai pas que le témoignage d’une victime de la torture soit censuré par ce tribunal"

Une grande agitation a éclaté. Baraitser a menacé de faire sortir Julian et de faire tenir l’audience en son absence. Il y a eu une pause à la suite de laquelle il a été annoncé qu’El-Masri ne se présenterait pas, mais que l’essentiel de son témoignage serait lu, à l’exclusion des détails de la torture américaine ou de la pression américaine sur le gouvernement allemand. Mark Summers QC a commencé à lire les témoignages.(...)

Juge en difficulté :

(...) Lorsque Wikileaks a publié les câbles, la pression exercée sur le gouvernement allemand pour qu’il n’engage pas de poursuites est devenue évidente. Nous savons donc que les États-Unis ont bloqué l’enquête judiciaire sur un crime. La Cour européenne des droits de l’homme s’était explicitement appuyée sur les câbles de Wikileaks pour une partie de son jugement dans cette affaire. La Haute Cour a confirmé qu’il avait été battu, encapuchonné, enchaîné et sodomisé.

Il n’y avait pas eu de responsabilité aux États-Unis. L’inspecteur général de la CIA avait refusé de prendre des mesures dans cette affaire. Le jugement de la CEDH et les documents à l’appui ont été envoyés au bureau du procureur américain dans le district oriental de Virginie - précisément le même bureau qui tente maintenant d’extrader Assange - et ce bureau a refusé de poursuivre les agents de la CIA concernés.

Une plainte a été déposée auprès de la Cour pénale internationale, y compris l’arrêt de la CEDH et les documents de Wikileaks. En mars 2020, la CPI a annoncé qu’elle ouvrait une enquête. En réponse, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déclaré que tout citoyen non américain qui coopérerait à cette enquête de la CPI, y compris les fonctionnaires de la CPI, serait soumis à des sanctions financières et autres.

Enfin, M. El-Masri a déclaré que la publication de Wikileaks lui avait été essentielle pour faire accepter la vérité sur le crime et la dissimulation.

En fait, l’impact de la lecture par Mark Summers de la déclaration d’el-Masri sur le tribunal a été énorme. Summers a un réel don pour transmettre une force morale et contraindre la colère des justes dans son ton. Je pense que le témoignage a eu une impression certaine sur la juge Baraitser ; elle a montré des signes non pas de malaise ou d’embarras, mais de réelle détresse émotionnelle alors qu’elle écoutait attentivement. Par la suite, deux témoins différents, chacun situé dans une section du tribunal différente de la mienne, dans des conversations séparées et spontanées avec moi, m’ont dit qu’ils pensaient que le témoignage d’El-Masri avait vraiment touché le juge. Après tout, Vanessa Baraitser n’est qu’un être humain, et c’est la première fois qu’elle confronte le véritable sujet de cette affaire.(...)

Extraits du Jour 8 :

Une journée moins dramatique, mais marquée par un étalage éhonté et persistant de l’insistance de ce gouvernement américain à affirmer qu’il a le droit de poursuivre tout journaliste et toute publication, partout dans le monde, pour la publication d’informations classifiées américaines. Ceci a explicitement sous-tendu toute la série de questions posées lors de la session de l’après-midi.(..)

(...)Deuxièmement, ayant été très critique à l’égard du juge Baraitser, il serait grossier de ma part de ne pas noter qu’il semble y avoir un net changement dans son attitude vis-à-vis de l’affaire au fur et à mesure que l’accusation en fait toute une histoire. Je doute que cela fasse une différence à terme. Mais c’est agréable à voir.

Ad hominem... :

Il est également juste de noter que Baraitser a jusqu’à présent résisté aux fortes pressions américaines visant à empêcher les témoins de la défense d’être entendus. Elle a décidé d’entendre toutes les preuves avant de décider ce qui est et n’est pas admissible, contre le souhait de l’accusation que presque tous les témoins de la défense soient exclus comme non pertinents ou non qualifiés. Comme elle prendra cette décision lors de l’examen de son jugement, c’est la raison pour laquelle l’accusation passe autant de temps à attaquer les témoins ad hominem plutôt que de s’intéresser à leurs preuves réelles. Cela pourrait bien être une erreur.(...)
https://www.craigmurray.org.uk/archives/2020/09/your-man-in-the-public...

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