Le gouvernement américain a élargi son acte d’accusation contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, pour criminaliser l’aide apportée par WikiLeaks au lanceur d’alerte de la NSA, Edward Snowden, lorsque son personnel l’a aidé à quitter Hong Kong.
Sarah Harrison, qui était rédactrice de section pour WikiLeaks, Daniel Domscheit-Berg, un ancien porte-parole, et Jacob Appelbaum, un militant cybernétique qui a représenté WikiLeaks lors de conférences, sont visés comme "co-conspirateurs" dans l’acte d’accusation [PDF], bien qu’aucun d’eux n’ait été inculpé.
Aucune charge n’a été ajoutée mais il élargit considérablement l’accusation de conspiration d’intrusion informatique et accuse Assange de conspiration avec des "hackers" affiliés à "Anonymous", "LulzSec", "AntiSec" et "Gnosis".
L’accusation de crime informatique n’est plus limitée à mars 2010. Elle couvre des activités qui auraient eu lieu entre 2009 et 2015.
Les procureurs s’appuient largement sur les déclarations et les journaux de chat de Sigurdur "Siggi" Thordarson et Hector Xavier Monsegur ("Sabu"), qui étaient tous deux des informateurs du FBI, afin d’élargir le champ des poursuites.
En mars dernier, le juge Anthony Trenga a révoqué le grand jury d’Alexandria, en Virginie, qui enquêtait sur WikiLeaks. La lanceuse d’alerte de l’armée américaine Chelsea Manning, qui avait refusé de témoigner devant le grand jury, fut libérée après avoir passé environ un an en détention pour "outrage". Elle a tout de même été condamnée à payer 256 000 dollars d’amende.
Le militant Jeremy Hammond, qui a été condamné à 10 ans de prison pour sa participation au piratage informatique contre la société de conseil en renseignement Stratfor, a également refusé de témoigner. Trenga a ordonné sa libération, et il a été remis à la garde du Bureau des prisons.
Les procureurs accusent Assange et d’autres membres du personnel de WikiLeaks de s’être engagés dans des "efforts pour recruter des administrateurs système" pour faire fuir des informations à leur organisation médiatique.
WikiLeaks a ouvertement affiché des "tentatives d’aider Snowden à échapper à l’arrestation".
"Afin d’encourager les fuites et les pirates à fournir à l’avenir à Wikileaks des documents volés, Assange et d’autres personnes de WikiLeaks ont ouvertement affiché leurs tentatives d’aider Snowden à se soustraire à l’arrestation", déclare l’acte d’accusation.
Il note que Harrison ("WLA-4") a voyagé avec Snowden à Moscou depuis Hong Kong, en omettant de mentionner la partie où le Département d’Etat a révoqué le passeport de Snowden et l’a piégé en Russie.
Lors d’une interview pour "Democracy Now !" en septembre 2016, Sarah Harrison a déclaré que WikiLeaks avait compris que Snowden se trouvait dans une "situation juridique et politique très complexe" et qu’il avait besoin "de l’aide de certaines personnes pour obtenir une expertise technique et opérationnelle en matière de sécurité".
"Je suis allée là-bas, sur le terrain à Hong Kong, pour l’aider, non seulement pour lui - parce qu’il avait clairement fait quelque chose de si courageux et méritait la protection, je le sentais - mais aussi avec l’objectif plus large d’essayer de montrer que malgré la guerre du président Barack Obama contre les lanceurs d’alerte, il y avait en fait une autre option".
Mme Harrison a ajouté : "A l’époque, l’administration Obama avait l’intention de mettre en prison la source présumée Chelsea Manning pour des décennies - comme elle l’est à présent, pour 35 ans - et nous voulions vraiment essayer de montrer au monde qu’il y a des gens qui se lèveront, des gens qui aideront. Le Guardian, par exemple, n’a pas apporté d’aide supplémentaire à Edward Snowden en tant que source, en tant que personne là-bas, et nous voulions montrer qu’il existait des éditeurs qui allaient aider dans de telles situations".
Les procureurs notent que WikiLeaks a réservé à Snowden des "vols vers l’Inde via Pékin" et l’Islande comme exemples de la façon dont Assange s’est engagé dans une conspiration présumée.
Lors de la conférence annuelle du Chaos Computer Club en Allemagne, le 31 décembre 2013, Assange, Appelbaum et Harrison ont participé à un débat d’experts intitulé "Sysadmins [administrateurs système] of the World, Unissez-vous ! Un appel à la résistance". (Assange est apparu en vidéo).
L’acte d’accusation criminalise le discours d’Assange en faveur de Snowden et de tout futur lanceur d’alerte et transforme ses paroles en un exemple parfait d’"encouragement" de WikiLeak au "vol d’informations" du gouvernement américain.
Les procureurs omettent même des mots précis pour faire paraître le message partagé par Assange plus funeste qu’une approbation de la transparence radicale.
Extrait de l’acte d’accusation :
...Assange a déclaré au public que "les fameuses fuites de WikiLeaks ou les récentes révélations d’Edward Snowden" ont montré qu’"il était désormais possible pour un seul administrateur de système, non seulement de détruire ou de désactiver des organisations, mais aussi de transférer des informations d’un système d’apartheid vers un patrimoine commun de connaissances...
Mais voici la citation complète :
...Et nous pouvons voir que dans les cas des fameuses fuites que WikiLeaks a faites ou des récentes révélations d’Edward Snowden, qu’il est possible maintenant pour un seul administrateur de système d’apporter un changement très important au - ou plutôt, appliquer une contrainte très importante, une contrainte constructive, au comportement de ces organisations, et pas seulement les démolir ou les mettre hors service, ni même faire grève pour changer la politique, mais plutôt de faire passer l’information d’un système d’apartheid de l’information, que est en train de se développer, de ceux qui ont un pouvoir extraordinaire et des informations extraordinaires, vers un patrimoine commun de connaissances, où elle peut être utilisée - non seulement comme force de discipline, mais aussi pour construire et comprendre le nouveau monde dans lequel nous entrons. »
M. Assange a encouragé les jeunes : "Rejoinez la CIA. Allez-y. Entrez dans le stade, attrapez la balle et faites-la sortir - avec la compréhension, la paranoïa, que toutes ces organisations seront infiltrées par cette génération, par une idéologie qui se répand sur Internet. Et chaque jeune sait ce qu’est Internet".
"Il n’y aura personne qui n’aura pas été exposé à cette idéologie de transparence et de compréhension de vouloir garder l’Internet, avec lequel nous sommes nés, libre. C’est la dernière génération libre", a ajouté M. Assange.
Le gouvernement présente ce message comme la preuve que WikiLeaks sollicite des employés du gouvernement pour voler des informations classifiées. Cependant, ce que M. Assange a fait, c’est appeler les jeunes à aider le public à faire face à une crise de corruption au sein du gouvernement en forçant la transparence à un moment où le gouvernement abuse du système d’informations classifiées pour dissimuler le gaspillage, la fraude, les abus et d’autres actions illégales.
Appelbaum est pointé du doigt pour avoir dit que Harrison "a pris des mesures" pour protéger Snowden, et "si nous pouvons réussir à sauver la vie d’Edward Snowden et à le maintenir en liberté, alors le prochain Edward Snowden s’en souviendra. Et si nous regardons aussi ce qui est arrivé à Chelsea Manning, nous voyons en outre que Snowden a clairement appris".
C’est une observation assez anodine que de nombreuses personnes dans les médias, y compris cet auteur, ont partagée. Cela signifie que si les lanceurs d’alerte ne croient pas qu’ils seront punis par des dizaines d’années de prison ou forcés de fuir leur pays d’origine, alors nous aurons plus de lanceurs d’alerte car ils ne croiront pas qu’il est si dangereux de se manifester.
A aucun moment, le ministère de la justice ne tente de relier le prétendu "recrutement" de "pirates informatiques" ou de "fuites" à un individu réel, qui a entendu ces mots et les a mis en pratique.
Bien entendu, le ministère de la Justice refuse d’accepter le bénéfice public qui a découlé des révélations de Snowden. Celui-ci est toujours accusé d’avoir prétendument violé la loi sur l’espionnage. C’est pourquoi il reste en Russie, où il a obtenu l’asile en 2013.
L’acte d’accusation allègue que le 6 mai 2014, Harrison "a cherché à recruter ceux qui avaient ou pouvaient obtenir un accès autorisé à des informations classifiées et des pirates informatiques pour rechercher et envoyer les informations classifiées ou autrement volées à WikiLeaks en expliquant que "depuis le début, notre mission a été de rendre publiques des informations classifiées, ou de toute autre manière, censurées qui sont d’importance politique, historique"".
C’est l’une des indications les plus claires que l’accusation de "conspiration" est un effort pas très subtil pour criminaliser le journalisme d’une organisation de médias antagoniste que les États-Unis ont passé la dernière décennie à s’efforcer de détruire. À aucun moment dans cette déclaration, Harrison ne demande à des personnes précises de voler des informations.
Si ce que Harrison a fait - et par association, Assange a soutenu - est un crime, alors il existe d’innombrables organisations de médias qui se targuent de publier des documents qu’elles obtiennent de sources sensibles et qui doivent craindre de s’exposer à des poursuites si elles se vantent de leur travail dans un cadre public.
L’accusation de conspiration repose sur des déclarations d’informateurs rémunérés du FBI
La section de l’acte d’accusation sur le rôle présumé d’Assange dans la "conspiration" avec les "hackers" mentionne un « adolescent, qu’Assange a rencontré en Islande. » Cet individu est Sigurdur "Siggi" Thordarson.
Comme l’a rapporté le magazine Wired, "Lorsqu’une révolte du personnel en septembre 2010 a laissé l’organisation à court de personnel, Assange a mis Thordarson en charge du forum de discussion WikiLeaks, faisant de Thordarson le premier point de contact pour les nouveaux bénévoles, les journalistes, les sources potentielles et les groupes extérieurs qui réclamaient à cor et à cri de s’associer à WikiLeaks au sommet de sa notoriété".
Thordarson a été licencié de WikiLeaks en novembre 2011 après que l’organisation ait découvert qu’il avait détourné environ 50 000 dollars.
Après que le FBI ait demandé à lui parler en personne après son licenciement, Thordarson a "supplié le FBI de lui donner de l’argent". Les agents ont d’abord ignoré ses demandes, mais ont fini par lui verser 5 000 dollars pour "le travail qu’il a manqué en rencontrant les agents" à Alexandria, en Virginie, où l’enquête du grand jury avait été ouverte.
En 2013, WikiLeaks a déclaré : "En raison de demandes de personnes proches de lui et de son jeune âge, [Thordarson] s’est vu offrir la possibilité de rembourser les fonds volés, qui s’élevaient à environ 50 000 dollars. Lorsqu’il est devenu évident qu’il ne respecterait pas l’accord, l’affaire a été signalée à la police islandaise".
Thordarson a apparemment détourné des fonds de plusieurs autres organisations en Islande qui n’étaient pas liées à WikiLeaks. Les autorités islandaises traitent des accusations de détournement de fonds.
"Il s’est avéré que l’individu s’est livré à des déclarations grossièrement inexactes de différents types pour obtenir des avantages de diverses parties", a ajouté WikiLeaks. "Nous ne l’identifierons pas par son nom à la lumière d’informations selon lesquelles il a récemment reçu un traitement médical dans une institution".
"Compte tenu de la persécution incessante des autorités américaines contre WikiLeaks, il n’est pas surprenant que le FBI tente d’abuser de ce jeune homme perturbé et de l’impliquer d’une manière ou d’une autre dans la tentative de poursuivre le personnel de WikiLeaks. C’est une indication des efforts que ces entités sont prêtes à fournir pour ne pas respecter la souveraineté des autres nations dans cette entreprise. Il y a de fortes indications que le FBI a utilisé une combinaison de coercition et de paiements pour faire pression sur le jeune homme afin qu’il coopère", a soutenu WikiLeaks.
Hammond a été la cible d’une opération du FBI. Comme Dell Cameron l’a précédemment rapporté pour le Daily Dot, les journaux de chat, les photos de surveillance et les documents gouvernementaux ont montré que c’est Monsegur qui a présenté Hammond à un hacker nommé Hyrriya, qui "a fourni des liens de téléchargement vers la base de données complète des cartes de crédit ainsi que le point d’accès initial de vulnérabilité aux systèmes de Stratfor".
Selon Hammond, il n’avait jamais entendu parler de Stratfor avant que que Monsegur n’attire son attention sur la société. Monsegur a transmis les détails d’au moins deux cartes de crédit volées.
En décembre 2011, Monsegur a donné à "AntiSec" ou au groupe de hackers ciblant Stratfor, l’accès aux systèmes de la société de renseignement privée. Il a poussé Hammond et d’autres personnes à "transférer sans le savoir "plusieurs gigaoctets de données confidentielles" vers l’un des serveurs du FBI". Cela comprenait environ 60 000 numéros de cartes de crédit et des données de clients de Stratfor que Hammond a finalement été accusé d’avoir volés", selon le Daily Dot.
L’anthropologue Gabriella Coleman a écrit dans son livre, Hacker, Hoaxer, Whistleblower, Spy : The Many Faces of Anonymous, que l’AntiSec s’est rendu sur le serveur de chat du relais Internet WikiLeaks. Monsegur n’était pas du tout au courant. Un accord a été conclu pour fournir des fichiers de Stratfor à WikiLeaks.
"En parlant à WikiLeaks", m’a raconté Hammond, "ils m’ont d’abord demandé d’authentifier la fuite en leur fournissant des échantillons, ce que j’ai fait, [mais] ils n’ont pas demandé qui j’étais ni même comment j’y avais eu accès, mais je leur ai dit volontairement que je travaillais avec AntiSec et que j’avais piraté Stratfor". Peu de temps après, il a organisé le transfert. Quand Sabu l’a appris, il a insisté pour traiter directement avec Assange en personne. Après tout, a-t-il dit à Hammond, il était déjà en contact avec l’assistant de confiance d’Assange, "Q".
"Q" était Thordarson.
Selon Hammond, Monsegur a tenté de piéger WikiLeaks en suggérant à l’organisation de le payer "en liquide pour les fuites". Mais WikiLeaks avait déjà les documents qu’ils prévoyaient de publier.
Le gouvernement américain avait une date limite en juin 2019 pour soumettre une demande d’extradition. Il semble inapproprié d’ajouter ces détails substantiels à la demande, d’autant plus qu’une audience qui a duré une semaine a déjà eu lieu.
Même si l’accusation de complot comprend des allégations sensationnelles de collaboration avec des pirates informatiques, il ne s’agit que d’une accusation politique de plus à l’instar des dix-sept infractions dont Assange est accusé pour avoir publié des informations.
Ces accusations supplémentaires constituent une tentative de donner un vernis de criminalité aux poursuites illégitimes contre Assange. Malheureusement, il suffit de gratter un peu pour exposer le mépris pour la liberté de la presse qui se cache toujours derrière cette poursuite vindicative.
Kevin Gosztola
Traduction "l’extraterritorialité à son comble... ce n’est pas faute d’avoir tiré les sonnettes d’alarme" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.