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L’aliénation linguistique (suite)

S’il fallait singulariser notre époque par rapport à celles qui ont immédiatement précédé, je dirais qu’elle s’est caractérisée, depuis une quarantaine d’années, par un développement prodigieux des communications de toutes sortes. Parmi elles, les langues servent, comme elles l’ont toujours fait, à rapprocher les hommes. Mais toutes les langues n’ont pas le même statut, la même force, la même autorité au sein de la communauté humaine. Certaines langues sont plus égales que d’autres. L’islandais, parlé par un peu plus de 300000 personnes, est reconnu aux Nations Unies comme la langue d’un peuple et d’une nation. Mais pas le haoussa qui compte plus de 50 millions de locuteurs. Et parmi les langues privilégiées, il en est une qui domine toutes les autres : l’anglais, ou plus exactement l’anglais qu’utilisent des centaines de millions d’individus de par le monde, en tant que langue seconde presque exclusivement générée par la classe dirigeante étatsunienne. Cet anglais n’est pas à proprement parler une langue en soi, mais une langue d’appoint, ce que René Étiemble avait appelé dès les années soixante un sabir (de l’espagnol saber, savoir), autrement dit une mixture linguistique proposant quelques règles grammaticales simples et un vocabulaire restreint, un système fonctionnel, pratique, couvrant des besoins de communication limités. Le créole, en revanche, est une langue maternelle complexe. Quant au pidgin (mot chinois qui vient de la déformation de l’anglais business, comme un fait exprès…) c’est un système linguistique composite puisque le vocabulaire est anglais et la grammaire chinoise.

Ce sabir, imposé bon gré mal gré au monde entier, est en effet d’autant plus pauvre que, outil exclusivement pratique, il est axé sur des fonctions de communication très particulières comme les sciences, les échanges monétaires, le tourisme, l’informatique, les médias. Or, dans une langue, ce n’est pas tant la langue qui importe que la communication dont la langue n’est que le moyen. Ainsi, dans une langue véhiculaire - et le sabir anglo-américain en est une à sa manière - c’est la fonction véhiculaire qui prime en ce qu’elle est une fonction sociopolitique, à la fois l’expression d’un besoin et la réponse à ce besoin. La fonction véhiculaire se constitue sur le terrain, au cours des âges, tandis que les langues nationales procèdent du droit, de la décision politique : on ne nomme pas telle ou telle langue véhiculaire par décret alors que c’est possible pour une langue nationale. Voir l’exemple du français, avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts. En Angleterre, à la même époque, celle de la Renaissance, l’aristocratie décide de parler et d’écrire en Anglais, après avoir longtemps parlé un certain français de l’époque, et écrit en Latin. C’est pourquoi il existe dans le vocabulaire anglais des doublons tels que ox et beef, sheep et mutton, calf et veal.

Deux exemples, pour aujourd’hui, d’aliénation linguistique : un " mauvais " et un " bon " . J’appelle " mauvais " ce qui contribue à l’affaiblissement, à l’appauvrissement de la langue de départ. Est bon ce qui enrichit cette langue de départ.
En français journalistique, on entend quasiment tous les jours parler d’attaques. Dans les faits, il s’agit d’attentats. En français " normal " , ces deux termes ne sont pas synonymes. Ils n’ont pas la même origine : attaque vient de l’italien attacare qui signifie assaillir par la violence. Attentat vient du latin attemptarer, entreprendre quelque chose contre quelqu’un. Le substantif anglais attack signifie attaque, et aussi attentat, c’est-à -dire, une attaque contre la vie de quelqu’un. Donc, en disant en français "attaque" pour "attentat" , on parle et on pense anglais en français, et, à terme, on fait disparaître un vocable de la langue.

J’aime beaucoup l’expression anglaise in the middle of nowhere. Elle veut bien dire ce qu’elle veut dire et elle est délicieusement absurde : comment pourrait-il y avoir un "milieu " à " nulle part " ? L’équivalent français n’est pas mal non plus : " dans un trou perdu " . Le français est tout aussi absurde : comment un trou peut-il être perdu ? Quand j’étais gosse, on disait, plus trivialement : « Pétaouchnoque (de "schnock " , idiot ?) ou Trifouillis-les-Oies », avec l’idée que c’était nul et loin, à perpette. Nos amis Belges affectionnent (j’adore) Foufnie-les-Berdouilles ; les Québécois Saint-Creux-des-Bas-fonds.
" Au milieu de nulle part " est vraiment une très bonne expression. Le petit problème c’est qu’elle fait de l’ombre à quantité d’autres expressions francophones. De l’ombre comme celle de Tataouine (du nom d’un bagne en Tunisie).

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