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La Chine et la position géostratégique de l’Italie

Un éclairage très concret sur la puissance du projet des nouvelles routes de la soie

L’article qui suit fait écho à la récente visite en Italie du premier ministre chinois et qui avait donné l’occasion à l’agence de presse officielle chinoise de publier la carte reprise dans le bulletin n°276 de COMAGUER.

Publié sur deux sites Internet italien : MARX XXI et Contrapiono, il administre la preuve que l’aboutissement dans un port italien de la nouvelle route maritime de la soie n’est pas un simple coup de pinceau sur une carte mais la concrétisation d’une opération de grande envergure déjà bien avancée.

A en juger par les milliards d’Euros déjà investis par la Chine en Italie et par l’entrée massive de la Banque centrale de Chine – qui à l’inverse des banques centrales occidentales « indépendantes » du pouvoir politique selon les canons de l’économie capitaliste ultralibérale n’est pas indépendante – au capital de la Cassa de Depositi e Presti, équivalent italien de la Caisse des Dépôts et Consignations française, c’est-à-dire de la banque des investissements d’Etat et au capital de l’équivalent italien d’ERDF réseau national de distribution électrique, l’Italie se trouve d’ores et déjà partagée entre sa soumission maintenue voire accrue à l’appareil militaro-industriel étasunien ( voir les derniers achats de matériel militaire et les engagements otanesques amplifiés italiens tels qu’ils sont décrits régulièrement par Manlio Dinucci dans ses chroniques du Manifesto) et sa dépendance vis-à-vis de son principal bailleur de fonds la Chine, seule à même de tirer le pays hors de la profonde dépression économique dans laquelle il est enfoncé.

Pasquale Cicalese ne s’insurge pas contre cette nouvelle dépendance puisqu’il il y voit la façon d’échapper au joug financier destructeur imposé par la dictature de l’Euro qu’il qualifie d’ « austro-monétarisme allemand » faisant référence à un passé pas si lointain où l’Italie désunie vivait en partie sous la botte des Habsbourg. Cette dénonciation très typiquement italienne ne doit pas faire oublier qu’ « austro monétarisme allemand » ou pas, la dictature financière de l’UE et la dictature monétaire de la BCE a déjà produit les mêmes effets dévastateurs en Grèce, en Irlande, en Espagne et au Portugal et dans la plupart des pays de l’Europe centrale et orientale, que le tour de la France de la Belgique approche à grands pas et que le gouvernement réactionnaire de Kiev veut offrir 45 millions de victimes supplémentaires à la machine européenne à appauvrir.

L’article replace la « faille » italienne , on pourrait préférer le « grand écart italien » dans le débat classique des géopoliticiens sur le contrôle de la plaque centrale eurasiatique (théorie de Mackinder reprise par Brzezinski et toujours à l’œuvre en Afghanistan) et son encerclement maritime (théorie de l’amiral étasunien Mahan) et fait comprendre qu’avec les deux nouvelles routes de la soie la Chine a pris l’initiative sur les deux fronts : le front Mackinder sur terre et le front Mahan sur mer.

Pour mémoire d’autres interventions chinoises dans la région méditerranéenne : le TGV Ankara Istanbul construit par la Chine est un maillon de la route terrestre et fonctionne déjà, le port du Pirée, principal port grec et maillon important de la nouvelle route maritimes est contrôlé par des capitaux chinois…

La Chine et la position géostratégique de l’Italie

Pasquale Cicalese (traduction COMAGUER)

Vendredi 31 Octobre 2014

Ajoutez ici un deuxième avertissement à l’Italie : sa position géographique centrale équivaut, à ce moment-ci, à une difficulté géopolitique et s’ajoute à notre vulnérabilité économique. Dans ces conditions, éviter une scission entre l’Atlantique et l’Eurasie est décisif pour l’Italie. Notre pays est en effet susceptible d’être plus qu’un carrefour, une intersection dangereuse. Sur notre péninsule, encore économiquement dominée par les relations intra-européennes, s’ajoute maintenant l’impact conjoint de quatre facteurs externes : les flux des personnes viennent principalement d’Afrique ; le gaz en vient aussi et surtout de la Russie (ainsi que de la Méditerranée) ; de nouveaux investissements venus de Chine ; la protection militaire est encore en grande partie assurée par les États-Unis. Afrique, Russie, Chine, États-Unis. L’Italie est non seulement sur- exposée à l’est et au sud ; elle est en elle-même un pays de failles. Oui de failles. Elle vit aux crochets d’une Europe qui, un temps, a fonctionné comme une contrainte mais comme un antidote à des emplacements trop incertains ; aujourd’hui elle est avant tout une contrainte, que d’une certaine manière l’Italie à la recherche de rivages étrangers, est en effet poussée à affronter, sous l’impact de la crise économique. Dans une sorte de cercle vicieux, plus le centre de l’Europe regarde avec méfiance la fragilité de l’Italie, plus les failles s’élargissent. Gérer une traversée risquée n’est pas facile. ’

(Marta Dassù : « Retour sur la Route de la Soie » - Reuters 17 Octobre, 2014)

Déjà analyste au Cespi, le centre d’études stratégiques de ce qui fut le Parti communiste, la Dassù (Ndt Il est courant en Italie de désigner une célébrité féminine de cette façon comme on disait « la Callas » sans que cela ne soit nécessairement injurieux) est aujourd’hui groupie atlantiste, porte-parole du Département d’Etat étasunien en Italie, animatrice de la branche italienne de l’Institut Aspen et ancienne sous-secrétaire des affaires étrangères du gouvernement Letta. Un texte publié dans La Stampa « Sull’amerikana », nous la révèle.

De quoi s’agit-il ? Ils sont inquiets, et plus qu’inquiets, à Washington. Le journal, pendant les journées de la visite du Premier ministre chinois Li Keqiang, a fait état d’une forte irritation des Américains face à l’activisme financier chinois en Italie et d’une réprobation des responsables italiens pour la vente de 35% des réseaux CdP, dans la pratique, le réseau électrique italien. Depuis six mois sont arrivés à la bourse des ordres d’achat d’actions d’entreprises stratégiques italiennes par la Banque populaire de Chine pour environ 8 milliards d’euros, et 6 autres milliards d’euros pour l’acquisition de 200 entreprises italiennes moyennes par des investisseurs chinois. Au cours de la conférence de presse, concernant les accords avec l’Italie pour les huit milliards d’euros, le premier ministre Keqiang a averti les Italiens qu’ils ne représentent qu’une partie de l’investissement total qu’ils ont en tête.

Qui peut dire pourquoi le traducteur chinois a pensé pouvoir traduire ce qu’a dit Keqiang par l’expression ’une petite partie’ ... Les réseaux d’énergie, les sociétés d’énergie, les fonds d’investissement privés, les hélicoptères, le tourisme, les télécommunications, la finance, des entreprises industrielles et des infrastructures. Ils ont commencé avec un petit aéroport, avec un investissement de 250 millions de dollars. Celui de Parme sera spécialisé dans le fret avec 9 vols hebdomadaires à destination et en provenance de Pékin. Mais gardez un œil sur la fusion possible entre Malpensa et Linate et l’aéroport Montichiari de Brescia. Logistique, alors. En attendant qu’ils se déplacent vers le sud, où ils ont un œil sur Tarente et, on s’y attend, sur le port de commerce de Crotone, sous réserve de l’accord des politiciens locaux, puisque l’intérêt est fort.

Toujours le 17 Octobre « Il Sole 24 Ore » (Ndt : journal financier, équivalent italien des Échos) a interrogé le responsable allemand Ulrich Bierbaum, chef de la division Europe de l’agence de notation chinoise Dagong, qui parlait d’un investissement chinois de 6,9 Md € dans les derniers mois , en second position derrière la Grande-Bretagne. Cela s’arrêtera-t-il là ? Nous lisons : « un chiffre voué à augmenter vu l’intérêt croissant non seulement pour les grands groupes, mais aussi pour les petites et moyennes entreprises dans les domaines de l’ingénierie, de la technologie de l’information, des équipements, en fait en phase de redressement (c’est-à- dire renouvellement de gammes de produits) et actifs sous-évalués, mais avec un potentiel de croissance à moyen terme ’. Voilà pour les entreprises industrielles, mais leur véritable objectif ce sont les services publics, parmi lesquels se trouvent les fusions à venir, avec la direction de la Cassa Depositi e Presti avec le fonds souverain chinois CIC - et les infrastructures.

Suivons encore les propos du responsable allemand : ’En Italie le transport aussi a d’amples marges de croissance, en particulier les autoroutes qui depuis la crise ont perdu 10% du trafic. Une combinaison de facteurs allant des besoins d’entretien à la restructuration du réseau, ainsi que les restrictions de fonds publics, rendent l’investissement attractif à long terme ’...

Oui, à long terme, concept qu’ils ne comprennent pas à Berlin et à Washington, habitués qu’ils sont aux bilans trimestriels et incapables de prévoir les prochaines décennies. L’objectif des chinois c’est toute l’Europe du Sud, en particulier la Grèce, et là ils prévoient des investissements dans les infrastructures pour 200 milliards d’euros. Qui mettra la petite monnaie ? On aimerait bien le savoir…

Mais comme par hasard on commence à parler, après le méga contrat de 400 milliards de dollars avec la Russie pour la fourniture de gaz à la Chine, d’un plan Marshall chinois pour l’Europe du Sud. À long terme, pour faire quoi ?

Revenons en arrière. A la fin des années 90 la direction chinoise, avec le plan quinquennal, a adopté le ’Plan national de la logistique’ dans le but d’accélérer la circulation des marchandises dans l’ensemble du pays. Des milliards de dollars ont été investis pour les chemins de fer à grande vitesse, les autoroutes, les autoroutes fluviales, les ports, les aéroports, d’abord dans les régions côtières, puis ensuite en profondeur dans l’Ouest. Les ressources les plus importantes on été dirigées vers ces régions dans les années 2000, renforcées il ya deux ans par un plan d’urbanisation de 5000 milliards de dollars. Le succès d’Alibaba ne peut pas être expliqué sans ces énormes investissements d’infrastructure.

Puis, quelque chose change. En Mars 2013, le nouveau président Xi Jinping qui s’installe lance le mot d’ordre de « Route eurasienne de la Soie » et « Route maritime de la Soie ». Un an plus tard, voici l’accord gazier avec la Russie à 400 milliards de dollars et le plan de la création d’un réseau ferroviaire à grande vitesse Beijing-Moscou (200 milliards), qui à l’avenir arrivera jusqu’à Dortmund. L’économiste De Cecco a parlé il ya deux ans d’une possible industrialisation russe par les Chinois.

Mais c’est le second mot d’ordre qui a d’énormes implications géopolitiques. Xi parle de la nouvelle Chine comme d’une ’future puissance navale.’ Si avec le premier projet se réalise le cauchemar de Mackinder, le géographe britannique du début du XXe siècle qui a voulu empêcher l’axe eurasien, le second peut être trouvé chez l’amiral américain Mahan, qui a dit que ceux qui contrôlent les voies maritimes commandent le Rimland (à savoir les pays maritimes qui entourent le Heartland eurasien) et contrôlent le monde. D’où les accords avec la Birmanie, le Pakistan, l’Inde, le Sri Lanka, l’Égypte (qui va doubler le Canal de Suez en quelques années).

Où aboutit la ’Route de la Soie maritime » ? Comme par hasard en Italie ...

Voilà pourquoi Li Keqiang a informé les Italiens que ceux énumérés ci-dessus ne sont qu’une ’petite partie’ des investissements futurs. L’acteur incontesté est la Banque populaire de Chine, mais il faut dire que la stratégie chinoise de la Route de la Soie maritime implique des milliers d’entreprises publiques, les quatre plus grandes banques, le gouvernement et ses fonds souverains ; une puissance de feu financière qui fait rêver les Américains, parce que pour eux ’le feu financier » se réfère uniquement à « l’assouplissement quantitatif » c’est-à-dire à l’inflation de monnaie fabriquée

Donc, l’Italie est une faille. La Dassù invite au « pragmatisme » et souhaite au fond une sorte de G2 (Etats-Unis + Chine) en Italie dans un dispositif anti-allemand. Le 12 Novembre, Obama se rendra à Pékin. Le G2 est en vigueur dans le monde depuis l’entrée dans l’OMC de la Chine en 2001. Le raffinement diplomatique imposerait un tel scénario, mais la fougue impérialiste américaine est difficile à contenir. Il y a deux ans (dans le numéro de Décembre 2012 de Marxventuno « Du front externe au front interne, les stratégies de libération nationale » *nous annoncions l’arrivée des chinois en Italie et une sorte de raffinement diplomatique avec les Américains pour ne pas faire obstacle à tout ceci.

*( http://www.marx21.it/comunisti-oggi/in-italia/8249-dal-fronte-esterno-al-fronte-interno-per-una-strategia-di-liberazione-nazionale.html )

Le scénario ainsi envisagé vient de commencer à se réaliser et, s’il devait se poursuivre avec plus de vigueur, notre pays pourrait sortir de la tenaille austro-monétariste allemande, ce qui est en ce moment-ci l’objectif prioritaire. Nous allons voir ce que vont faire les Américains. Il faudra, outre des analyses minutieuses, patience et longueur de temps, pour comprendre les mouvements des Chinois et des Américains. Il est à espérer, cependant, que Washington ne redémarre pas la saison des bombes ou l’utilisation d’ISIS (armée islamiste aussi appelée DAESH) en Italie pour contrer l’avancée de la Chine dans notre pays. Le premier objectif est de chasser d’Italie les austromonétaristes de la Troika et leurs collaborateurs.

http://comaguer.over-blog.com

Bulletin n° 277 - semaine 46 - 2014

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