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La Pilarica contre Sant Jordi : deux fêtes nationales, espagnole, catalane, aux styles opposés.

On comprend mal, depuis la France jacobine, les enjeux et le sens de la lutte des Catalans, depuis la fin de la dictature franquiste, pour l’autonomie, pendant trente ans, puis, face au refus de dialogue et à l’hostilité de Madrid, pour l’indépendance. Les différences entre les deux fêtes nationales, qui semblent valider l’image traditionnelle des manuels d’une Espagne "sol y sombra" (ombre et lumière), seront peut-être éclairantes.

Le 12 octobre dernier, les Espagnols, y compris ceux de Catalogne, ont célébré leur Fête Nationale, dite Fête de l’Hispanité, qui coïncide avec la fête de la Vierge de Saragosse, la Pilarica (=notre petite Vierge du Pilier : c’est une statuette juchée sur un gros pilier). Ces deux éléments de la fête méritent d’être approfondis.

La Vierge du Pilier est à la fois la patronne de l’Aragon, de l’Espagne, de l’infanterie, de la Guardia Civil, entre autres ("Dieu ! que j’aime les militaires, les militaires..."). La Fête de l’Hispanité n’a pris ce nom qu’en 1958 ; jusque-là, et depuis 1918 (à la suite de la perte, en 1898, des derniers restes de l’Empire espagnol), elle s’appelait le Jour de la Race, et célébrait le débarquement de Colon en Amérique le jeudi 12 octobre 1492, et exprimait l’orgueil de la race espagnole, face aux races soumises. Sous le nom plus correct de Fête de l’Hispanité, elle n’a guère changé de nature, et est l’occasion d’un défilé militaire, présidé par le Roi, qui met à l’honneur la Légion étrangère avec sa mascotte, une chèvre coiffée du calot légionnaire.

Ce 12 octobre, elle a pris à Barcelone un caractère nettement anti-catalan, prétexte à un déploiement de drapeaux espagnols, qui sont les mêmes que les drapeaux fascistes qui, le 26 janvier 1939, prirent possession d’une Barcelone déserte et terrorisée.

Ces drapeaux espagnols à Barcelone prennent aussi un sens particulier en cette année où, à huit mois des élections municipales, les partis espagnols se disputent le terrain à l’extrême-droite, avec pour principal argument de racolage électoral la guerre contre l’autonomie et la culture catalanes. Sont en lice : le PP (en déclin en Catalogne), Ciudadanos, habituellement présenté comme un parti centriste, et qui se situe en fait à la droite du PP, qu’il a évincé grâce à un discours raciste, anti-immigrés et anti-catalans, plus énergique, (c’est à son invitation qu’a répondu Manuel Valls), et Vox, qui se présente ouvertement comme un parti d’extrême-droite, et qui, né il y a quatre ans, connaît une rapide progression. Est-il besoin d’insister sur l’analogie entre les développements actuels en Espagne et en Catalogne, et la montée du fascisme en Europe dans les années 30, stratégie adoptée par le capitalisme face à la crise économique et ses conséquences sociales ?

Le 23 avril, en Catalogne, c’est le jour de la Sant Jordi (Saint Georges), saint apocryphe mais pittoresque, dont la légende a été dessinée sur le modèle des mythes si riches de Persée et Andromène, ou Eros et Psyché : c’est un chevalier qui libère une princesse menacée par un dragon des mers qui allait la dévorer, ce qui suggère évidemment une jolie histoire d’amour. En Catalogne, Sant Jordi est donc devenu une figure du Prince Charmant, et sa victoire sur le dragon est la victoire du printemps sur l’hiver. C’est pourquoi, le 23 avril, on offre une rose (en particulier à son amoureuse) attachée à des épis de blé par un ruban aux couleurs du drapeau catalan. Ce qu’on célèbre, c’est le triomphe de la vie, sous toute ses formes, y compris la vie de l’esprit : ce jour-là, il y a foule dans les librairies, qui font une réduction de 5%, car, au lieu ou en plus de la rose, la tradition est aussi d’offrir un livre.

Contrairement à la fête espagnole excluante et militariste, la fête catalane est donc ouverte à tous : Catalans, Espagnols, musulmans, tous peuvent s’offrir roses et livres. Pourtant, le Chevalier à la rose semble aujourd’hui bien menacé face au dragon espagnoliste qui crache le feu par tous ses canons.

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