RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Le Mexique de l'insurrection de Tierra Colorada

Depuis plusieurs mois, des milices commencent à se constituer au Mexique, devant l’omniprésence anarchique et dissolvante des cartels de la drogue et l’inexistence de l’État, essentiellement pour ce cas dans le chef de la corruption des divers services publics de sécurité. Dans sa chronique du 1er avril 2013, Justin Raimondo date la naissance du mouvement au 6 janvier de cette année, sous la forme d’un groupement de milice dans la ville de Ayulta de los Libres ; depuis est apparu notamment le UPOEG, pour Unión de Pueblos Organizaciones del Estado de Guerrero (en équivalent français : Union des citoyens et des organisations de la province de Guerrero).

« L’étincelle qui a mis le feu à la prairie mexicaine a été le kidnapping d’un leader d’une communauté locale le 6 janvier dans la ville de Ayulta de los Libres, dans la région de Costa Chica : 800 autochtones armés de fusils de chasse ainsi que de machettes et portant des masques de ski ont mis en place des checkpoints pour protéger leurs communautés de l’insécurité régnante ; ils ont arrêté 40 criminels. Depuis ce jour, des milices d’autodéfense UPOEG se sont constituées dans plus de 20 localités. Des groupes d’autodéfense similaires se sont formés dans 13 états et 68 municipalités du pays. »

Un événement important s’est produit le 28 mars, lorsque l’UPOEG de Tierra Colorada, une ville située sur la route entre Mexico City et Acalpuco, s’est de facto transformé de milice d’autodéfense en groupe insurrectionnel en prenant en charge tous les pouvoirs de la ville et en effectuant diverses arrestations d’autorités locales. Voici comment Justin Raimondo nous rapporte l’affaire.

« Les habitants de Tierra Colorada, dans la province mexicaine de Guerrero province en ont assez. Le 18 mars, 1 500 citoyens armés ont pris la rue, mis en places des barrages et arrêté des officiels locaux. Tierra Colorada se trouve sur une route importante qui relie la ville touristique d’Acapulco située à moins de 60 km à la ville de Mexico. Des citoyens armés ont mis en place des checkpoints sur la route, ils arrêtent voitures, taxis et autres véhicules et ils fouillent les maisons à la recherche de criminels notoires. Ils ont aussi arrêté l’ancien maire, le chef de la police et 12 officiers de police. Ils les accusent de meurtre et de collusion avec des criminels. Leur porte-parole, Bruno Placido Valerio, a déclaré : "Nous avons pris d’assaut la municipalité parce qu’ici les criminels opèrent au grand jour et en toute impunité au vu et au su des autorités locales."

 »Valerio est le leader d’un groupe qui a pris le nom d’Union des citoyens et des organisations de la province de Guerrero (UPOEG) et qui était au départ un mouvement de protestation contre les tarifs exorbitants exercés par la compagnie publique qui détient le monopole de l’électricité. La corruption entraîne la détérioration de plus en plus grande de l’autorité et de l’efficacité de l’état mexicain, et donc, l’UPOEG, voyant les cartels de la drogue coopter et corrompre ce qui tient lieu d’autorités locales dans le sud et l’est du Mexique, s’est mise à assumer les responsabilités du gouvernement. Les cartels ont virtuellement pris toute la région, assassinant, pillant, et maltraitant les citoyens et tout cela avec la coopération active de la "police," qui n’est rien d’autre qu’un gang armé supplémentaire qui dépouille les innocents. Quand la "police" locale a assassiné Guadalupe Quinones Carbajal, le leader local de l’UPOEG de 28 ans, pour le compte d’un syndicat du crime local les habitants se sont levés en disant : Ca suffit !

 » Il y a des soulèvements dans toute la province de Guerrero, ainsi que dans d’autres parties du Mexique du fait que l’état central se désintègre dans la corruption, la collusion et le chaos. Comme les cartels de la drogue contrôlent virtuellement l’appareil d’état et la police, le peuple mexicain n’a pas d’autre choix que de se battre lui-même contre la vague de criminalité qui balaie le pays et qui laisse les citoyens ordinaires à la merci des assassins, maîtres chanteurs et autres kidnappeurs.

 » Bien entendu les politiciens de la ville de Mexico sont indignés : Ce qui se passe, clament-ils est une "insurrection," et l’UPOEG est une "armée de guérilléros," une accusation qui pourrait se comprendre étant donné la longue histoire de mouvements guérilléros de l’état de Guerrero. Sauf que cette fois-ci il s’agit de tout à fait autre chose car au lieu de chercher à renverser le gouvernement central, les militants de l’UPOEG se contentent de le contourner et de mettre en place leur propres organes de sécurité afin de remettre un peu d’ordre dans les communautés locales. Bien entendu les autorités considèrent cela comme une menace… »

L’épisode est bien entendu intéressant, dans ce pays en ébullition qu’est le Mexique, dans ce Système en ébullition qu’est notre époque. Raimondo aborde cette question mexicaine à la lumière de cette évolution, effectivement d’un point de vue global, comme un signe de plus de l’ébranlement général… (« A mesure que les populations qui vivent en dehors des grandes métropoles souffrent de plus en plus de la contraction de l’économie mondiale, l’agitation grandit dans les campagnes du monde entier. Il ne sera bientôt plus possible d’ignorer le désordre qui s’intensifie à quelques kilomètres de villes étasuniennes comme El Paso… ») Il en fait également le signe de la déstructuration en cours d’un pays conduit par un État "failli" , en complète situation de corruption, d’impuissance, et d’activités technocratiques arbitraires sans le moindre sens par rapport où une situation où le crime organisé est le véritable maître du pays.

Lorsqu’il en vient à envisager les rapports et les relations des USA avec un Mexique plongé dans une telle situation appréciée dans son prolongement hypothétique d’aggravation, Raimondo juge que cette situation conduira inévitablement les USA à intervenir, avec comme conséquence la fixation d’une nouvelle crise sous la forme d’une sorte de "guerre civile" où les USA seront partie prenante.

« Les décideurs politiques de Washington auront tout naturellement tendance à intervenir, d’abord en envoyant des "conseillers" et des milliers de milliards "d’aide étrangère," et ensuite par des frappes de drone et peut-être même l’envoi de troupes au sol. Une telle réaction engendrerait une contre offensive nationaliste de grande envergure et une longue guérilla, là tout près, dans notre "arrière-cour," comme nous avons l’habitude de dire.

« Ce n’est bien sûr pas "notre" arrière-cour : pour les Mexicains, c’est nous qui sommes dans leur arrière-cour et nous n’avons pas toujours été les meilleurs voisins du monde. Le contrecoup de la guerre étasuno-mexicaine* a été long à se manifester mais aujourd’hui il est pratiquement là . »

On a déjà lu un texte sur la phase actuelle de cette question du Mexique (concernant un commentaire de Stephen M. Walt, voir le 28 janvier 2013), également dans une tonalité d’une réelle inquiétude. Ce qu’il y a de plus intéressant dans ces appréciations, c’est sans doute que des commentateurs qui restent de tradition US malgré leurs positions proche de la dissidence ou complètement dissidentes, tendent à considérer la crise mexicaine dans un contexte plus global que de coutume. Même si le Mexique forme la frontière des USA, l’évolution mexicaine est perçue dans ce cas comme un élément de la crise générale d’effondrement du Système et non plus exclusivement en fonction de ses relations avec les USA. (Bien entendu, ce n’est nullement le cas du gouvernement US et du monde washingtonien. L’un et l’autre continuent à ignorer la crise mexicaine dans sa potentialité d’effet pour les USA, parce que le Mexique est intégré dans la sphère des USA pour la psychologie américaniste expansionniste et annexionniste ; c’est dans tous les cas au pire de la perception une "arrière-cour" où l’on a l’habitude de jeter ses détritus sans autre préoccupation et au mieux de la perception un appendice turbulent dont la turbulence n’a pas la capacité d’affecter un corps central d’une si grande puissance [les USA]. Cet aspect psychologique était envisagé dans notre texte du 28 janvier 2013.)

La perception de la crise mexicaine comme élément de la crise générale d’effondrement ouvre une hypothèse qui, bien entendu, s’appuie sur le fait singulièrement significatif du développement de ces structures insurrectionnelles au Mexique et de leur éventuelle poursuite : ce développement, justement, pourrait-il confronter les USA avec un élément important du développement de la crise générale d’effondrement du Système, au lieu de faire partie des relations spécifiques, et toujours agitées, du Mexique et des USA ? D’une certaine façon, on pourrait dire que l’insularité des USA a protégé ce centre du Système d’une réelle implication dans la crise générale. Les USA sont certes secoués par des crises diverses, d’une puissance déstructurante considérable, mais qui restent perçues comme des facteurs internes sauvegardant l’"isolationnisme" psychologique US. Il reste à établir un lien entre cette situation intérieure instable des USA et le reste, pour faire que, justement, cette situation ne soit plus "intérieure" . Si la situation du Mexique évolue dans le sens de s’intégrer dans le contexte crisique mondial, - si, par exemple, le développement de l’UPOEG peut être placé en parallèle d’équivalence avec la poussée électorale du parti M5S de Beppe Grillo en Italie comme partie intégrante d’une "insurrection mondiale" , - et si ce développement touche la situation intérieure US, alors effectivement les USA seront affectés directement par la crise mondiale.

Par ailleurs une telle dynamique présente la possibilité d’un développement commun dans les deux pays, si les deux pays sont affectés l’un l’autre, et l’un par l’autre. La description de l’artificialité historique du Mexique que fait Raimondo pourrait être largement reprise, - peut-être ne le réalise-t-il pas directement ? - pour les USA eux-mêmes, d’une façon encore plus accentuée dans certains domaines. D’une façon plus générale, cette poussée telle qu’on la perçoit, à la fois vers une fragilisation du centre et vers le développement de forces centrifuges, est un schéma général qu’on retrouve partout dans la crise d’effondrement du Système. (On pourrait même admettre ce schéma pour l’UE, si l’on considère que l’UE est un centre et les nations faisant partie de l’UE des parties de ce centre développant des tendances centrifuges.)

Dans tous les cas, le Mexique se confirme une fois de plus comme un foyer d’agitation persistant, et même résilient, pour les USA, alors qu’il se trouve lui-même placé dans une dynamique dont l’on voit mal qu’il puisse sortir décisivement sans un événement rupturiel qui aurait évidemment des effets immédiats aux USA. Ce schéma d’interprétation vaut notamment depuis 2005-2007 et s’insère par conséquent dans la séquence mondiale depuis 2008. L’importance du Mexique pour les USA, en tant que foyer d’agitation pour les USA, n’a plus cessé de grandir, à la fois au travers des événements concernant la "guerre de la drogue" et à travers des événements politiques avec cette menace d’un événement rupturiel. Cette affaire de Tierra Colorada et de l’UPOEG représente un des premiers événements d’une certaine importance dans le domaine de ce que nous nommerions "l’insurrection" (contre le pouvoir central) qui concerne à la fois la question de la drogue et la situation politique elle-même. De ce point de vue, il doit être noté et suivi comme une possibilité de plus de la dynamique générale du Système (surpuissance-autodestruction) que le Mexique devienne vraiment un facteur antiSystème vis-à -vis des USA.

Note du traducteur :
* La Guerre étasuno-mexicaine (1846-1848) se déclenche lorsque le Congrès américain vote l’annexion du Texas en 1845. Elle se termine par le traité de Guadeloupe Hidalgo signé le 2 février 1848 : le Mexique cède aux États-Unis le Texas, la Californie, l’Utah, le Nevada, le Colorado, le Wyoming, le Nouveau-Mexique, et l’Arizona (la moitié de leur territoire), pour 15 millions de dollars de l’époque, ce qui équivaut à environ 600 millions de dollars de l’an 2000. Ce traité met fin aux hostilités, mais est très humiliant pour les Mexicains.

Pour consulter l’original : http://www.dedefensa.org/article-le_mexique_de_l_insurrection_de_tierr...

Traduction des parties en Anglais : Dominique Muselet

URL de cet article 20003
  

Même Thème
La Nuit de Tlatelolco, histoires orales d’un massacre d’Etat.
Elena Poniatowska
« Pour le Mexique, 1968 se résume à un seul nom, à une seule date : Tlatelolco, 2 octobre. » Elena Poniatowska Alors que le monde pliait sous la fronde d’une jeunesse rebelle, le Mexique aussi connaissait un imposant mouvement étudiant. Dix jours avant le début des Jeux olympiques de Mexico, sous les yeux de la presse internationale, l’armée assassina plusieurs centaines de manifestants. Cette histoire sociale est racontée oralement par celles et ceux qui avaient l’espoir de changer le Mexique. (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Les bombes nucléaires pourront tuer ceux qui ont faim, les malades, les ignorants. Mais elles ne pourront pas tuer la faim, les maladies et l’ignorance. Elle ne pourront pas non plus tuer la juste rebellion des peuples".

Fidel CASTRO

Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.