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Le rapport Attali : libéral à 99,9 %.

Rouge et Vert, février 2008.


Rouge et Vert : Jacques Attali a présenté mercredi 23 janvier son rapport sur la "libération de la croissance" au président de la République. Qui sont les membres de la commission qui ont conçu ce programme ?

Michel Husson : Contrairement à ce que prétend Attali, sa commission est complètement déséquilibrée au profit des représentants du patronat, des économistes et idéologues libéraux. Les autres font de la figuration et seraient bien en peine de dire quel a été leur apport « social ». La présence de Boris Cyrulnik, par exemple, est navrante, puisqu’il cautionne un projet de société hyper-concurrentielle à l’exact opposé de ses analyses. Le plus drôle est le cas de Jean-Philippe Cotis, recruté en tant qu’économiste en chef de l’OCDE : comme membre de la Commission, il entérine l’idée de transformer l’Insee en agence, qu’il refuse absolument en tant que directeur de l’Institut de statistiques, poste auquel il a été promu entre-temps.


Rouge et Vert : ce rapport présenté comme "un ensemble cohérent" à appliquer en intégralité est-il réalisable qu’en partie ?

M.H. Attali a raison d’insister sur la « cohérence » de son programme, parce que son rapport dégage la cohérence libérale du projet de Sarkozy, et de ce point de vue, il est un révélateur utile, déjà gênant pour la droite. Mais tout est ensuite une question de tactique, où Attali n’aura plus son mot à dire : comment articuler toutes les « décisions » proposées, qui forment effectivement un « tout », sans prendre le risque de déclencher un « tous ensemble » ?


Rouge et Vert : la libération de la croissance peut-elle permettre d’aller vers le plein emploi ?

M.H. Non, parce que le diagnostic porté sur les causes du chômage est erroné. Le chômage ne provient pas d’une croissance bridée par les « rigidités » et les « privilèges ». Il résulte avant tout d’une répartition des revenus défavorable aux salariés : le chômage est l’envers de la financiarisation. Pour lutter contre le chômage, il faudrait rétrocéder sous forme de réduction du temps de travail les gains de productivité extorqués aux salariés. L’impact de la croissance sur l’emploi est de toute façon conjoncturel et un supplément de croissance fondé sur une précarisation accrue pourrait d’ailleurs très bien se traduire par une extension du chômage réel. Et surtout, l’hymne à la croissance est manifestement contradictoire avec les objectifs écologiques, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’Attali veut revenir sur le principe de précaution. Plutôt que de chercher à « libérer la croissance » on aurait besoin aujourd’hui de réfléchir sur le contenu de cette croissance.


Rouge et Vert : et les fameuses rigidités ?

M.H. C’est là qu’on trouve le noyau dur libéral du rapport avec deux mesures essentielle qui sont de nouveaux allégements de cotisations et une réduction brutale des dépenses publiques. L’économie française serait corsetée par une réglementation sociale et par un poids de l’Etat excessifs. Mais là encore, le diagnostic est erroné. La perte de compétitivité de l’économie française résulte pour l’essentiel d’un euro trop fort et du retard du patronat français en matière de recherche et d’innovation : les salariés n’ont pas à endosser la responsabilité de cette situation. Quant aux dépenses publiques, leur poids est inférieur en France à ce qui existe dans des pays comme le Danemark et la Suède qui tirent plutôt bien leur épingle du jeu sur le marché mondial. Le déficit du budget n’est pas lié à des dépenses excessives mais à la longue addition de cadeaux fiscaux faits aux riches. Et toute baisse des dépenses publiques s’accompagnerait d’une montée de la pauvreté.


Rouge et Vert : et que penser du thème des privilèges et des rentes ?

M.H. Cette partie mélange le cynisme et le ridicule. Le cynisme, parce que le rapport fait l’impasse sur le privilège n°1 de la société française, qui est celui des rentiers qui bénéficient de l’explosion des revenus du capital. Le ridicule, quand la commission Attali dénonce les privilèges des « professions protégées » (chauffeurs de taxi, salons de coiffure, notaires, pharmaciens) comme si la déréglementation de ces métiers pouvait dégager des centaines de milliers d’emplois ! Au cynisme et au ridicule, on peut ajouter la fausse naïveté qui consiste à penser que la libéralisation de la distribution va permettre des baisses de prix. Elle ne pourrait avoir d’autre effet que de renforcer le pouvoir de négociation des grands réseaux de distribution qui leur permettraient d’augmenter encore leurs marges déjà conséquentes. Enfin, l’ouverture à l’immigration est une orientation positive (et réaliste) mais elle n’est assortie d’aucune garantie contre la mise en concurrence entre travailleurs.


Rouge et Vert : comment la commission Attali compte-t-elle accroître l’offre et la qualité du logement social et cela répondra-t-il aux demandes ?

M.H. Voilà un bon exemple des faux semblants du rapport. La « décision » n°164 autorise l’Etat à se « réapproprier le foncier disponible » dans les communes ne respectant pas la loi SRU sur les logements sociaux. Cela va dans le bon sens, mais cette proposition est suivie d’une série de « décisions » visant à déréglementer l’urbanisme (hauteur autorisée des immeubles, COS, partenariat avec le privé). C’est très « sarkozyen » : une pincée de « social » pour faire passer en vrac le tout-libéral.


Rouge et Vert : ce rapport d’inspiration néo-libérale comporte-t-il un projet politique inquiétant pour l’avenir de notre pays et pour notre démocratie ?

M.H. Oui. Sur la forme : Attali présente son rapport comme un « plan global, non politique, qui devra être mis en oeuvre avec constance au cours des prochaines législatures ». Il n’y a pas d’alternative, donc plus besoin de débat public. Ségolène Royal s’est empressée de confirmer, en remerciant Attali de son « cadeau » : « c’est sur la table, c’est pour aider la France ». Sur le fond : le modèle de société prôné par Attali pousserait à l’extrême les tendances les plus régressives déjà à l’oeuvre : privatisation et individualisme sont ses maîtres mots.

Michel Husson, économiste, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales), membre de la Fondation Copernic. Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ Etat social", La Découverte.

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