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Le retour de l’obscurantisme peut-il sauver les riches ?

Pour expliquer le capitalisme, on le compare souvent à un gâteau qui représenterait la somme des richesses à se partager. Au départ d’une taille qui correspondait à la quantité de monnaie qui le constituait, il s’est agrandi au fur et à mesure des convertibilités successives, de la création monétaire, du crédit… jusqu’à devenir un gigantesque dessert «  mondial », par addition de tous les gâteaux «  nationaux » : c’est le résultat de la mondialisation.

Mais ce gâteau qui grandit sans cesse (c’est ce qu’on appelle la croissance) est à partager entre tous les acteurs qui ont contribué, de près ou de loin, à sa réalisation, selon des règles établies et acceptées sinon par tous, au moins par la majorité. Et toute la science politique se résume à savoir comment : chaque individu a-t-il le droit de prétendre à la même part, et si non comment le justifier ?

Cette question revient à aborder le problème du partage non pas d’un point de vue égalitaire ( les inégalités sont flagrantes) mais de celui de la justice. Est-il juste que certains reçoivent une part plus grande que d’autres, et par extension est-il juste que certains n’aient pas même de quoi se nourrir quand d’autres gaspillent sans vergogne ? Voilà la question qui se pose à chacun de nous, de quelque côté qu’on se trouve autour de la table, et voilà sur quoi devrait théoriquement reposer la distinction entre la droite et la (vraie) gauche (voir ici).

Pour éluder cette question certains tenteront d’évoquer le fait que le gâteau continue de grossir et que fatalement il y a plus à se partager, mais récupérer plus de miettes ne peut décemment être considéré comme une victoire : il reste des milliers d’enfants qui meurent de faim, chaque jour.

La réalité est donc plus forte que la théorie, la main invisible n’existe pas, et tout le monde ou presque, aujourd’hui, est en mesure de s’en apercevoir tout autour de lui. Comment alors justifier que ces inégalités perdurent, et même augmentent ? Le fait d’être à la tête de ceux qui coupent les parts n’est pas une raison suffisante, pas plus que celui d’être à la tête de ceux qui donnent le droit à cette charge. Il y a autre chose de plus fort, de plus puissant que la volonté de quelques uns (voir «  tous des lâches » ), et cette autre chose c’est nous, le peuple. Ce peuple qui adhère et qui a fini par croire que certains hommes valent plus que d’autres, et donc que certains autres (parfois soi-même !) en valent moins.

Car pour justifier et accepter que certains hommes aient des droits supérieurs à d’autres hommes, pour justifier et accepter qu’un petit nombre d’individus possèdent l’équivalent de millions d’autres, il faut que les inégalités trouvent une explication imparable capable de satisfaire aux conceptions de la justice d’une société : si on considère qu’il est juste que les «  meilleurs » reçoivent une plus grosse part (ce qui laisse nécessairement aux autres participants une moins grosse part à se diviser), il faut donc déterminer précisément ce qu’est être «  meilleur », et selon quels critères la société définit ce statut (les plus riches, les plus forts, etc…)

Cette question aurait dû être réglée depuis la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, mais manifestement les êtres humains ne sont pas tous considérés comme des hommes (et a fortiori comme des citoyens) puisqu’un enfant n’est ni un homme ni un citoyen, un condamné déchu de ses droits reste un homme tout en perdant le statut de citoyen. Mais qu’est-ce qu’un homme alors, et qui «  mérite » cette dénomination ? faut-il en exclure les femmes et les jeunes, les enfants ? Les esclaves, les petits, les handicapés, les étrangers, les musulmans ? Si les hommes naissent libres et égaux en droit, comment justifier que la société détruise cette égalité de principe dès la sortie du ventre maternel ?

Quand on fait le bilan du capitalisme , il ne fait aucun doute qu’à l’arrivée les principes théoriques s’effondrent : les enfants des classes sociales «  favorisées » ont toujours plus de chances de parvenir à se maintenir au sein de cette classe que ceux des classes moins favorisées, et «  l’égalité des chances » résonne comme une vaste supercherie. Rien de nouveau sous le soleil, nous répondra-t-on en évoquant le passé et la «  prédestination » divine, la royauté… toujours les puissants se sont réfugiés derrière des arguments «  incontestables » pour justifier le partage inégal des richesses : ce n’est pas le riche qui choisit d’être riche mais une sorte de «  volonté supérieure » qui favorise comme «  naturellement » certains êtres qui, nécessairement, doivent en retour récupérer plus. Comme les gros mangent plus, les meilleurs hommes doivent avoir plus. L’injustice du partage ne serait donc pas la conséquence d’un mauvais système (qu’on peut modifier) mais celle de l’injustice naturelle qui existe entre les hommes.

Mais ceux qui tiennent ce discours sont ceux-là mêmes qui ont tout intérêt à le faire croire : en établissant ainsi une cause supérieure indépendante de leur volonté, les bénéficiaires de l’injustice de ce partage défendent leurs privilèges en même temps que leur honneur. Etre «  le fils de » pour expliquer sa réussite est moins glorieux que de se croire un don, évidemment génétique, puisqu’il se transmet de père en fils. Ils prétendent et finissent par croire qu’ils sont eux-mêmes meilleurs, et donc qu’ils méritent leur fortune, tandis que ceux qui les jalousent sont moins bons. Pour eux, il est impossible que la raison en soit sociale, car alors la légitimité de leur position leur semblerait (même à eux) intenable : en admettant qu’ils sont favorisés par des règles injustes que les puissants ont mises en place pour conserver leur position dominante, à eux et à leurs enfants, ils admettraient aussi la remise en cause de cette position.

Et c’est bien à cela que servait le vieux débat sur l’inné et l’acquis, sur le péché originel ou le caractère intrinsèquement bon ou mauvais de l’homme ; la génétique étant l’argument suprême (scientifique !) pour défendre les injustices…. Sauf que cette illusion est en train de s’effondrer elle-aussi, en même temps que les frontières médiatiques qui, avec l’arrivée d’internet, permettent de montrer au grand jour les mensonges censés les faire accepter.

Car en réalité la génétique n’est rien d’autre qu’un capital (et oui !) que les évènements extérieurs permettent ou non de faire fructifier. Avec l’épigénétique, on découvre que les gènes peuvent (ou non) s’exprimer, et cela dépend du contexte. Cela signifie que le social (l’acquis) prime sur le génétique (l’inné), et surtout que les injustices liées au partage des richesses ne sont pas inéluctables . Et tout le monde peut aujourd’hui s’en rendre compte pour peu qu’il en soit informé. D’ailleurs, il suffirait pour s’en convaincre de supprimer l’héritage, et on verrait alors si les meilleurs sont encore les enfants des riches…

Face à l’obsolescence de cet argumentaire et à la diffusion incontrôlable des clefs de lecture du système, il faut désormais que les dominants s’attachent à reconstruire un discours crédible pour justifier leur domination : la science ne suffisant plus à expliquer les inégalités, la religion fait un retour en force dans les esprits, à travers le concept fumeux de civilisation, derrière lequel on peut entrevoir les deux évènements majeurs qui vont arriver : le retour de la fermeture des frontières pour permettre la censure, et un retour vers l’obscurantisme religieux, seul capable de laisser planer le doute quand à une «  prédestination » pour expliquer l’injustice du partage des richesses.

En réalité la crise est l’excuse sur laquelle s’appuient les puissants pour le rester en imposant LEUR modèle de civilisation, et le choc des civilisations sera la croisade capable de détourner l’attention des peuples vers d’autres responsables des injustices dont ils sont victimes. Et pendant qu’on s’évertue à remettre en place les conditions de cet obscurantisme à travers des débats indignes des valeurs que défendent en théorie nos institutions, les riches continuent de s’enrichir, et les pauvres de s’appauvrir. Combien de temps encore les peuples laisseront-ils l’injustice de ce systèmeperdurer ?

Caleb Irri

http://calebirri.unblog.fr

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COMMENTAIRES  

17/03/2012 09:12 par babelouest

Mais pourquoi juste "les peuples", comme le rappelle la dernière ligne ? Il n’y a que des humains, plus ou moins séparés d’autres humains par des obstacles géographiques (distances, montagnes, mers) ou administratifs et arbitraires (frontières). Ces humains sont égaux en droits, et en devoirs quand ils deviennent adultes. Le reste n’est bien sûr que divisions créées par des types (le plus souvent des hommes) pour cacher derrière la roublardise une intelligence pas souvent supérieure. En quelque sorte la perversité tient lieu de supériorité.

J’ai bien dit : tous égaux en droits, en droits fondamentaux (se nourrir, se loger, se vêtir en fonction des climats, progresser en savoir (immatériel par définition) et en expérience. Tous égaux en devoirs : contribuer précisément à ce que tous bénéficient de ces minima. Car le reste n’est que du superflu.

Quant aux enfants, bien entendu aussi longtemps qu’ils sont trop jeunes ces devoirs ne leur incombent pas, ou leur incombent progressivement. On ne passe pas adulte d’une heure à l’autre, comme pourraient le faire supposer des législations. C’est pourquoi déjà faire acquérir aux enfants des responsabilités correspondant à leur développement est très bénéfique, du genre "surveille ton petit frère, pour qu’il ne se blesse pas". Cela peut paraître puéril à certains, sans doute.

C’est dire combien des notions de droits et devoirs considérées comme acquises sont à revoir de fonds en combles partout. Souvent, malheureusement, des habitudes se sont prises, et cerise sur le gâteau des hiérarchies religieuses ont codifié ces habitudes pour les rendre encore plus rigides et contraires au simple bon sens.

Que retirer de ces quelques considérations ?
 les religions et leurs notions de droits et devoirs réussissent à pervertir le simple bon sens
 des hiérarques dits "religieux" ou "de défense" (suzerains), ou les deux (rois ou présidents) tirent à eux la notion de commandement qui s’oppose à la responsabilité individuelle
 d’autres hiérarques réussissent à accaparer les tâches des autres membres de la communauté humaine à leur seul profit, et avec d’autant plus de réussite qu’ils ont, eux, moins d’efforts à accomplir, ce sont les grands chef d’entreprises qui la plupart du temps ne les ont ni créées, ni développées : leur seul mérite est de bénéficier d’entraides entre pseudo-membres d’une élite autoproclamée
 entre les hiérarques des différentes étiquettes, souvent s’opèrent des transferts qui en disent long sur leur supériorité : elle n’est que celle de la position, souvent héréditaire, mais surtout intériorisée et considérée comme "allant de soi".

Je pense à deux noms : l’un a tout, et a vraisemblablement peu fait relativement à sa position ; l’autre n’a rien, et pourtant il a un esprit clair et percutant. Arnaud Lagardère, et Xavier Mathieu. Je pense que le choc est violent.

17/03/2012 11:31 par Anonyme
18/03/2012 03:32 par patrice sanchez

Merci pour cet article,
De tous temps les riches ont fomenté des guerres pour préserver leurs avantages et ils nous en préparent une bien sanglante une fois de plus !
Quant aux notions de démocratie, de droits de l’homme et de religions, ce ne sont que des concepts élaborés par ces mêmes puissants pour mieux nous contrôler !

18/03/2012 10:12 par moi

@ 17/03/2012 à 11:31, par Anonyme

Le lien ne fonctionne pas. C’est dommage, car c’est sûrement très intéressant...

18/03/2012 11:16 par Luxum

Patrice Sanchez a dit : "Quant aux notions de démocratie, de droits de l’homme et de religions, ce ne sont que des concepts élaborés par ces mêmes puissants pour mieux nous contrôler !"

N’importe quoi ! Comment peux tu affirmer que le concept de démocratie qui signifie "pouvoir au peuple" est une invention des riches pour mieux nous contrôler alors que les grecs antiques ont parfaitement démontrer que la VRAIE démocratie (pas cette parodie avec son suffrage universel) était l’arme la plus efficace pour que les faibles se protègent des abus de pouvoir des puissants !

Les droits de l’homme sont le fruit du travail de grand intellectuels des lumières. Si aujourd’hui les puissants se servent de ce concept pour justifier des bombardement sur des pays souverain ce n’est évidemment pas le but des droits de l’homme.

Quant à la religion ce n’est une fois de plus pas les puissants qui l’ont inventé pour mieux contrôler les peuples. La religion a été inventée par les peuples pour justifier des phénomènes inexpliqué avant que les riches n’en détourne le concept pour justifier leur domination.

18/03/2012 14:36 par calame julia

..."la VRAIE démocratie (pas cette parodie avec son suffrage universel) était l’arme la plus efficace
pour que les faibles se protègent de l’abus de pouvoir des forts"...

je médite afin de trouver qui sont ces faibles qui doivent se protéger de l’abus de pouvoir des forts
dans une démocratie... et je médite tristement ! Il n’y a plus de lutte ou de liberté possible lorsqu’on
a admis cette classification...

19/03/2012 00:25 par patrice sanchez

@ luxum
Je parle des pseudos démocraties de ces deux derniers siècles,
quant aux intellectuels ils sont à de rares exceptions du coté du pouvoir et oeuvrent pour ses intérêts !
Seul l’anarchisme serait un modéle de société équitable mais cela relève de l’utopie tant les masses sont conditionnées ...

19/03/2012 00:41 par patrice sanchez

@ luxum toujours
à propos des religions des sectes et autres loges maçonniques,
le peuple ne fait que suivre malheureusement, prêt à s’enflammer face à des démagogues manipulateurs et c’est dire s’il y en a eu , tu n’aurais pas entendu parler du nouvel ordre mondial et l’abolition des religions, tu vas certainement me traiter de complotiste, pour l’instant ce sont les états qui sont en voie de disparition, les religions devraient suivre de prés !
Wait and see ...

19/03/2012 10:20 par Pierre M. Boriliens

Je suggère aux lecteurs de consulter attentivement le site "autour de Jacques Bouveresse" qui explore, entre autres et de façon très rigoureuse, ce dont parle Caleb Irri forcément un peu vite ici (faute de place disponible, de toute évidence) : http://autourdejacquesbouveresse.blogspot.com/

Et pour un minuscule aperçu : http://www.dailymotion.com/video/xox1b7_jacques-bouveresse-croyance-et-marche_news

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