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Le troupeau aveugle

illustration : couverture de "Le troupeau aveugle" de John Brunner, éd. J’ai Lu (illustration de Caza)

La pollution de notre air a atteint un pic record le mois dernier. Un épisode de plus dans la longue litanie des « dégâts environnementaux ». Nous savons déjà qu’il sera dépassé un jour prochain. Nous savons cela et le prenons désormais comme une fatalité. L’ampleur du désastre atmosphérique asphyxie jusqu’à notre espoir d’en sortir. Nous pestons contre l’impuissance des politiciens normalement en charge des problèmes de la Cité mais accordons à cette impuissance notoire des circonstances atténuantes quand il ne s’agit pas tout bonnement de l’excuser pour l’essentiel. C’est que la Cité, dans sa dimension écologique, est trop vaste pour être facilement gouvernée. Les pollutions diverses - ou le réchauffement climatique – se jouent des frontières bornant encore trop souvent l’action publique. Nous sommes comme un troupeau aveugle. Nous nous en remettons aux « décideurs » tout en sachant que ces bergers sont probablement incapables de nous détourner du chemin menant au gouffre. Pis, certains bergers savent qu’il sont les nouveaux Panurge et s’entêtent néanmoins )à suivre le mauvais chemin.

Quand il publie « le troupeau aveugle » en 1972, John Brunner sait déjà vers quel destinée funeste les hommes risquent fort de mener la planète et l’humanité qui la porte. Nous avons pris l’habitude de cantonner ce roman, deuxième volet d’une quadrilogie remarquable sur le devenir inquiétant de notre monde, au rang des œuvres de pure science-fiction. Là est notre grand tort. Se (re)plonger quarante ans plus tard dans les mésaventures d’Austin Train, philosophe écologiste et héros du livre, est proprement saisissant. L’auteur, sociologue de profession avant d’être romancier, imagine le monde de la fin du XXème siècle ravagé par la pollution chimique. La Méditerranée n’est plus qu’un immense cloaque, certains jours New York est arrosée d’une pluie d’acide, les habitants de nombreuses villes sont condamnés à respirer souvent à l’aide de masques à oxygène, la nourriture est contaminée par les pesticides, les microbes résistent aux antibiotiques, l’espérance de vie décroît. Austin Train, lanceur d’alerte d’avant la lettre, tente avec les adeptes de ses thèses , les trainites, d’organiser la riposte de la population américaine contre le désastre écologique. Ils sont irrémédiablement pourchassés par la police, les pouvoirs en place ne pouvant accepter les agissements de ces empêcheurs de polluer en rond. Les « valeurs de la société américaine » ne sauraient tolérer la remise en cause du modèle économique en vigueur. Comment ne pas songer ici à la phrase prononcée vingt-cinq ans après l’écriture de ce roman par George W . Bush au moment du sommet de Kyoto : le mode de vie des Américains n’est pas négociable !

1972 est aussi l’année de la parution du rapport Meadows, « Halte à la croissance ».

Pourtant, quarante ans plus tard ce fétiche continue d’être partout recherchée, les gisements de matières premières s’épuisent dramatiquement, les écosystèmes sont empoisonnés à petit feu. Et les Hommes croient tenir en la techno-science leur planche de salut. Le capitalisme productiviste et prédateur règne en maître et peut bien, ici ou là , abandonner quelques arpents de son territoire aux vains alibis de la « soutenabilité » qui, par contraste , contribuent à le mettre en valeur. Face à l’étouffante domination, les peuples sont devenues atones hormis de trop rares velléités de résistances vite essoufflées ou récupérées. Les mouvements ouvriers qui pensaient faire la Révolution en poussant à fond les feux de la production capitaliste se sont depuis longtemps effacés. La relève de l’idée révolutionnaire par une autre voie n’est pas venue. L’écologie politique n’est toujours qu’un croupion. L’économique – ou plutôt le financier – l’emporte toujours sur le social et l’environnemental. « Lorsque le militantisme diminue, la classe des gardiens de l’ordre établi, qui ne faiblissent jamais dans leur tâche, reprend le pouvoir. Pendant que les intellectuels de gauche discutent entre eux en termes compliqués, on enterre des vérités qui avaient été autrefois comprises, l’histoire est transformée en instrument du pouvoir et on prépare le terrain pour les entreprises à venir » (1), Analyse pertinemment Noam Chomsky.

Notre Histoire est riche de ces prémonitions intelligentes se heurtant à la vigilance des « chiens de garde » sur le troupeau docile et qui gardent forcément toute leur acuité aujourd’hui. Ainsi celle de Georges Bernanos : « Je pense depuis longtemps que, si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, [...] mais la docilité, l’absence de responsabilité de l’homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret publié. » Ou cette autre crainte, encore plus ancienne, d’Albert Schweitzer : « L’homme a perdu la capacité de prévoir et d’anticiper. Il finira par détruire la Terre. » Hélas ! Depuis que ces paroles furent prononcées les économistes n’ont eu de cesse de peaufiner leurs modèles de prévision desquels ils tirent des martingales prétendant mener l’humanité à la prospérité. Tant qu’ils occuperont le haut du pavé de la pensée dominante le salutaire sursaut contre l’économie de prédation ne surviendra pas.

Demain, la parole d’hommes comme Albert jacquard , tout récemment disparue, devra être pleinement reconnue : « mon objectif n’est pas de construire la société de demain, c’est de montrer qu’elle ne doit pas ressembler à celle d’aujourd’hui . »

Yann Fiévet

Les Z’indignés - No 14 – Avril 2014

(1) L’An 501, la conquête continue , 1993.

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