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Les artistes et la politique en Haïti. Autour de l’affaire Evans Paul

Les réactions sur le web relatives à la nomination d’Evans Paul, dramaturge et metteur en scène, au poste de premier ministre d’Haïti, mettent à nu l’indigence de la pensée critique sur ce territoire. Certains affirment péjorativement qu’on est désormais dirigé par deux artistes, un président-musicien et un premier-ministre-comédien. Ils estiment que ces artistes vont transformer l’Etat en une scène où la vérité sera rejetée au profit de la représentation. Le ridicule serait toujours au rendez-vous. D’autres, plus catégoriques, affirment qu’on va vers l’abîme total en livrant l’Etat aux artistes naturellement incompétents face à la chose publique. L’idée commune est que les artistes doivent rester dans leur domaine respectif, l’art, qui serait incompatible avec la politique (comme prise du pouvoir au niveau de l’Etat). Ainsi, toujours dans cette même perspective, un artiste ne serait pas apte à diriger un pays. Quel est le fondement de cette idée dominante ? Les artistes ne sont-ils pas essentiellement politiques ? L’art n’est-il pas de nature révolutionnaire ?

De prime abord, on peut affirmer que cette conception exprime une majeure incompréhension théorique de ce que sont la politique et l’art. Elle fait de la politique une activité réservée uniquement aux ¨politiciens¨, et donc le plus souvent à l’élite intellectuelle. Cette dernière, en fonction de son capital symbolique, est très bien vue dans les divers postes au niveau de l’Etat. Une telle conception est antidémocratique dans la mesure où elle réclame un certains nombre de savoirs pour diriger. Comme le prétend depuis l’antiquité Protagoras, l’affirmation selon laquelle l’élite intellectuelle serait mieux armée pour diriger ruine toute l’entreprise démocratique. Ce savoir, s’il est vraiment nécessaire en politique, peut être acquis dans les expériences quotidiennes et/ou militantes. Les artistes le possèdent et ne sont pas des handicapés politiques.

C’est au nom de cette exclusion politique que le président Michel Joseph Martelly, un contre-exemple de cette conception, de par son statut de chanteur, a déclaré qu’il ne veut pas de communiste et de pauvre au pouvoir. Et il affirme avec fierté et insistance qu’il est prêt à barrer la route à toute candidature de cette trempe. Son animosité pour le communisme est compréhensible car il est libéral économiquement et ne manifeste aucun intérêt pour améliorer les conditions de vie de la population haïtienne. Quant à combattre les pauvres en politique, on est stupéfait de voir toute sa détermination à renforcer un système oligarchique dans lequel les bourgeois sont rois. C’est un coup dur pour ce peuple qui a opté pour la démocratie lors des événements anti-duvaliéristes de 1986.

Gracia Delva, victime de ce partage de la société, l’a aussi reprise dans une de ces chansons populaires : ¨gen docktè nan tribunal la, se alanvè bagay yo ye ...¨. Il estimait que les choses se font à l’envers en Haïti à cause de ces déplacements sociologiques qui font que les gens changent de places et de rang. Le chanteur, une fois devenu député, va rompre avec cette position, car il fait partie de l’un des rares artistes dans le parlement, pour ne pas dire le seul. Ce mode de fonctionnement à l’¨envers¨ est profitable pour lui mais contesté pour les autres. C’est une limite sociologique qui fixe, en fonction de votre statut ou profession, votre place dans la société et vous empêche d’exercer plusieurs activités. L’exemple de l’artiste Manno Charlemagne, ancien maire de Port-au-Prince, devrait casser cette démarche conservatrice qui fait de la politique un lieu réservé aux privilégiés.

Le monde artistique est essentiellement caractérisé par l’imagination, la création et la nouveauté, dans le but d’exprimer et d’atteindre une certaine originalité. Il y a dans l’art un amour pour le nouveau qui nous met sur le chemin du changement. Un vrai artiste doit user de sa capacité imaginative pour représenter le réel sous un visage original. Disons mieux, il doit contribuer à dessiner un paysage nouveau de la réalité. Il est, dans ce cas, un éternel apôtre du changement. Ce qui serait bénéfique pour la politique dans son objectif principal d’améliorer les conditions de vie de la population. Un artiste en politique doit faire preuve d’imagination afin de créer de nouvelles stratégies pour combattre les imperfections économiques et sociales. L’esprit créatif, c’est ce qui manque à nos hommes politiques. Un dirigeant progressiste doit être un artiste complet.

Le philosophe français Jacques Rancière va plus loin en déclarant que l’art est essentiellement politique dans sa tendance à ne pas respecter l’ordre social. Selon lui, l’art a cette capacité de tourner en dérision les icônes dominantes de la société. Il nous fait voir ce qui était caché et entendre les non-dits, déclare Jacques Rancière. L’art nous rapproche de la vérité en faisant rupture avec les schèmes dominants. La politique est au cœur des pratiques artistiques qui cherchent toujours à s’écarter des agencements du réel.

Tous ces artistes qui s’engagent dans la sphère politique en Haïti montrent que le temps est venu de renverser cette vieille conception qui rend politiquement incompétents les artistes. Ces derniers doivent faire preuve d’imagination au pouvoir, afin de nous aider à sortir du chaos économique et social actuel. L’imagination, lieu du possible, fait bon ménage avec le futur dans une perspective meilleure. Dans Les théoriciens au pouvoir, Démesvar Delorme s’inscrit dans cette démarche selon laquelle la faculté d’imaginer serait essentielle pour diriger. Sans pointer les artistes, ce grand intellectuel haïtien nous invite à faire de la politique avec un souci d’invention et de changement. Il serait préférable que tous les politiciens haïtiens deviennent artistes dans leur façon de diriger. On aurait eu une nouvelle société dans laquelle la misère et l’exploitation auraient disparu.

L’esprit de cet article n’est ni de soutenir Evans Paul comme premier ministre ni d’inciter beaucoup plus d’artistes à venir en politique, mais plutôt de profiter de cet appel à la nouveauté émanant du monde artistique. Il faut que nos actions politiques soient caractérisées par ce principe de changement permanent. On a besoin que l’arène politique haïtienne ait enfin une dimension esthétique relative à la forme des décisions politiques. L’enjeu est d’insuffler imagination et créativité au niveau de la conduite de l’Etat. Ce pourquoi la société haïtienne a besoin de dirigeant-artistes pour déclencher sa transformation.

Tout le monde peut faire et parler de la politique. Quant à la question qui peut diriger, il y a des bémols à placer. En revanche, il n’est pas question d’exclure un groupe social de la politique. Il est infondé de dire que les artistes ne peuvent pas diriger. Dans un système démocratique, le pouvoir politique ne peut pas être réservé aux élites afin d’éviter tout basculement dans l’aristocratie ou l’oligarchie. Mais alors comment déterminer ceux qui peuvent diriger dans un système qui se dit démocratique ?

Jean-Jacques Cadet
Sociologue, doctorant en philosophie.

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