Des Israéliennes s’érigent contre les coupes dans les budgets sociaux.
Par Michele Giorgio, "il manifesto"
Lundi 23 Février 2004
Elles volent aux riches pour donner aux pauvres. Les camardes de l’activiste israélienne Ayala Sabag, les « Lionnes de Jérusalem », ont déclaré la guerre à la politique économique du gouvernement d’Ariel Sharon. Elles n’en sont pas à leur premier coup d’essai. Elles ont déjà volé du pain et raflé tout ce qu’elles pouvaient dans les supermarchés, pour le distribuer aux plus démunis. Cette fois-ci, elles se sont attaquées aux banques.
Elles sont revenues. Et elles ont agi dans l’ombre, en choisissant de s’en prendre, cette fois-ci, aux organes vitaux du système économique qui, en Israël, continuent de tenir en échec des milliers de personnes : les banques. Il y a quelques jours, Ayala Sabag et ses camarades, issues du Katamonim, le quartier le plus pauvre de Jérusalem, où la faim n’est pas une donnée statistique mais un facteur constant dans la vie de ses habitants, l’on fait : elles ont volé, sans crier gare, du matériel publicitaire à la Jerusalem Bank et à la Discount Bank pour protester « contre les taux d’intérêts élevés et les commissions qui enrichissent les instituts bancaires et appauvrissent le peuple ». Elles ont aussi tenté de pénétrer dans le siège central de la Hapoalim Bank, sise à proximité de la zone piétonne de Ben Yehouda, mais leur action a été arrêtée par les gardiens de l’immeuble. Or, contrairement à ce que l’on pourrait croire, derrière ces initiatives, il ne faut pas voir la main de mouvements organisés, ni l’influence des travaillistes de Shimon Peres, ni d’ailleurs celle des leaders de gauche sionistes qui, aujourd’hui, n’ont plus qu’un vague souvenir des luttes ouvrières et des idéaux du socialisme. Il faut uniquement y voir le désespoir immense que ressentent ces femmes, un sentiment provoqué par la politique économique du ministre des Finances, Benyamin Netanyahou. Car celui-ci a semble-t-il l’intention de démanteler l’Etat social, en tranchant à la hache dans les subsides destinés aux plus démunis. Et ce alors qu’il ne cesse d’attribuer de très généreux montants en argent public aux initiatives vouées à la défense et à la colonisation des territoires palestiniens occupés.
UNE VIE DE MISàˆRE
Ces deux buts concentrent toute l’attention du grand argentier. Pour preuve, mardi dernier, la Commission des finances de la Knesset (le Parlement) a approuvé une nouvelle allocation de 20 millions de dollars pour les colonies -dont un million devrait servir à protéger la maison achetée en 1988 par le premier ministre Ariel Sharon dans le quartier musulman de la vieille ville de Jérusalem. Le lendemain, mercredi 18 février, le mouvement Peace Now a dévoilé que, en 2004, le Gouvernement israélien n’a pas procédé, comme prévu, au démantèlement de 102 sites israéliens érigés en Cisjordanie. Au contraire, dans de nombreux cas, des maisons en préfabriqué ont été transformées en dur.
Ayala Sabag et les autres « lionnes » n’ont pas de compétences politiques et, bien qu’il soit très pauvre, le quartier des Katamonim n’a jamais été un fief de la gauche. Nombre d’habitants sont même des supporters du premier ministre. Par leur action, elles ne dénoncent pas la colonisation des territoires occupés, un phénomène qui absorbe pourtant d’énormes ressources. Les « lionnes » ne sont pas véritablement conscientes de certains enjeux. Mais elles ont le courage d’agir sur le terrain, et de tenter de contester la politique économique de MM.Netanyahu et Sharon, plus clairement et plus ouvertement que les travaillistes.
C’est peut-être pour toutes ces raisons que le quotidien « pacifiste » Haaretz n’arrive toujours pas à saisir la signification de la bataille conduite par les Lionnes de Jérusalem. Tout comme le journal n’avait pas compris la portée de la lutte engagée par Vicky Knafou, devenue « mère courage » pour les médias israéliens. Il y a plus d’un an, exaspérée, cette femme quadragénaire avait quitté la petite ville perdue de Mitzpe Ramon, dans le Néguev, pour se rendre, à pied, à Jérusalem dans le but de faire entendre la voix des mères contraintes à une vie de misère, à cause des coupes drastiques dans les subsides aux familles décidées par le gouvernement.
LE SENTIMENT DES PAUVRES
Elles n’ont donc pas de référent à gauche, les Lionnes de Jérusalem. Mais elles ne cessent d’effectuer des actions symboliques et parfois des « expropriations prolétaires ». Début février, elles se sont par exemple emparées des réserves de pain à Beer Sheba, dans le Néguev et à Jérusalem. La cargaison a été distribuée dans les quartiers pauvres de ces villes.
Ce geste a été répond à la décision du gouvernement d’augmenter de 30% le prix de la farine. Ensuite, elles ont raflé tout ce qu’elle ont pu dans les supermarchés et l’ont donné aux plus pauvres. Quelques jours après, elles ont brièvement coupé l’eau dans deux quartiers aisés de Jérusalem, Bet Hakerem et Rehavia. Le but : « Faire ressentir aux riches ce qu’éprouvent les pauvres lorsque, à cause de factures impayées, la Municipalité leur ferme les robinets. »
Occupés par l’annonce d’un plan de « retrait unilatéral », par Ariel Sharon et les idéologues de l’occupation des territoires, les médias ont fait l’impasse sur la contestation issue de la couche de la société israélienne écrasée par le poids de la récession. Il faut savoir que dans nombre de villes, où le déficit public est désormais endémique, certains employés communaux ne perçoivent plus leur salaire depuis plusieurs mois, d’autres depuis plus d’un an et demi. La plupart vivent en demandant l’aumône.
Chacun se débrouille comme il peut. Pour ce qui est des ultra-orthodoxes, ils parviennent à faire face à la pauvreté grâce au réseau de solidarité qui s’est développé entre eux. Et ce réseau assure au moins un repas par jour aux enfants et aux personnes âgées. Alors que les laïques, eux, doivent composer avec les prix élevés des produits alimentaires. Pour eux, le cinéma, les habits, les loisirs, etc., restent le plus souvent un rêve. Tout comme pour des centaines de milliers d’Israéliens.
LES COLONS EN FORME
A Efrat, Maale Adoumim, Ariel, Immanuel, Elon Moreh et, en général, dans toutes les colonies (exception faite de l’ultra-orthodoxe Beitar Elite), le niveau de vie est en revanche élevé, grâce aux subsides gouvernementaux et aux cadeaux fiscaux que l’Exécutif national y accorde. Là , les écoles et les transports publics sont presque toujours gratuits. Officiellement, en Israël, le taux de chômage se situe à 10,3%, mais selon des sources indépendantes, ce chiffre est en réalité de 16%. En septembre, le salaire brut moyen était de 7075 shekels, c’est-à -dire environ 2000 francs suisses. En novembre, il avait baissé à 6819 shekel, en appauvrissant encore plus les travailleurs, dont 27,5% gagnent, selon les statistiques officielles, moins de la moitié d’un salaire moyen.
« De très nombreux pauvres n’ont pas demandé d’explications. Ils se sont bornés à recevoir les sacs de nourriture qu’on leur donnait. Au moins, leurs enfants ne sont pas allés à l’école l’estomac vide, déclare Ayala Sabab, en racontant la distribution de pain qu’elle et ses camarades ont effectuée dans la banlieue de Jérusalem. « Dans le Katamonim, depuis longtemps, la moitié du quartier ne peut bénéficier d’eau courante, rappelle-t-elle. Les autorités ferment les robinets aux pauvres qui n’ont pas les moyens de payer l’approvisionnement en eau. C’est pour cette raison que nous avons bloqué l’accès à l’eau dans les quartiers riches. Pour leur faire comprendre ce que cela signifie. Nous espérons que les autres habitants protesteront et embrasseront notre cause. »
Michele Giorgio
Source : http://lecourrier.programmers.ch