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Les sanctions sont une forme de guerre contre les peuples

Un ancien rapporteur de l’ONU affirme que les nombreuses sanctions américaines (pdf) contre le Venezuela sont dévastatrices et illégales :

M. De Zayas, ancien secrétaire du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDH) et expert en droit international, a accordé une interview au journal The Independent quelque mois après la présentation de son rapport sur le Venezuela au CDH. Il a dit que le rapport qu’il avait présenté en septembre dernier avait été ignoré par l’ONU et n’avait pas suscité le débat public qu’il méritait.

Les sanctions tuent’, a-t-il déclaré à The Independent, ajoutant que les sanctions contre le Venezuela frappaient plus durement les personnes les plus pauvres de la société, causaient clairement la mort du fait du manque de nourriture et de médicaments, conduisaient à des violations des droits humains et visaient à imposer des changements économiques dans une ’démocratie sœur’.

Lors de sa mission d’enquête dans le pays fin 2017, il a constaté que la dépendance excessive du pays au pétrole, la mauvaise gouvernance et la corruption avaient durement frappé l’économie vénézuélienne, mais il a déclaré que la ’guerre économique’ pratiquée par les États-Unis, l’UE et le Canada étaient des facteurs importants de la crise économique.

Les quatre facteurs - pétrole, mauvaise gouvernance, corruption et sanctions - ne sont pas sans rapport entre eux. Le fait que le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole au monde en fait une cible pour l’impérialisme américain. Pas simplement pour ’s’emparer de leur pétrole’ comme le veut Trump, mais pour des raisons géopolitiques, comme Andrew Korybko l’explique :

En plus d’assurer un contrôle géopolitique total sur le bassin des Caraïbes et de mener un combat idéologique contre le socialisme, les Etats-Unis veulent avoir assez d’influence sur le Venezuela pour l’intégrer dans une structure de type OPEP pour combattre l’accord OPEP russo-saoudien +, exactement comme je l’avais prédit fin 2016 quand j’avais parlé de la formation du cartel ’North American-South American Petroleum Exporting Countries’ (NASAPEC). Cette entité fonctionnerait comme la composante énergétique de la ’forteresse américaine’ et pourrait exercer, sur le long terme, une grande pression sur le marché pétrolier international aux dépens de la Russie et de l’Arabie saoudite.

La dépendance excessive du Venezuela à l’extraction d’une seule ressource a également favorisé la mauvaise gouvernance. Hugo Chavez est devenu président du Venezuela en 1998. Entre cette date et 2014, les prix du pétrole n’ont jamais cessé d’augmenter. Lorsque l’augmentation des prix garantit un revenu décent, on ne ressent pas le besoin de se soucier de l’efficacité du gouvernement, ni de développer d’autres industries.

Toutes les administrations américaines depuis George W. Bush ont introduit des sanctions supplémentaires contre le Venezuela. Les pires sont les sanctions financières qui rendent l’achat des importations nécessaires extrêmement difficile. Tous les États qui ont fait l’objet de telles sanctions, l’Irak sous Saddam Hussein, la Corée du Nord, l’Iran, la Syrie et le Venezuela essaient de les contourner. La contrebande, à laquelle les gouvernements s’opposent habituellement, devient soudainement une nécessité. Les hommes d’affaires ou les officiers militaires en qui le gouvernement a confiance peuvent construire des monopoles s’ils sont en mesure d’importer des marchandises sanctionnées. Le risque pour ces personnes est souvent élevé, mais la récompense l’est aussi. La position de monopole leur permet d’exiger des profits exorbitants. Tous les pays souffrent de corruption politique, mais les sanctions tendent à l’augmenter énormément.

Un ami du professeur Landis décrit ce phénomène à propos de la Syrie :

Joshua Landis @joshua_landis - 22:17 utc - 27 jan 2019

Au sujet des sanctions syriennes en tant qu’outil pour punir ou affaiblir le régime syrien, un ami syrien, dont la famille élargie s’intéresse depuis longtemps aux routes de contrebande en Syrie, a alerté sur le fait qu’elles ne font que renforcer et enrichir les gros bonnets du régime.

’Un résultat Ironique et que je ne peux pas mentionner dans mes articles, c’est que les sanctions ont engendré une augmentation de la contrebande. Les contrebandiers n’ont jamais gagné autant d’argent qu’aujourd’hui. Qui sont ces contrebandiers ? les figures du régime, leurs parents et leurs amis. Les sanctions leur permettent d’accumuler des richesses dont ils n’avaient jamais rêvé.

’Leur influence s’est accrue de plus en plus. Il est devenu impossible d’exporter même une seule paire de chaussures sans payer l’agent de sécurité de la 4e Division pour obtenir un permis d’exportation ou d’importation de la Chine. Il ne suffit pas de les payer une fois, il faut les payer deux fois, et c’est la même chose pour la douane.

’Non seulement les sanctions sont inefficaces et affectent principalement les civils, mais elles renforcent et enrichissent directement les tenants du régime. Regardez la liste des sanctions, ceux qui sont sur la liste étaient tous millionnaires avant 2011, maintenant ils sont milliardaires.

Les sanctions entraînent toujours une hausse des prix et de l’inflation dans le pays visé. Elles détruisent la classe moyenne et dévastent les pauvres :

Le résultat, a déclaré l’homme d’affaires Naji Adeeb, basé à Damas, est que les propriétaires d’entreprises sont punis pendant que les proches associés de l’État, y compris ceux qui sont nommés dans les sanctions, concluent des accords de centaines de millions de dollars.

’Il faut beaucoup plus de ressources pour faire beaucoup moins de choses, et si vous réalisez une transaction aujourd’hui, vous ne savez pas si vous pourrez la renouveler dans un mois,’ dit Adeeb. ’C’est un contexte dans lequel seuls les escrocs et la mafia peuvent prospérer.’

Les États-Unis accusent le gouvernement du Venezuela d’être corrompu. Ils déplorent que 2 millions de personnes aient fui le pays. Mais ces phénomènes sont en grande partie les conséquences de la guerre économique qu’ils mènent contre le pays.

Les sanctions ne peuvent atteindre leur objectif que lorsque l’entité visée peut changer son fonctionnement et obtenir ainsi un allègement des sanctions. Mais les sanctions contre l’Irak, l’Iran, la Syrie et le Venezuela étaient ou sont toutes destinées à provoquer un changement de régime. Il faudrait que les responsables de ces pays se suicident, ou du moins renoncent à leurs positions, pour obtenir un allégement des sanctions. Ils n’ont aucune raison de le faire. De vastes sanctions contre un pays rendent la population plus dépendante de son gouvernement. Elles permettent aux responsables d’augmenter leur pouvoir.

Il est donc évident que ces sanctions sont destinées à détruire des pays, et n’ont rien à voir avec les ’droits de l’homme’, la ’démocratie’ ou même le ’changement de régime’. Ce sont des guerres d’agression par d’autres moyens :

Les sanctions américaines sont illégales en vertu du droit international parce qu’elles n’ont pas été approuvées par le Conseil de sécurité de l’ONU, a déclaré M. de Zayas, expert en droit international et ancien avocat principal du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.

’Les sanctions économiques et les blocus actuels sont comparables aux sièges médiévaux des villes.

Les sanctions du XXIe siècle tentent de mettre à genoux non seulement des villes, mais aussi des pays souverains’, a écrit M. de Zayas dans son rapport.

Les sièges et les sanctions à eux seuls permettent rarement d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Les sièges médiévaux se terminaient généralement soit par le retrait de l’attaquant, soit par l’assaut et le pillage de la ville. Les sièges et les sanctions sont les moyens d’’assouplir’ la cible, pour avoir moins de mal à l’attaquer ensuite. Pendant treize ans, des sanctions très brutales ont été imposées à l’Irak. Il a quand même fallu une guerre à grande échelle pour faire tomber Saddam Hussein. Et la guerre ne s’est même pas arrêtée là.

Moon of Alabama

Traduction : Dominique Muselet

 https://www.moonofalabama.org/2019/01/sanctions-are-wars-against-people.html
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COMMENTAIRES  

30/01/2019 16:40 par act

Un petit hors sujet en passant :
noté ce jour que Big Broogle donne LGS en pole position et avec les titres à la une svp !
Ce qui semble indiquer que la fréquentation du site serait à présent assez forte que pour court-circuiter les algorithmes anticoco-avec-couteau-entre-les-dents ?
Voyons combien de temps il faudra à l’intelligence artificielle pour réagir ?
Ou ce qui était prévisible est advenu : l’IA en toute impartialité, objectivité et logique est devenue méta-marxiste, forcément. Et ceci n’est qu’un premier pas avant la redistribution instantanée, globale, générale et équitable des avoirs et richesses sous les yeux médusés des opérateurs d’Euroclear, de Clearstream,etc ?

30/01/2019 22:18 par Danael

La gouvernance du Venezuela n’ était guère exemplaire avant Chavez et Maduro, avec un niveau de corruption très élevé autour de la rente pétrolière qui a créé sans doute une mafia interne persistante, comme le souligne l’auteur de cet article. La France soi-disant modèle parmi les modèles, elle, n’ a guère à gérer des sanctions internationales asphyxiantes, ni des narcotrafiquants à ses frontières pour renverser son gouvernement, ni à contrer des milices étrangères intérieures contre lui. Et pourtant la France a une très mauvais niveau de gouvernance sanctionné par plus de 60% des Français. Un État aussi très corrompu par l’héritage de son colonialisme passé et néocolonialisme présent ( mais il a un siège au Conseil de Sécurité, alors...) Il y a aussi tous les lobbies de la haute finance pour corrompre bien du monde au pouvoir en France y compris des élections ( élections beaucoup moins transparentes et précises qu’au Venezuela). En outre nous savons déjà que la justice travaille pour eux ce qui fait que tous nos corrompus argentés sont à l’avance plus épargnés que n’importe quel révolté Gilet Jaune qui se bat pour manger.
Tout cela a dû échapper à bien des hauts fonctionnaires de l’ONU dans leurs rapports...

31/01/2019 06:00 par depassage

Les sanctions sont une forme de guerre contre les peuples

Nous vivons dans un siècle qui a perdu toute mémoire et le sens des mots. Les sanctions ne sont pas une forme de guerre contre les peuples, mais ils sont une guerre contre les peuples. Dans les temps anciens, on pratiquait les sièges des villes et des forteresses et on les soumettait à un isolement total jusqu’à leurs abdications. De nos jours, on fait la même chose, en imposant en plus aux autres de se conformer aux mêmes sièges sans qu’ils y trouvent leur propre intérêt.

31/01/2019 06:21 par depassage

Lorsque l’augmentation des prix garantit un revenu décent, on ne ressent pas le besoin de se soucier de l’efficacité du gouvernement, ni de développer d’autres industries.

Voilà une connerie de plus. Pour s’en soucier de l’efficacité du gouvernement et du développement d’autres industries, il faut avoir les coudées franches, cela n’a jamais été le cas du Venezuela . Il était toujours en situation ds déstabilisation permanente depuis qu’il voulait agir en tant qu’État indépendant. Quant à la corruption, elle est l’oeuvre des corrupteurs et de ceux qui essayent de le déstabiliser.

31/01/2019 08:33 par CN46400

Tous les pétroles ne se valent pas. Le pétrole lourd vénézuelien est utilisé dans les raffineries US, mélangé avec du brent. Sans lui ces raffineries US seront arrêtées, elles en ont traité 500 000 barils/jour l’an dernier. Or, pourquoi livrer ce produit si la recette correspondant est bloquée, ou déviée vers la bourgeoisie vénézuélienne. La Chine en a consommé 300 000 barils/jour l’an passé...
En fait, La crise peut aussi se dénouer positivement pour le Vénézuela si le syndrome hollandais (soumission totale à l’exportation pétrolière au USA) dont il était victime depuis des décennies est largement surmonté.

31/01/2019 11:44 par CN46400

Je ne vois pas l’intérêt qu’il pouvait y avoir à tronquer mon post précédent. Bon, mais pour parler du commerce pétrolier, sachons qu’il est recommandé, dans le milieu, que les fournisseurs fassent leurs "courses" en produits manufacturés dans les pays fournis. Et cela concourt, évidemment, au développement du syndrome hollandais dans les pays producteurs, notamment lorsque ceux-ci sont assez peuplés (cas du Vénézuela), donc consommateurs conséquents.....

31/01/2019 13:51 par Dominique

Le lien sur le rapport de De Zayas sur le Venez est cassé. Il est pas évident à trouver car leur formulaire de recherche déconne. Il est à
https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G18/239/32/pdf/G1823932.pdf?OpenElement

31/01/2019 14:30 par Dominique

@ depassage

Tu as raison de dire que le gouvernement du Venez n’a jamais eu les coudées franches. Cependant, la gauche latino-américaine ne s’est pas plus distancée du productivisme industriel que la nôtre, ce qui implique qu’elle a besoin de capital pour financer cette industrialisation (Dans de telles conditions et vu la haute hiérarchisation du travail qu’implique l’industrialisation, ce n’est pas demain que nous verrons des sociétés plus égalitaires ; ce n’est pas non plus demain que nous sauverons le vivant que la société industrielle ne cesse de niquer à une vitesse qui s’accélère avec chaque nouvelle technologie ; mais ce sont des autres problèmes que celui traité par cet article, de plus ce sont les pays riches et industrialisés qui ne cessent de montrer le mauvais exemple aussi sur ce point.). Or quand le capital est facile à trouver et qu’ainsi une entreprise tourne bien, ses employés peuvent à peu près tout se permettre. Par contre dès que la conjoncture freine, les comptes commencent à se régler et se sont toujours les petits qui trinquent. C’est valable dans le privé comme pour les états.

31/01/2019 19:53 par Vania

Bravo et merci Danael pour votre commentaire !

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