Commençons par un point d’accord. Alors même qu’il n’était que candidat à la fonction suprême, l’actuel président de la République ponctuait déjà ses interventions de propos qui pouvaient sembler critiques vis à vis du libre-échange. Populiste, la manoeuvre l’est effectivement. Pourtant, ce n’est pas le discours qui est en cause, mais plutôt le fait que le chef de l’Etat reste un néolibéral convaincu. Ses figures de style ne cherchent qu’à détourner à son profit la profonde inquiétude de citoyens confrontés à une mondialisation destructrice de l’environnement et du social. Des citoyens qui semblent en avoir compris les rouages bien mieux qu’une majorité d’économistes...
En consacrant toute leur énergie à promouvoir un système libre-échangiste à l’échelle planétaire, les grandes entreprises occidentales poursuivent en effet plusieurs objectifs : s’approvisionner à bas prix en matières premières ; bénéficier d’une main d’oeuvre peu coûteuse et docile ; rechercher les conditions fiscales les plus avantageuses pour les détenteurs de capitaux ; trouver de nouveaux marchés dans les pays émergeants ; et, de plus en plus, profiter de réglementations environnementales permissives. Ces puissances financières, qui font évidemment la pluie et le beau temps à l’OMC et à l’Union européenne, ont très bien su forger les règles qui leur conviennent le mieux, en créant une concurrence délibérément faussée entre des Etats possédant des réglementations totalement disparates.
Pour qui veut ouvrir les yeux, l’absence de limites du système libre-échangiste apparaît maintenant au grand jour. Quand la firme Adidas annonce la délocalisation de ses usines chinoises vers des pays encore plus « avantageux » comme le Bangladesh ou le Vietnam, le message est clair : les puissances financières iront toujours vers le pire du point de vue social et environnemental. L’histoire n’a pas de fin. D’autant que cette stratégie permet évidemment de maintenir sous pression les salariés des pays occidentaux et de tout leur faire accepter. Elle explique comment, entre 1983 et 2006, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) a pu baisser en France de 9,3 %. Ce qui signifie bien-sûr que la part du capital dans le PIB a augmenté d’autant. La mondialisation, qu’on nous prédisait heureuse, ne sert finalement qu’un objectif : augmenter les taux de profit des grandes firmes.
Sur le plan environnemental, le bilan du libre-échange est tout aussi désastreux. Souvenons-nous qu’après la fable de la mondialisation heureuse, celle de la croissance « verte » nous était servie. Le résultat, tout à fait brillant, est une augmentation des émissions de dioxyde de carbone (CO2) de 35% depuis la finalisation du protocole de Kyoto en 1997. La très sérieuse revue américaine Environmental Science & Technology publiait courant 2007 une étude de deux chercheurs en science de l’environnement (2). Ceux-ci estiment que 20% des émissions mondiales de CO2 sont imputables aux produits fabriqués dans les pays en développement et importés par les pays développés. Avant d’inciter les individus à co-voiturer pour réduire leurs rejets de gaz à effet de serre, il aurait été passionnant de se pencher sur ces chiffres, d’interroger les modes de consommation, de production, et les règles du commerce international. Entre autres choses, nous aurions vu que les délocalisations, visibles ou cachées, ont un poids considérable dans la crise écologique.
Comme tous les défenseurs du libre-échange, M. Zaki Laïdi nous explique que le protectionnisme est « économiquement inefficace ». Ce faisant, il esquive une question fondamentale : veut-on faire seulement de l’économie ou bien avant tout de la politique ? Les Etats ont choisi de se plier aux règles d’une concurrence profondément faussée et de perdre ainsi tout pouvoir sur les puissances financières. Alors qu’ils en étaient les garants, ils ont sacrifié la souveraineté populaire sur l’autel des fameuses « lois de l’économie ». Pour mettre fin à cette forfaiture, il faut stopper le libre-échange, stopper le chantage aux délocalisations, stopper la prime à l’irresponsabilité. Créons une taxe aux frontières qui comble les écarts entre les coûts sociaux et environnementaux des différentes productions. Créons cette concurrence réellement non faussée à partir de laquelle nous pourrons à la fois rediscipliner les multinationales, relocaliser une partie de la production et tirer vers le haut les niveaux de protection sociale et environnementale dans les pays en développement.
En son temps, Karl Marx a cru que le libre-échange permettrait d’étendre la lutte des classes. A l’exact opposé, il aura considérablement renforcé le système capitaliste au détriment des populations. Ne pas l’avoir prévu au XIXème siècle peut tout à fait se comprendre, mais nier cette évidence en 2008 est par contre inexcusable.
Aurélien BERNIER
http://abernier.vefblog.net
(1) http://www.liberation.fr/rebonds/342006.FR.php
(2) Embodied Environmental Emissions in U.S. International Trade, 1997-2004, Christopher L.Weber, H. Scott Matthews, Department of Civil and Environmental Engineering and Department of Engineering and Public Policy, Carnegie Mellon University, 10 mai 2007