RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Les vraies victimes de la tyrannie libre-échangiste

illustration : ROBERTO ROSIQUE

Dans une tribune intitulée « L’Europe, fausse victime de la mondialisation » publiée le 30 juillet dans la rubrique Rebonds de Libération (1), M. Zaki Laïdi réussit un double tour de force : celui de défendre envers et contre tout le système libre-échangiste, et, plus impressionnant encore, celui de faire passer M. Nicolas Sarkozy pour un dangereux protectionniste, ce que l’auteur assimile à du populisme.

Commençons par un point d’accord. Alors même qu’il n’était que candidat à la fonction suprême, l’actuel président de la République ponctuait déjà ses interventions de propos qui pouvaient sembler critiques vis à vis du libre-échange. Populiste, la manoeuvre l’est effectivement. Pourtant, ce n’est pas le discours qui est en cause, mais plutôt le fait que le chef de l’Etat reste un néolibéral convaincu. Ses figures de style ne cherchent qu’à détourner à son profit la profonde inquiétude de citoyens confrontés à une mondialisation destructrice de l’environnement et du social. Des citoyens qui semblent en avoir compris les rouages bien mieux qu’une majorité d’économistes...

En consacrant toute leur énergie à promouvoir un système libre-échangiste à l’échelle planétaire, les grandes entreprises occidentales poursuivent en effet plusieurs objectifs : s’approvisionner à bas prix en matières premières ; bénéficier d’une main d’oeuvre peu coûteuse et docile ; rechercher les conditions fiscales les plus avantageuses pour les détenteurs de capitaux ; trouver de nouveaux marchés dans les pays émergeants ; et, de plus en plus, profiter de réglementations environnementales permissives. Ces puissances financières, qui font évidemment la pluie et le beau temps à l’OMC et à l’Union européenne, ont très bien su forger les règles qui leur conviennent le mieux, en créant une concurrence délibérément faussée entre des Etats possédant des réglementations totalement disparates.

Pour qui veut ouvrir les yeux, l’absence de limites du système libre-échangiste apparaît maintenant au grand jour. Quand la firme Adidas annonce la délocalisation de ses usines chinoises vers des pays encore plus « avantageux » comme le Bangladesh ou le Vietnam, le message est clair : les puissances financières iront toujours vers le pire du point de vue social et environnemental. L’histoire n’a pas de fin. D’autant que cette stratégie permet évidemment de maintenir sous pression les salariés des pays occidentaux et de tout leur faire accepter. Elle explique comment, entre 1983 et 2006, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) a pu baisser en France de 9,3 %. Ce qui signifie bien-sûr que la part du capital dans le PIB a augmenté d’autant. La mondialisation, qu’on nous prédisait heureuse, ne sert finalement qu’un objectif : augmenter les taux de profit des grandes firmes.

Sur le plan environnemental, le bilan du libre-échange est tout aussi désastreux. Souvenons-nous qu’après la fable de la mondialisation heureuse, celle de la croissance « verte » nous était servie. Le résultat, tout à fait brillant, est une augmentation des émissions de dioxyde de carbone (CO2) de 35% depuis la finalisation du protocole de Kyoto en 1997. La très sérieuse revue américaine Environmental Science & Technology publiait courant 2007 une étude de deux chercheurs en science de l’environnement (2). Ceux-ci estiment que 20% des émissions mondiales de CO2 sont imputables aux produits fabriqués dans les pays en développement et importés par les pays développés. Avant d’inciter les individus à co-voiturer pour réduire leurs rejets de gaz à effet de serre, il aurait été passionnant de se pencher sur ces chiffres, d’interroger les modes de consommation, de production, et les règles du commerce international. Entre autres choses, nous aurions vu que les délocalisations, visibles ou cachées, ont un poids considérable dans la crise écologique.

Comme tous les défenseurs du libre-échange, M. Zaki Laïdi nous explique que le protectionnisme est « économiquement inefficace ». Ce faisant, il esquive une question fondamentale : veut-on faire seulement de l’économie ou bien avant tout de la politique ? Les Etats ont choisi de se plier aux règles d’une concurrence profondément faussée et de perdre ainsi tout pouvoir sur les puissances financières. Alors qu’ils en étaient les garants, ils ont sacrifié la souveraineté populaire sur l’autel des fameuses « lois de l’économie ». Pour mettre fin à cette forfaiture, il faut stopper le libre-échange, stopper le chantage aux délocalisations, stopper la prime à l’irresponsabilité. Créons une taxe aux frontières qui comble les écarts entre les coûts sociaux et environnementaux des différentes productions. Créons cette concurrence réellement non faussée à partir de laquelle nous pourrons à la fois rediscipliner les multinationales, relocaliser une partie de la production et tirer vers le haut les niveaux de protection sociale et environnementale dans les pays en développement.

En son temps, Karl Marx a cru que le libre-échange permettrait d’étendre la lutte des classes. A l’exact opposé, il aura considérablement renforcé le système capitaliste au détriment des populations. Ne pas l’avoir prévu au XIXème siècle peut tout à fait se comprendre, mais nier cette évidence en 2008 est par contre inexcusable.

Aurélien BERNIER

http://abernier.vefblog.net

(1) http://www.liberation.fr/rebonds/342006.FR.php

(2) Embodied Environmental Emissions in U.S. International Trade, 1997-2004, Christopher L.Weber, H. Scott Matthews, Department of Civil and Environmental Engineering and Department of Engineering and Public Policy, Carnegie Mellon University, 10 mai 2007

URL de cet article 7020
  

Même Auteur
Comment la mondialisation a tué l’écologie
Aurélien BERNIER
Le débat scientifique sur la réalité du changement climatique a ses imposteurs. Mais, en matière d’environnement, les plus grandes impostures se situent dans le champ politique. Lorsque l’écologie émerge dans le débat public au début des années 1970, les grandes puissances économiques comprennent qu’un danger se profile. Alors que la mondialisation du capitalisme se met en place grâce à la stratégie du libre échange, l’écologie politique pourrait remettre en cause le productivisme, l’intensification du (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Tout ce qui est sage a déjà été pensé : il faut essayer seulement de le penser encore une fois. »

Goethe

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.