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A propos du délire sinomaniaque de notre ministère des Armées

OSS contre Fu Manchu

« La neige du Cathay tombe sur l’Atlantique. »
Gérard de Nerval

Dans notre pays présidé par un ancien « young leader » de la French American Foundation, c’est-à-dire au sens propre un politicien promu par un pays étranger, il n’est guère étonnant de voir le service de recherche de notre ministère des armées (l’IRSEM) traquer tout ce qui peut en France ne pas partager la dilection présidentielle pour l’Alliance – ou plutôt la Vassalité – atlantique, et l’aversion, qui va nécessairement avec, pour la Chine et la Russie. Dans un récent et obèse rapport de 650 pages, « Les opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien », et qui semble entièrement voué à la perpétuation burlesque du « péril jaune » de wilhelmienne mémoire, deux prétendus chercheurs, dont l’un était – de son propre aveu jusqu’à 2019 – tout bonnement stipendié par l’OTAN, ont cru bon de m’épingler/me ficher en tant qu’« éditeur communiste » (et fier de l’être) pour avoir pris une fois le thé (il était au jasmin) avec l’ambassadeur Lu Shaye et publié un livre, « La Chine sans œillères » écrit par dix-sept auteurs.

De bien mauvais sujets ces dix-sept auteurs, aussi misérables que moi, en effet : journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision. De bien mauvais sujets qui devraient, si on suit ce rapport, traiter les Chinois comme si nous étions en guerre avec eux.

Nous n’obéirons évidemment pas à ces injonctions. Et d’abord parce que nous aimons notre pays. La Chine qui n’a qu’une seule base militaire à l’étranger lorsque les Etats-Unis en ont des centaines n’est pas une menace pour la France. Ce sont les Etats-Unis qui sont une menace pour le monde entier, ont ravagé le monde arabe, torturé l’Amérique latine, et imposent toujours un embargo criminel à Cuba au mépris du droit et de la communauté internationale. La Chine parle inlassablement de « communauté de destins pour l’humanité » tandis que les Etats-Unis, y compris encore récemment par la voix du président Clinton, se croient toujours détenteurs d’une « destinée manifeste » qui leur donnerait le droit de gouverner le monde.

La sinophobie pour et par les nuls

D’aucuns de nos compatriotes trouvent seyant d’endosser la livrée du laquais ou le collier du caniche de l’Empire EU avec la guerre de « haute intensité » à l’Est (nouvelle doctrine de notre brillant état-major) pour seule « ligne bleue des Vosges », le doigt sur la couture du pantalon garance. Ces mêmes personnes prendront pour un malentendu passager les sarcasmes de nos « alliés » qui s’essuient les pieds sur Le Drian et son contrat australien comme sur un paillasson. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi ces pantins grotesques, indignes de diriger notre pays, devraient me faire rougir de prodiguer, dans le cadre du très pacifique métier du livre qui est le mien, des marques de curiosité et d’amitié envers la Chine, dans la continuité des penseurs des Lumières, séduits par la tolérance religieuse chinoise, qui constitue le cœur battant de notre pays.

Voici pour ma position fondamentale, de principes. Et si l’on estime que j’aurais contracté quelque dette indigne envers le pays du milieu, je précise qu’en gage de réciprocité pour la tasse de thé offerte, son Excellence l’ambassadeur sera toujours le bienvenu chez moi, particulièrement à l’heure de l’apéro.

Le péril était rouge

Passons maintenant à la lecture de ce rapport, qui a bénéficié – le contraire eût été étonnant – d’un ample relai médiatique. Il n’était pas permis aux journalistes de n’en point parler. Il n’était pas non plus exigé qu’ils le lisent. C’est pourquoi ils ont visiblement commenté les premières pages du bien nommé « avertissement », lequel mentionnait en substance : nous n’avons rien contre le pays ou la civilisation chinoise, ni contre son peuple, ni contre la « société civile ». Ce serait du racisme et c’est aujourd’hui mal vu. Nous en avons contre son régime, lequel repose sur un parti fondé sur des principes et pratiques léninistes.

Ce postulat, pour nos auteurs, se passe de démonstration. On aimerait pourtant leur demander : pourquoi la Chine s’en sortirait-elle mieux une fois débarrassée du Parti, fort de 80 millions de membres, qui a repoussé l’envahisseur japonais, tenu tête aux Etats-Unis à ses portes (en Corée du et au Vietnam) et assuré sa sortie de l’extrême pauvreté puis sa prospérité et sa puissance actuelles ?

L’invocation du léninisme, en effet à la base de la création des partis communistes après la révolution d’Octobre (le PCC fête cette année son centième anniversaire), est censée faire l’effet d’un repoussoir auprès du public auquel est infligé cet indigent brouet. Une analyse objective montrerait au contraire que Lénine est celui qui a su défendre la patrie soviétique alors que quatorze armées étrangères – dont la nôtre, soit dit en passant –, lui menaient la guerre.

Donc il y aurait un parti de matrice léniniste qui serait comme un corps étranger à la Chine éternelle ? Même l’anticommunisme en France, pourtant très bas du front, savait à peu près reconnaître dans les origines du communisme à la française au moins une double source : l’une exogène, léniniste, et l’autre bien de chez nous, issue du jacobinisme. Il est bien évident que le communisme en Chine n’est pas l’effet d’une simple greffe mais le produit d’un savant mélange entre idées marxistes universelles et interprétation et adaptation chinoise perpétuelle de celles-ci. C’est d’ailleurs cette dialectique perpétuelle entre le particulier et l’universel qui rend l’étude de la Chine actuelle si passionnante.

Hollywood sur la grande muraille ?

L’autre machination du rapport consiste en une confusion constamment entretenue entre le fait que la Chine a ses intérêts et la présentation du caractère agressif de la défense desdits intérêts.

On nous présente comme d’un machiavélisme échevelé par exemple le fait que la Ligue de la Jeunesse communiste est liée au Parti communiste. Ou encore que le gouvernement chinois finance des chaînes de télé. Et l’on voudrait nous faire croire que la National Endowment for Democracy, le Congress for Cultural Freedom, le plan Blum-Byrnes pour ne citer que des vecteurs de l’influence EU parmi d’autres n’ont jamais existé ? Le rapport pousse même le ridicule jusqu’à montrer en quoi la Chine essaie d’influencer Hollywood. Ce serait pourtant une bien maigre compensation qu’Hollywood, pour une fois, ne soit pas le vecteur de l’impérialisme étasunien.

Lorsque nos « chercheurs » se demandent benoîtement s’il s’agit de « soft » ou de « sharp power » de la part de « think tanks » chinois, les auteurs ne font, par l’emploi du vocabulaire qu’ils utilisent, que se demander si les Chinois font comme les Étasuniens.

Alors, certes, on voit fleurir tout au long du rapport des mots chinois, et quelques mots russes mal orthographiés (relisez la page 31, messieurs) pour faire joli et établir un parallèle entre la Russie et la Chine, deux pays intrinsèquement communistes vous pensez !

Quand le Pentagone réinvente le mandarin

Destinés à conforter les chercheurs dans leur statut social, ces tournures locales laissent plutôt voir leur confusion de pensée. Mao était censé parler du front uni comme l’une des « trois armes magiques » ce qui est décrit comme 法宝, sauf que, j’ai beau chercher, ce terme me semble signifier « trésor magique » et n’implique rien de guerrier. Où nos « chercheurs » ont-ils appris le chinois ? Au Pentagone, sans doute, car le Pentagone est érigé en parangon de la traductologie chinoise.

En effet, citant Deng Xiaoping et son célèbre adage à quatre caractères (韬光养晦) signifiant littéralement « cacher sa splendeur et nourrir l’obscurité », nos chercheurs font grand cas de l’interprétation libre du Pentagone : « dissimuler ses capacités et attendre le bon moment », attendre le bon moment pour sauter sur l’adversaire et le dépecer sans doute. Où vont-ils chercher cela, vu que ce n’est pas cela qui est écrit ? Mais peu importe puisqu’on vous dit qu’ils sont machiavéliens ! Puisque c’est le titre de notre thèse !

On voit là le type même de raisonnement circulaire qui préside à ce rapport où tous les coups sont permis, même les plus grossiers contresens. Quand les Chinois parlent de « front uni », c’est le contraire, c’est pour affirmer la toute-puissance du parti. Quand ils parlent de communauté de destin, c’est pour mieux préparer l’asservissement des autres peuples et ce « n’est rien d’autre qu’un projet de sinisation du système international » (p. 316). En revanche, que les Etats-Unis se soient affirmés au cours de leur histoire comme une « white supremacy » animée par une « destinée manifeste » à gouverner le monde ne semble pas choquer nos auteurs. Le préjugé très anti-hégélien, et qui ressortit au romantisme contre-révolutionnaire, consiste à penser qu’on peut complètement détacher l’expression de l’essence, que l’expression pourrait, comme par magie, devenir le contraire même de l’essence. Et ce miracle ne serait valable que pour les Chinois ? Et l’on retombe alors dans le cliché raciste du Chinois-forcément-fourbe-et-cruel, façon Fu Manchu, que le rapport prétendait écarter dans son incipit.

Le grand méchant "loup guerrier"

Evidemment comme le réel est plus riche que tous ces lamentables préjugés, dès que le rapport entre dans les détails, les thèses sans nuance s’effondrent d’elles-mêmes. Il en va ainsi, par exemple, de ce nouveau pont aux ânes médiatique sur la diplomatie des « loups guerriers » ou « loups combattants » et qui témoignerait d’un changement de stratégie depuis 2017, plus offensive et virulente, dans les chancelleries chinoises à l’étranger. On comprend en effet vite, à la lecture même du rapport, que les Chinois eux-mêmes se rendent compte des limites de cette stratégie, peu adaptée en effet aux différents contextes nationaux dans lesquels elle s’exerce, et qui ne permet pas de jouer sur tous les leviers traditionnels de la diplomatie.

Si cette stratégie diplomatique, en effet assez téméraire, trouve forcément des limites, intrinsèques et de bon sens, les prétentions militaires américaines comme la servilité et le ridicule de notre classe dirigeante, eux, n’en ont pas. C’est bien là le problème.

Aymeric Monville
28 septembre 2021

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