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Peur du vide et besoin d’autorité : les ravages du conformisme

Il s’en remet à la divinité. À son patron. À la machine. Aux médias et politiques. À tous ceux qui a priori le dépassent, en pouvoir et en connaissance. À tout ce qui le domine socialement, techniquement, intellectuellement, spirituellement.

L’homme s’abandonne. Par manque de discipline personnelle il s’en remet, puis s’abandonne, aux systèmes de discipline collective. Jusqu’au totalitarisme. Jusqu’à tolérer et défendre l’idée d’une discipline criminelle.

Devoir respecter l’autorité : c’est peut-être là le drame insoluble de l’humanité en quête d’autonomie. Une tendance anthropologique à la docilité devant l’inconnu, qui aura permis guerres, génocides, esclavage, dictatures et violences ordinaires en une malheureuse histoire commune où le pouvoir, trahissant sa sacralité, finit immanquablement par être corrompu.

Il me semble que cette corruption systématique s’explique par la conjonction de deux facteurs invariants : le caractère fondamentalement inégalitaire du pouvoir, et l’attirance qu’ont pour ce même pouvoir des individus prédateurs, prêts à toutes les manœuvres en vue d’y accéder.

Et si l’on peut naturellement attendre de l’enfant une certaine obéissance, dans la mesure où celui-ci vit une phase intense d’apprentissage, d’observation et de construction, comment expliquer qu’un adulte normalement constitué se soumette aveuglément à une autorité incompétente, perverse, belliqueuse ou même inexistante ?

Fascinante est la fascination pour le pouvoir. Faut-il avoir été nécessairement éduqué à l’indépendance et à l’esprit critique pour éviter les multiples pièges de la soumission ? L’éducation à la liberté est-elle précisément ce qui rend libre ? Mais le soldat endoctriné ou le dévot pressé vous dira : « Je suis libre d’obéir »... « Libre d’obéir à ce qui m’a été plus ou moins imposé »... Résultat : l’on suit religieusement des ordres qui, au seul nom de la hiérarchie, justifient l’ignorance et le massacre de millions de gens. Le respect de la hiérarchie n’ayant de sens que dans la nature sauvage ou dans la société utopique.

Personnellement j’attribuerais cette tendance honteuse de l’homme à une peur constitutive : celle du vide. De l’absence de repères visibles et connus. La croyance intime en soi et en l’autre n’étant pas suffisante pour celui qui a peur, pour celui qui a été trahi ou blessé, c’est une croyance socialement supérieure qui prend le pas sur la simple confiance, en une force compensatrice où le dogme assure un certain confort, un certain repos de la pensée. Pouvons-nous nous faire confiance ? Voilà la question centrale.

Mais, quoi de plus stimulant que le vide ? N’est-ce pas précisément la nécessité de bâtir qui fait de nous des hommes libres ? À moins que je me méprenne grossièrement en voyant en la liberté le salut de l’homme. Peut-être suis-je encore trop animal pour comprendre la civilisation. Dans ce cas je ne vois qu’une solution pour me préserver de sa laideur : vivre avec l’idée de bâtir une civilisation alternative.

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COMMENTAIRES  

08/04/2024 17:56 par dominique Muselet

Je ne pense pas que la tendance des êtres humains à se soumettre vienne de la peur du vide... même pas uniquement de la peur de l’autorité même si bien sûr la peur de la punition joue un grand rôle, je pense qu’elle vient principalement de l’ignorance du dominé qui ne sait même pas qu’il en est un et la bonne conscience du dominant qui ne sait pas non plus qu’il en est un...

Personnellement, j’ai connu l’un et l’autre. J’ai été malheureuse pendant toute ma scolarité, mais je ne m’en suis rendue compte sur beaucoup plus tard, quand j’ai compris que j’aurais pu avoir une autre forme d’éducation que celle que j’avais subie. Comme, quand j’étais enfant, il ne m’est pas venue à l’idée que la situation pouvait être différence, non seulement il ne m’est pas non plus venu à l’idée de me rebeller, mais en plus je ne me rendais même pas compte que je souffrais...

Ensuite, j’ai adhéré de la même manière à l’idéologie régnante en France, sans me poser de questions, à peine perturbée quand je rencontrais quelqu’un qui pensait différemment, sans doute parce qu’elle ne me dérangeait pas vraiment, puisque j’étais du bon côté du manche. A l’époque je lisais beaucoup d’ouvrages de psychologie et d’ethnologie qui laissaient croire que si les choses n’avaient pas toujours été parfaites, elles étaient en train de changer pour le mieux, c’était juste après 1968...

C’est lorsque je suis partie vivre à Jérusalem que j’ai compris que tout ce qu’on m’avait raconté en France sur Israël était un énorme mensonge. Et ensuite au Mexique où j’ai passé un hiver, puis un autre, j’ai compris les rapports de force internationaux et le rôle nuisible des Etats-Unis, de l’Occident et de la France, dans le monde...

Bref, c’est seulement parce que j’ai vu de mes yeux vu des réalités qu’on m’avait cachées que j’ai compris que ma vie toute entière était bâtie sur un mensonge, une hypocrisie totale et absolue, et que j’ai commencé à me rebeller et utiliser mon esprit critique et mon bon sens... Maintenant on ne me la fait plus. La propagande officielle me laisse de glace...

Morale de l’histoire, il faut sortir de son milieu, de son pays, de son environnement, il faut prendre du recul et avoir des points de comparaison pour pouvoir remettre en question ce qu’on vit et ce qu’on croit savoir...

Peut-être que pour certains les livres suffisent, mais moi il a fallu que j’aille ailleurs et que j’y vive pour comprendre ce que se passe réellement dans le monde et en Occident... Et la plupart des gens ne font que des voyages organisés qui ne leur apprennent rien...

08/04/2024 22:07 par CAZA

L’ anticonformisme est souvent lié à la psychogénéalogie . Pourtant dans une même fratrie on trouve des béniouioui et des rebelles .
Pour Dominique ce fut le vécu .
https://www.youtube.com/watch?v=YR5ApYxkU-U

Et toi tu te serais arrêté à quel voltage ?
https://www.facebook.com/watch/?v=1024921187691536

09/04/2024 01:09 par babelouest (Jclaude)

Personnellement je ne pense pas être anticonformiste, seulement non-conformiste.
Enfant on me traitait de "cabochard" parce que je suivais mon chemin.
A 14 ans j’ai déclaré à mes parents combien j’avais été malheureux, sans doute parce qu’ils tentaient de me faire suivre des rails, et manifestement cela coinçait.
A 24 ans élève d’institutions religieuse, j’ai tout rejeté, et me suis senti beaucoup mieux. A peu près au même moment, moi qui en 1968 étais, à l’inverse de mes amis étudiants, gaulliste, ai quitté ce mouvement — ou plus exactement j’ai considéré que c’était le mouvement qui faisait fausse route. Et j’ai continué mon chemin.
Vers 25 ans au travail (guichet de banque) je m’étonnais de ceux qui voulaient gagner de l’argent, alors que je trouvais normal de recevoir un salaire pour aider les autres. Un collègue m’avait d’ailleurs dit "Toi, tu es un sage".
Marchant avec d’autres, je notais (et c’est toujours valable) que ceux-ci adoptaient automatiquement le même pas, moi jamais : toujours trop court ou trop long.
De découverte en découverte, j’ai fini par me rendre compte que j’étais un anarchiste égalitaire et NON libertaire. Mais je me suis rendu compte aussi que je n’étais pas tout-à-fait tout seul dans cette démarche.

Alors oui, en résumé, je suis bien un non-conformiste, de façon naturelle. Et je me demande si ma plus jeune petite-fille ne sera pas pareille, à sa façon à elle.

09/04/2024 09:08 par François Jacques

S’il y a quelque chose que nous, Français, n’arrivons pas toujours à saisir, c’est que l’universalité ne fonctionne pas pour tout. Peut être d’un point de vue philosophique, mais pas pour la sociologie ni pour l’histoire nationale. Or si on assiste à un phénomène surprenant en France depuis les années 80 au moins, c’est à l’infantilisation générale, le rejet de l’état adulte et l’adulation des états relevant de l’enfance, de l’adolescence ou d’autres états intermédiaires, aussi de manière sexuelle ou genrée.

Le socle de stabilité psychologique a fondu progressivement, chacun doit sans cesse prouver quelque chose pour avoir le droit d’exister. Se remettre en question, s’adapter et ne pas se reposer sur "ses lauriers", sur des acquis. Ceci vient d’une logique purement commerciale qui a pris le dessus sur tant d’autres aspects de ce qui constitue une société humaine, avec également des valeurs et des principes, un aspect sacré et constituant. Ces valeurs ayant disparu dans une forme de grande braderie de nos acquis au plus offrant (acquis des Lumières au niveau philosophique, du Conseil National de la Résistance au niveau politique ; planification économique, contrôle de la monnaie, industries de pointe et de défense bradées ), il est normal que ne demeure qu’un sentiment de vide inconfortable.

09/04/2024 09:27 par CAZA

L’ Homme est un animal social .
Pour la plus grande majorité il reste enfermé dans les cultures et superstitions qui l’ont formaté .
https://www.etudier.com/dissertations/l-Homme-Un-Animal-Social/66561376.html

Dans un même carcan civilisationnel chacun a son rôle dans le débâcle humaine comme résumée dans Germinal
https://www.superprof.fr/ressources/francais/francais-tous-niveaux/critique-sociale-litterature.html

http://atelierdecreationlibertaire.com/blogs1/bakounine/bakounine-et-le-souvarine-de-germinal-528/

09/04/2024 09:41 par Rorik

Pour compléter sur l’idée de confiance et d’autogestion : d’après les dernières recherches en neurosciences l’on sait désormais que le cerveau humain est naturellement doté de facultés (situées dans le cortex préfrontal) lui permettant de distinguer les bons des mauvais comportements, le "bien" du "mal", pourvu que celles-ci n’aient été altérées par quelque traumatisme. Le problème est là : la violence subie, qui est par la suite reproduite, en une mécanique de compensation dévastatrice. D’où les multiples garde-fous sociaux et religieux, destinés à une humanité malade...

09/04/2024 10:40 par Rorik

Pour les lecteurs intéressés par la question de la violence traumatique, je renvoie ici aux travaux de mon père Patrick Dupuis, qui a théorisé une nouvelle approche en psychopathologie, en particulier autour des abus sexuels survenus dans l’enfance : https://theoriedesimpensables.wordpress.com

09/04/2024 11:15 par Dominique Muselet

A propos de vide, de traumatisme et de Napoléon (humour russe au sujet des prétentions de notre marionnette/girouette en chef), une superbe citation de Musset qu’une amie vient de m’envoyer.

Elle se trouve dans les premières pages de la Confession d’un enfant du siècle. Elle porte sur l’immédiat après-Napoléon (publication en 1836, napoléon étant mort en 1821) : "Alors il s’assit, sur un monde en ruines, une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain."

09/04/2024 13:50 par CAZA

Difficile de savoir si c’ est "" le bien être " qui a tué la classe ouvrière ou si c’ est l’ externalisation des productions vers les moins disant sociaux ou le recours à l’ immigration .
Souvarine a son idée sur la classe ouvrière :

https://www.youtube.com/watch?v=312SwrjAXB0

09/04/2024 15:44 par Corinne

Merci pour ce très intéressant article, qui ajoute au débat.

Plus que la peur du vide en tant qu’absence anxiogène de références, je pense que le conformisme est un mécanisme de survie de la collectivité et peut paradoxalement compenser une trop grande liberté individuelle.

J’explique : à nos débuts du paléolithique, nous étions constitués de groupes de chasseurs-cueilleurs qui avaient deux avantages sur les autres prédateurs : une capacité à inventer des objets pour compenser nos faiblesses (nous n’avions ni crocs, ni griffes, ni vitesse à la course, ni endurance, et n’importe quel poisson nous battait à la nage). Mais nous avions notre cerveau pour nous fabriquer des armes, des filets de pêche et des vêtements. En deuxième, nous avions le groupe, dont les membres chassaient ensemble et se protégeaient entre eux. Sans le groupe, nous n’aurions pas survécu. Rorik a raison : notre cerveau sait naturellement distinguer le bien du mal. Depuis le code d’Hammourabi et peut être même avant, nos lois ne sont que l’extériorisation de ce savoir, sa mise à plat. Mais il ne faut pas perdre de vue que cette connaissance du bien et du mal, ces lois s’appliquent à tous, à la collectivité. C’est un ensemble de règles de vie commune. Si l’humain était un animal solitaire, il n’en aurait pas besoin.

Sautons plusieurs millénaires, SVP : aux XIXe et XXe siècle, l’Angleterre (dont je prends l’exemple parce que je la connais bien) avait derrière elle une longue tradition de liberté d’expression héritée du protestantisme (ici l’anglicanisme), qui favorise la liberté d’opinion à travers la doctrine du libre-examen, selon laquelle aucun pape, aucune autorité ne peut imposer ce qu’il faut penser aux croyants. Il appartient à chaque personne de définir elle-même son rapport individuel à Dieu, et partant, au monde. L’Enlightenment des pays protestants, partageant cette culture, mettait tout particulièrement l’accent sur les libertés individuelles. Or, à l’arrivée, depuis au moins l’époque victorienne, l’Angleterre est l’un des pays les plus conformistes au monde.
Prenons aussi la Suisse et les pays scandinaves : mêmes causes, mêmes effets.
Pourquoi ? parce qu’il semble que plus une société est menacée par des conflits, une accumulation d’opinions disparates et des divisions internes, plus elle va se défendre en secrétant, comme un contre-poison, un conformisme totalitaire qui va lui permettre de survivre, même si c’est au détriment du bonheur de ses membres. Conclusion : le totalitarisme écrase la liberté, mais trop de liberté tue tout autant la liberté.
Il s’agit d’un équilibre à trouver, et pour ceux que ça n’intéresse pas, il reste toujours l’option île déserte ou jardin de Candide...

09/04/2024 19:55 par Rorik

On pourrait même dire que l’"anticonformisme" est un conformisme. Un exemple me vient en tête : la mode actuelle du tatouage, qui est pourtant à l’origine l’expression transgressive d’une certaine marginalité (du moins dans nos sociétés occidentales)... Un vilain paradoxe de plus pour la société de consommation !

10/04/2024 10:44 par cunégonde godot

Le conformisme consiste à vivre en accord avec ce qui nous entoure, à se conformer aux us et coutumes de l’endroit où l’on a choisi – ou non – de vivre.
Ex. : accepter que le pays d’accueil ne tolère pas, ou mal, la charia (la loi islamique) en son effectivité : le "voile", etc.

10/04/2024 13:35 par act

"Indiscipline is discipline" Virgin Prunes

10/04/2024 14:16 par Aquarius15

L’expérience de Asch sur le conformisme de groupe https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Asch

"Crutchfield (1955) a constaté que lorsque les sujets étaient face à des stimuli ambigus, cela augmentait leur taux de conformisme. En effet, lorsqu’ils pensent qu’ils ne sont pas compétents, les sujets ont moins tendance à affronter la majorité."

Ce constat participerait à expliquer un conformisme écrasant sur le COVID et l’Ukraine, car la compétence en infectiologie/épidémiologie ou en géopolitique est rare. Cela confirmerait également l’intérêt pour les dominants de maintenir les populations dans l’ignorance (incompétence) et la confusion (stimuli ambigus).

10/04/2024 14:27 par Aquarius15

On pourrait même dire que l’"anticonformisme" est un conformisme.

Pour illustrer cette réflexion pertinente https://www.youtube.com/watch?v=W7cckvTXwJ0
Je suis tellement anti-conformiste que je vais pas me conformer à me faire tatouer.

10/04/2024 18:45 par xiao pignouf

L’exemple du tatouage incite à confondre mode et anticonformisme.

La mode est un processus cyclique entre conformisme et anticonformisme. Elle crée un objet ou un phénomène en s’inspirant souvent des marges anticonformistes, objet ou phénomène qu’elle marchandise ou démocratise et qui devient manifestation du conformisme. En réaction, les marges rejettent cet objet/phénomène qui progressivement redeviendra anticonformiste et ainsi de suite.

L’anticonformisme et le conformisme vont main dans la main, comme le pour et le contre, les qualités et les défauts, le sucré et le salé.

12/04/2024 13:03 par Chico

L’anticonformisme ressemble à l’histoire du militant qui est tellement à gauche, qu’il se trouve à droite . Et comme il est plus "militant" qu’il n’est de gauche, il finit par se retrouver à l’extrême droite et très bien dans sa peau (Mussolini est l’exemple parfait) . Être libre, c’est seulement ne pas être conformiste . L’" Anti" c’est tombé dans le piège d’être plus radical que le radicalisme qu’il dénonce . Le commentaire de Caza avec la référence à "Germinal" illustre bien . (le deuxième commentaire de Caza, pas le premier, ni le troisième ...beaucoup de commentaire de Caza ...comme je l’avais déjà noté) . Bonjour à toi Caza . Je te crois ... ce n’est pas un privilège .

12/04/2024 20:07 par Rorik

In medio stat virtus, dit-on...

13/04/2024 14:49 par CAZA

Conformiste ou anti .
Soumis ou in .
Et toi camarade tu l’ a mis l’ uniforme des tortionnaires pendant ton "service militaire" ?
Et ton bras tu l’ as tendu pour recevoir l’ extrême injection .
Et l’ attestation tu l’as rempli l’ attestation ?
https://anamosa.fr/livre/lattestation-une-experience-dobeissance-de-masse-printemps-2020/
As tu envoyé des lettres de dénonciations de non vaccinés à la vérandantur ?
https://reseauinternational.net/confinement-analyse-dune-experience-dobeissance-de-masse-par-deux-sociologues/

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