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Quitter la ville en période d’épidémie, un privilège de classe ?

De nombreux citadins ont quitté les métropoles dès l’annonce des mesures de confinement pour combattre l’épidémie de Covid-19. Beaucoup sont propriétaires de résidences secondaires et peuvent télétravailler. Cette situation révèle une fois de plus les inégalités sociales face à la pandémie.

Il y a ceux qui n’ont pas le choix et qui doivent rester confinés dans une dizaine de mètres carrés. Et puis, il y a les autres : les 3,4 millions d’heureux propriétaires de résidences secondaires, dont une bonne partie s’est empressée de s’y réfugier dès l’annonce des mesures de confinement d’Emmanuel Macron le 16 mars dernier.

Selon une analyse statistique des données téléphoniques réalisée par l’opérateur Orange, près de 1,2 million de Franciliens ont quitté la région entre le 13 et le 20 mars. Soit 17 % des habitants. L’opérateur estime que ces déplacements ont été répartis de façon homogène sur le territoire, même si certaines zones ont été plébiscitées, comme les départements de l’Orne, de l’Yonne, de l’Ille-et-Vilaine ou encore l’île de Ré (Charente-Maritime), qui a vu sa population bondir de 30 %.

« La fuite des riches dans leur maison de campagne a toujours été importante, notamment durant la peste à la Renaissance »

Le préfet de Loire-Atlantique et des Pays de la Loire a estimé qu’entre 150 000 et 200 000 personnes auraient débarqué sur les côtes de sa région. Dans le Finistère, l’afflux de résidents a même provoqué un pic de consommation d’eau, obligeant les pouvoirs publics à prendre des mesures de restriction inédites.

En Bretagne, ces arrivées ont provoqué de vives tensions. Plusieurs voitures immatriculées hors des Côtes-d’Armor ont été dégradées à Penvénan, Plougrescant et Trévou-Tréguignec, selon le quotidien Ouest-France. Dégradations que la gendarmerie attribue « vraisemblablement » à des représailles envers les résidents secondaires.

Pour tenter de calmer les esprits, la préfecture du Morbihan a décidé d’interdire les locations saisonnières des quatre îles de Belle-Île-en-Mer, Groix, Houat et Hoëdic jusqu’au 31 mars. En Vendée, l’accès à l’île d’Yeu a été réduit aux personnes attestant une carte de résident permanent. La compagnie qui assure la liaison avec les îles d’Ouessant, de Molène et de Sein, dans le Finistère, a réduit ses rotations quotidiennes, les réservant exclusivement aux résidents et aux professionnels.

Cet « exode urbain » en temps d’épidémie n’a rien de très nouveau, selon Anne-Marie Moulin, médecin et philosophe, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « La fuite des riches dans leur maison de campagne a toujours été importante, notamment durant la peste à la Renaissance. Au point que les pouvoirs publics de l’époque s’en sont inquiété, car les demeures des plus aisés étaient menacées de pillages. De plus, beaucoup de médecins étaient des bourgeois, qui ont aussi choisi la fuite. Ce que les autorités ont tenté de réguler et même d’interdire. »

Ce déplacement de population dans toutes les régions françaises a-t-elle pu accélérer la propagation du virus ? C’est en tout cas la crainte de certains médecins, comme Isabelle Ezanno, qui exerce à Crac’h, dans le Morbihan. « C’est irresponsable dans la mesure où nous, on est déjà confinés depuis quinze jours pour limiter la diffusion du virus et que les gens qui viennent d’ailleurs et qui n’ont pas été confinés vont sans doute ramener des cas », a-t-elle déclaré sur France Info. Pour faire face au cas où, l’Autorité régionale de santé de Nouvelle Aquitaine a ainsi ouvert l’hôpital d’été de Saint-Martin-en-Ré, utilisé d’ordinaire pour absorber l’afflux massif d’estivants.

« 60 % des résidences secondaires en espace rural appartiennent aux ouvriers, aux employés et aux retraités modestes »

Car, cette fuite a ceci de paradoxal : les gens quittent les métropoles, bien équipées médicalement, pour la campagne et ses déserts médicaux. En 2018, près de 3,8 millions de Français vivaient dans une zone sous-dotée en médecins généralistes (soit 5,7 % de la population), contre 2,5 millions (3,8 % de la population) quatre ans plus tôt. Dans certaines régions, des généralistes débordés n’acceptent pas de nouveaux patients. Et il faut parfois parcourir plusieurs dizaines de kilomètres avant d’accéder à un hôpital. « Ce phénomène existe depuis des années. Il a été aggravé par la décision de supprimer les hôpitaux intermédiaires. Par exemple, dans la Drôme, depuis la fermeture progressive de l’hôpital de Die, on a quasiment 200 kilomètres de désert hospitalier entre Valence et Gap », analyse la médecin et philosophe Anne-Marie Moulin.

De fait, beaucoup n’ont pas choisi leur résidence secondaire en fonction des commodités alentour. Et tous les propriétaires ne sont pas forcément de riches actionnaires. Beaucoup de citadins sont tout simplement rentrés dans leur famille. Pour Jean-Didier Urbain, sociologue et ethnologue, spécialiste du tourisme, il faut se garder de tout amalgame. « 60 % des résidences secondaires en espace rural appartiennent aux ouvriers, aux employés et aux retraités modestes. Ce n’est pas qu’une pratique de nantis, sauf bien sûr pour les résidences à la montagne, sur une île ou sur le littoral. »

Selon une enquête menée par le Cevipof, seulement 9 % des résidences secondaires seraient héritées. Jean-Didier Urbain refuse ainsi de fustiger celles et ceux qui sont partis s’y réfugier. « Cette épidémie montre que le confinement est ingérable dans certaines conditions d’habitation. Des gens qui doivent dormir à tour de rôle dans un lit faute de place et qui sont obligés d’aller dehors car les appartements sont trop petits. Il n’y a pas de politique d’habitat cohérente face à la spéculation foncière. La fuite à la campagne n’est qu’un effet secondaire de cette situation. » Difficile en effet de se confiner à 100 % lorsqu’on vit dans un logement indécent.

« La projection d’un certain imaginaire bourgeois, une parenthèse et pas un changement de vie »

Malgré tout, quitter temporairement la ville pour les champs sans risquer de perdre son emploi demeure un privilège social. Les soignants, les livreurs à vélo, les salariés d’Amazon, les caissières de supermarché et bien d’autres n’ont pas d’alternative à rester. Le télétravail ne concernerait que 8 millions de personnes sur les 23 millions d’actifs, surtout les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Des gens qui ont le temps pour partager les détails de leur quotidien, comme l’autrice Leila Slimani qui a publié son journal de confinement dans Le Monde ou Marie Darrieussecq dans Le Point.

Ces deux textes décrivent une campagne éthérée, fantasmée et romantisée. « Comme dans un livre du XIXe siècle, ils mettent en scène des urbains fatigués par la ville et ses excès qui vont se réfugier à la campagne. C’est la projection d’un certain imaginaire bourgeois, une parenthèse et pas un changement de vie. Ces textes sont caricaturaux et frôlent même l’indécence politique », s’exclame Laélia Véron, maîtresse de conférences en stylistique, qui a analysé dans une émission d’Arrêt sur images la romantisation de ces journaux de confinement.

Ces textes ont été largement parodiés sur les réseaux sociaux (voir notamment celle du journaliste Matteu Maestracci) et dans la presse, comme chez nos confrères belges de RTBF ou encore dans Brain Magazine. Cette nature vierge, comme intacte, exempte d’êtres humains, occulte totalement la misère sociale rurale. « Je suis dans le Loiret où il y a beaucoup d’agriculteurs isolés, loin de tout service de santé et de solidarité », avance Laélia Véron. Au total, 1,8 million de personnes pauvres vivraient dans des communes rurales et beaucoup ne prendront jamais la plume pour raconter leur vie confinée.

« Les métiers des ouvriers ne se télétravaillent pas »

Écrire — et surtout être publié dans un média national — est un privilège de classe. On donne la parole à Leila Slimani ou à Marie Darrieussecq parce qu’elles ont vendu des milliers de livres et remporté des prix littéraires. « Elles parlent parce qu’elles ont déjà parlé et non pas car elles ont quelque chose d’intéressant à dire », estime Laélia Véron. Sans surprise, personne n’a encore publié des journaux de confinement de mères célibataires devant jongler entre l’école à la maison, la gestion des courses et peut-être le télétravail. « Avoir le temps pour pouvoir écrire est un luxe », poursuit Laélia Véron. Elle cite le cas de la journaliste Nesrine Slaoui venue se confiner chez ses parents ouvriers dans le sud. Dans son témoignage, publié sur son compte Twitter, elle décrit les interrogations de son père, maçon, qui n’a pas d’autre choix que de se rendre sur les chantiers. « Les métiers des ouvriers ne se télétravaillent pas et ça fait bien longtemps que les décisions politiques s’abattent sur eux en oubliant leur existence. » La journaliste évoque également sa mère, femme de ménage, qui a reçu des messages lui demandant d’aller nettoyer des résidences secondaires. Ce qu’elle a refusé. « Pour ces privilégiés, le confinement est une accalmie (...) Ils vous diront que c’est une quête spirituelle, le moment idéal de lire plein de livres, l’opportunité de se remettre au dessin, d’apprendre une nouvelle langue... Ils se sentent, eux, épargnés par la mort. » Cette parole, assez rare, est restée cantonnée aux réseaux sociaux, sans bénéficier de la même visibilité que Leila Slimani ou Marie Darrieussecq. « La journaliste avait pourtant contacté certains médias, mais n’a reçu aucune réponse. C’est dommage, car ce texte est très intéressant, il n’est pas centré sur elle-même contrairement aux autres », précise Laélia Véron.

La campagne n’est donc pas seulement un exil idyllique que certains tentent de dépeindre au travers de journaux de confinement et de photos Instagram de bourgeons fleurissants. Voire, le fort taux de résidences secondaires dans certaines régions rurales n’est pas forcément symbole d’attractivité. « Souvent, les gens sont partis car ils n’avaient plus de travail, mais ont gardé leur petite maison, qui est devenue une résidence secondaire par défaut », justifie Brigitte Baccaïni, géographe et administratrice de l’Insee.

Cet exode urbain temporaire sera-t-il l’occasion de repenser nos façons de vivre, de travailler, de consommer comme beaucoup l’espèrent désormais ? Pour Jean-Didier Urbain, la réponse est non : « Nous sommes en période de crise, de remise en question sous le coup de l’émotion. C’est normal. Mais dès que le danger sera éloigné, tout redeviendra comme avant. Je ne veux pas être cynique, mais les mécanismes sociaux ne seront pas déboulonnés par le coronavirus, qui n’est ni la peste ni le choléra. » Un point de vue partagé par Anne-Marie Moulin. « Quand on parle des épidémies, on évoque toujours des questions de morale, pour juger ce qui ne fonctionne pas bien dans la société. Ces jugements ont rarement un écho assez puissant pour lancer des réformes profondes lorsqu’on retourne à la routine. Il n’y a pas d’exemples dans l’histoire d’épidémies qui aient radicalement transformé la société pour le mieux. »

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