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Retour de mission en Palestine : une priorité, faire reconnaître l’apartheid

Comment transcrire au plus juste la violence de l’oppression que subissent les Palestiniens et montrer leur capacité de résilience ? Raconter leur quotidien, soumis à l’arbitraire, au mépris, au harcèlement d’un régime colonial de discrimination et de négation des droits humains les plus élémentaires et transmettre aussi un message d’espoir car, au delà de l’injustice subie depuis tant d’années, il y a un peuple qui lutte, qui vit, qui aime et qui nous redonne foi en l’avenir. C’est avant tout cela la résistance : cette affirmation quotidienne de leur existence. Exister c’est résister ! Cela n’a jamais aussi bien défini l’idiosyncrasie de ce peuple.

Nous avons parcouru la Cisjordanie de Jénine au sud d’Hébron, en passant par Naplouse, la vallée du Jourdain, Ramallah, Bethléem et bien-sûr Jérusalem. Nous avons rencontré les habitants des villages qui résistent contre les colonies ; ceux des quartiers menacés d’expulsion de Jérusalem-est et du village bédouin d’Al Araqib, dans le Naqab, détruit 199 fois.

Nous avons écouté des familles meurtries par la démolition de leur maison ; des paysans à qui les colons veulent arracher leur terres ; des bergers qu’on empêche de garder leur troupeau ; des enfants qui ne peuvent plus s’instruire parce qu’on détruit leur école.

À Beita, dans ce village, près de Naplouse, qui, depuis plus d’un an, mène une lutte exemplaire contre un avant-poste de colons qui veut confisquer ses terres, le centre de santé s’est transformé en service d’urgence pour accueillir et soigner gratuitement les blessés, certains à balles réelles, qui arrivent en nombre tous les vendredis, jour de protestation des villageois. Sur 15 000 habitants, la répression leur a déjà coûté 11 morts, 350 blessés dont 6 ont perdu un œil.

Dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, pendant le COVID, comme tout était fermé, que les hommes ne pouvaient plus travailler, la situation de pauvreté s’est aggravée comme dans toute la Palestine. La vie des femmes s’est encore dégradée avec la montée des violences familiales. À cela s’ajoute le harcèlement permanent de l’occupation : invasion des soldats, raids quotidiens. La semaine précédent notre venue, un jeune de 17 ans a été tué. « Ce qui manque le plus c’est de se sentir en sécurité. Si les enfants sont violents, c’est qu’ils vivent dans la terreur des soldats et des colons. » nous dit Maryam, une des animatrices du centre culturel Jaffa.

Des situations kafkaïennes

Il faut se représenter Kalandia, un village qui se meurt, isolé de la Cisjordanie, coincé entre le mur et la ligne verte ; de nombreuses maisons y ont été détruites pour « raisons de sécurité », ce sésame israélien qui justifie l’accaparement des terres palestiniennes. Poursuivant la route, on passe par un tunnel qui peut être fermé à tout moment, pour arriver au village de Biddu, dans lequel on ne peut entrer que par cette porte. Le cauchemar continue : nous arrivons devant un portail et un couloir de barbelés surplombant une route réservée aux colons. C’est là que vit la famille Saadat, dans une maison totalement encerclée par une colonie. Une prison à ciel ouvert !

Sa terre et ses oliviers se trouvent de l’autre côté des grillages. Il ne peut y avoir accès qu’avec un permis délivré pour quatre jours par an et il doit faire deux heures de trajet pour s’y rendre, en passant par les checks points. « Il y a encore plus grave que le mur, les colonies, les routes de contournement, les destructions de maisons, nous dit-il, c’est la volonté de tuer tout esprit de résistance, de détruire notre culture » . C’est l’illustration de l’apartheid, du racisme et de l’oppression.

Coupée du monde : la maison d’Omar.

Venant du village d’Al Walaja, nous nous heurtons à une grande porte de fer. De chaque côté des rangées de barbelés et de grillages électrifiés. Sur la gauche, les colonies de Jérusalem ; un peu à droite, celles de Gilo qui isole Bethléem de sa capitale. Sur le portail, une caméra. Notre ami Munther klaxonne. Bientôt la lourde porte s’ouvre et Omar apparait. Il nous fait rentrer. Nous découvrons sa maison sur un piton. Il vit ici avec sa femme et ses enfants. Complètement isolés de tout, ils sont cernés par le mur de toute part. Sur sa ferme, il y a trois sources. Il élève des moutons et il plante des arbres fruitiers. L’AFPS, à l’instigation du PSCC (Coordination des comités de résistance populaire), a financé l’achat de 200 cerisiers. Vision saisissante de ces moutons paissant paisiblement sur cette colline florissante dans ce printemps naissant avec, en arrière plan, ces hideux blocs de colonie qui détruisent le paysage et la terre.

L’absurdité de la situation saute aux yeux devant cet homme pacifique qui ne demande qu’à vivre des fruits de sa terre. Par quelle décision kafkaïenne, une telle inhumanité peut-elle être infligée à cette famille, la coupant de toute vie sociale ?

Jérusalem : un concentré de la politique d’apartheid.

À Jérusalem Est, il y a aujourd’hui 220 000 colons répartis dans 16 colonies. Ils représentent 1/3 des colons de la Palestine occupée. Si on consulte le Plan directeur (Master plan) pour Jérusalem, il planifie l’extension des colonies. Il ne reste plus aux Hiérosolymitains (habitants de Jérusalem) que 13% de la superficie d’origine.

Dès sa fondation, l’État d’Israël a conçu un système juridique et une planification de l’espace sous son contrôle, lui permettant de légitimer l’accaparement de terres. L’élaboration progressive d’un corpus juridique régissant le foncier et un éventail de procédures complexes permirent de rationaliser et de justifier par le droit une politique de dépossession et d’expropriation massive aux dépens des Palestiniens. La mise en oeuvre de procédures particulièrement perverses a permis de masquer la violence et l’arbitraire de cette politique au nom de valeurs positives comme ceux de l’« État de droit » , du « bien public », du « respect de l’environnement », ou de la sécurité.

Dans le quartier de Sheikh Jarrah, une première halte pour constater la démolition totale d’une maison dans le quartier du Carmel Mufti. Nous rencontrons Amal, une artiste céramiste, expulsée de chez elle, encore traumatisée par la violence de cette destruction. Sa famille habitait cette maison depuis 1952, après avoir été chassée de leur village en 1948. Ils avaient de la terre, des oliviers. En 1968, après l’occupation israélienne, cette terre devait être confisquée selon la loi sur l’autorité de la terre... Mais rien ne s’est passé jusqu’en 2002. La municipalité de Jérusalem a officiellement saisi la propriété en 2017 dans le but de construire une école pour enfants handicapés. La famille a déclaré avoir acheté la terre avant 1967, tandis que l’État a fait valoir devant les tribunaux qu’elle n’avait aucun droit sur cette propriété.
Un tribunal de Jérusalem a statué l’année dernière en faveur de la ville et a autorisé l’expulsion forcée. En janvier dernier, tous les matins, les policiers et la sécurité faisaient le siège pour les forcer à partir. C’est alors que Mahmoud Salhiyeh, son frère, est monté sur le toit de la maison avec des bonbonnes de gaz et a menacé de tout faire sauter. Malgré le soutien de diplomates venus empêcher la destruction, deux jours après, des soldats en nombre sont arrivés à trois heures du matin et, devant les enfants en pleurs, ils ont tout saccagé à l’intérieur de la maison. Amal et les siens ont dû sortir dans la rue en pyjamas, sans rien. Ils sont restés ainsi pendant deux heures le temps que les bulldozers démolissent la maison et effacent toute trace. « C’était une maison vieille de deux cents ans, un héritage culturel, où mon grand-père et mon père ont vécu et sont morts, où j’avais tous mes souvenirs.(...) C’était ma vie. »

En 2008, la famille al-Kurd est expulsée de Karm al Jaouni avec treize autres familles, malgré qu’ils bénéficiaient de la loi jordanienne des trois ans qui les rendait propriétaires de leur maison. Depuis 1972, des colons réclamaient la propriété. Ceux-ci sont venus occuper de force une partie de leur maison. Le mois dernier, la Haute Cour a décidé d’arrêter tous les ordres d’expulsion. Il faut cependant rester vigilant car ce pourrait être une victoire en trompe l’œil...

Un peu plus loin, la famille Salem est menacée d’expulsion ainsi que deux autres familles. Quinze personnes vivent dans cet endroit. La maison des Salem est toute petite. Fatme a vécu ici avec ses parents et ses sept frères et soeurs depuis 1948. Elle et ses trois fils y sont restés. En 2015, Israël a rouvert le dossier leur donnant l’ordre d’évacuer leurs maisons en décembre 2021. Ils vivent dans la misère depuis des mois.Les colons qui disent qu’ils ont acheté la terre les harcèlent sans fin. La nuit dernière, ils sont venus crever les pneus de leur voiture. Ils attaquent les maisons. Un député d’extrême-droite a installé sa tente devant chez eux.

« Jérusalem, c’est comme un gâteau dont on se partage les tranches. Vous pouvez imaginer les conséquences économiques et sociales et la souffrance psychologique. C’est une politique de la mort lente qui s’impose à nos existences pour nous empêcher de vivre. Ce qui se passe ici, c’est un crime de guerre et le monde est silencieux. À Jérusalem nous n’avons pas d’existence institutionnelle. Tout le monde vit dans l’urgence et l’insécurité » nous dit un des responsables du centre culturel d’Al Boustan, un des autres quartiers de Jérusalem menacé.

Sumud !

Malgré les menaces, la colonisation et la répression, les Palestiniens résistent .Il s’agit de tenir, ne pas lâcher un pouce de terre. C’est le Sumud, un combat de Sisyphe !

Cela va d’une replantation d’oliviers à la réhabilitation de terres agricoles, d’une distribution de vêtements chauds pour l’hiver dans les écoles des villages isolés à la construction de sanitaires, ou encore l’achat de panneaux solaires et de citernes d’eau pour ces mêmes écoles, soumises aux menaces permanentes des ordres de démolitions.

Munther Amira, un des leaders du PSCC2, nous résume leur stratégie : défendre la terre partout contre les colonies et soutenir la résistance populaire non violente. Encourager les cultures dans les terres réservées à l’extension des colonies, comme dans la Vallée du Jourdain. Ainsi, ils ont pu installer une exploitation maraîchère pour des Bédouins près de Jiftlik, sur une terre qu’Israël avait déclarée « réserve naturelle ».

La Résistance est loin encore d’être unifiée, les années de Covid ont renforcé le poids des clans familiaux même si, depuis mai 2021, des convergences se dessinent qui débouchent sur des actions globales de toutes les composantes du peuple palestinien sur l’ensemble de la Palestine historique. Elle se heurte à un défi majeur : la scène politique palestinienne n’offre guère de perspective. La détestation de Mahmoud Abbas et de l’Autorité palestinienne est générale. La fracture de l’unité palestinienne pèse lourdement. L’absence de leadership et d’une alternative politique unifiée ne permettent pas d’envisager une stratégie gagnante. Les élections municipales pour les villes qui se sont déroulées pendant notre séjour ont majoritairement donné la victoire aux listes communes du Hamas, du FPLP et de dissidents du Fatha, ce qui peut sembler des alliances contre-nature, d’autant que c’est le Hamas le parti dominant.

Dans les collines du sud d’Hébron, la résistance est quotidienne depuis 1967. Ici, les gens sont de simples bergers. Quinze villages se trouvent dans des zones militaires, menacés d’expulsion. Depuis 2011, les autorités israéliennes ont démoli ou confisqué 217 structures et déplacé 608 résidents palestiniens. Le 4 mai dernier, la Cour suprême israélienne a rejeté le dernier recours contre le transfert forcé de 1300 Palestiniens de Masafer Yatta. Cette décision ouvre la voie à la démolition des huit villages situés dans cette zone aride.

En 2016, une douzaine de jeunes se sont organisés dans les Youth of Sumud3. Aujourd’hui, ils sont une trentaine. Ce sont principalement des étudiants qui combattent quotidiennement la colonisation et protègent les bergers, en filmant les agressions des colons pour présenter des preuves devant la justice internationale et pour informer les réseaux sociaux.

« Nous vivons sous un régime d’apartheid et d’inégalité. Le moindre colon dépend de la loi civile alors que les Palestiniens sont sous législation militaire », nous dit Sami qui a été gravement blessé à la jambe lors d’une démonstration dans son village. L’armée l’a placé en détention administrative, avec comme charges : insulte à soldat, participation à une manifestation illégale et violation d’une zone militaire. Libéré sous caution, il doit signer tous les vendredis au poste de sécurité. S’il est arrêté de nouveau, son père devra payer 30 000 shekels. «  C’est ça notre vie ! Nous payons le prix fort. Mais on continue. »

Malgré tout, nous aimons la vie autant que nous pouvons et nous serons un jour ce que nous voulons. »

La société civile palestinienne est bien vivante, elle s’organise grâce à son réseau associatif. C’est pour cela que le régime colonial israélien a illégalement désigné 6 ONG4 palestiniennes comme des organisations terroristes. Pour leurs représentants, il s’agit d’un plan stratégique qui vise à délégitimer tous ceux qui appellent au BDS5 et au respect du droit au retour des réfugiés.
Il est temps d’en finir avec l’impunité d’Israël et de lui imposer des sanctions comme l’Unions Européenne a su le faire si rapidement contre la Russie après son intervention en Ukraine. Pour cela la campagne contre l’apartheid et le BDS leur paraissent essentiels pour faire bouger les lignes.

Monique Etienne

La jeunesse pour le Sumud – « s’accrocher à sa terre »
4 les six organisations de la société civile palestinienne – Addameer, Al-Haq, le Centre Bisan, Défense Internationale des Enfants-Palestine, Union des Comités Agricoles, Union des Comités de Femmes Palestiniennes
5 Boycott, Désinvestissement, Sanction..

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