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Services publics : une évolution qui exclut et éloigne du « partout et pour tous »

Un constat s’impose

Nous ne le mesurons peut-être pas vraiment, mais une réalité s’impose à nous aujourd’hui : l’administration électronique, ou « e-administration ».

Qu’on l’ait souhaitée ou non (les citoyens-administrés, leurs élus ou représentants associatifs ont-ils jamais été consultés ?), elle est là, en place, présente partout, ou presque.

À la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, c’est AMELI pour Assurance Maladie En LIgne pour suivre le paiement des prestations ; avec elle, avec l’ « e-administration », de chez vous, vous pouvez aussi demander une carte grise dans une préfecture, la prime d’activité à la Caisse Nationale des Allocations Familiales, suivre le retrait de points du permis de conduire, une procédure engagée devant un tribunal avec un numéro codé (Sagace pour le tribunal administratif), vous inscrire à Pôle emploi, demander une bourse scolaire… Il n’est pas jusqu’à la poste qui vous demande de préparer, chez vous, vos affranchissements avec votre « machine »… Aux impôts (.gouv.fr),..., c’est une vraie injonction qui vous est faite ! En 2018*, la loi rend en effet obligatoire le paiement de la somme que vous devez par l’un des moyens suivants : smart-phone ou tablette, ou bien sur impôts.gouv.fr, dés lors que cette somme est supérieure à 1 000 euros.

Injonction ? À défaut d’utiliser l’un des modes de paiement autorisés, une majoration de 0,2 % du montant sera appliquée…

Et du côté des collectivités locales, il est aujourd’hui possible, auprès de certaines communes, en Ardèche, de payer la cantine scolaire « en ligne », ou bien encore de payer les transports scolaire Ici, la modernité qui ne prend plus le train, roule en car.

Ce qui, tout de même pose la question, à la fois, de l’équipement avec l’un de ces « outils » pour procéder au paiement (depuis quand la possession d’un smart-phone, d’une tablette, celle d’un ordinateur et l’abonnement à un fournisseur d’accès seraient-ils devenus obligatoires ? en vertu de quel texte ?), et, subsidiairement, la question de la formation à l’un de ces outils pour savoir l’utiliser. Nous y reviendrons.

* En 2019, sous peine des mêmes pénalités, ces mêmes modes de paiement seront rendus obligatoires dés lors que les sommes dues seront supérieures à… 300 euros ! Autant dire que la grande majorité des contribuables sera concernée. Seront-ils alors tous équipés, tous formés.

L’objectif fixé par le Président Macron c’est 100 % de services publics dématérialisés en 2022 !

Qui l’a décidé et pourquoi ?

La conversion de l’administration « guichet-papier » à l’administration électronique ne date pas d’hier.

Elle est d’abord issue de la volonté d’introduire dans la gestion publique une « culture de la performance et de la responsabilité ». Ce sera la promulgation de la L.O.L.F. (Loi Organique relative aux Lois de Finances) (1) en août 2001, lors du gouvernement Jospin ; sous l’impulsion du député socialiste Didier Migaud, du sénateur centriste Alain Lambert et de Laurent Fabius, alors président de l’Assemblée Nationale, puis ministre des Finances, lors de son aboutissement.

Ces mêmes déficits budgétaires aggravés, ceux des années 90, invoqués pour faire passer la réforme de l’ordonnance de 1959 relative aux lois de Finance, seront encore invoqués par Nicolas Sarkozy pour lancer la Révision Générale des Politiques Publiques (R.G.P.P.) en 2007. Avec, comme objectif, la réduction des dépenses publiques pour revenir à l’équilibre budgétaire de l’État (2).

La Modernisation de l’action Publique (M.A.P.) lancée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en 2012, sous le quinquennat de François Hollande, s’inscrit dans la stricte continuité de la R.G.P.P. car elle ne poursuit pas d’autre objectif que celui de réduire le train de vie de l’État, dégager de nouvelles économies budgétaires, tout en améliorant (sic) les Services Publics…(3) Cette amélioration passant par une accélération de la simplification des démarches administratives et l’« administration numérique ». Voilà, nous y sommes… On brandit la « simplification et la modernisation des démarches administratives » pour, avec elles, supprimer des postes budgétaires, fermer des services de proximité et, finalement, réduire le train de vie de L’État et la dette publique !

Le « Comité Action Publique 2022 » (C.A.P. 22) installé le 13 octobre 2017 par Édouard Philippe, aux côtés du ministre de l’Action et des Comptes publics G. Darmanin, de M. Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique et du socialiste O. Dussopt, secrétaire d’État à la Fonction publique poursuit dans la même voie : « rendre l’État plus efficace, offrir un meilleur service aux citoyens tout en faisant des économies... »

Conséquences de la mise en place de cette administration électronique dans laquelle les écrans remplacent les fonctionnaires…

On peut d’abord pointer des conséquences immédiates. Ce sont les difficultés, bien réelles, rencontrées par un grand nombre d’administrés dans leurs nouveaux rapports forcés avec l’Administration.

Voici quelques chiffres rapportés par la revue « Que Choisir ? » (février 2018) : Le « Baromètre du numérique » relève que 13 % de la population se dit dans l’incapacité de déclarer ses revenus, de télécharger ou remplir un formulaire, ou encore d’obtenir des informations sur Internet, soit, tout de même, 7 millions de personnes ! Et si 89 % des 25-39 ans ont accompli une démarche en ligne en 2016, ce n’est le cas que de 58 % des 60-69 ans, et 30 % des 70 ans et plus (4).

La revue Que Choisir précise encore : Le niveau de revenus est aussi un marqueur important dans la part d’individus effectuant des démarches administratives sur le Web : 59 % des bas revenus l’ont fait, contre 81 % des plus riches…

L’exclusion numérique est, à la fois, une question d’âge, de revenus… Mais pas uniquement ! On pourrait ajouter que c’est aussi une question de profession exercée, une question de territoire, couvert ou non couvert.

À ces titres-là, fermer des centres de proximité des impôts en Ardèche, département rural s’il en est, et renvoyer la population sur la « route du numérique » pour garder le contact avec son administration, ne peut qu’accroître la difficulté des administrés…

On peut ensuite élargir le propos en dépassant la question de la possession et de la maîtrise des outils informatiques.

Car si cet aspect est, en soi, une vraie question de société, pour autant il n’est pas la clef de la relation avec l’administration et celle-ci ne peut se résoudre en équipant et en formant les citoyens démunis ou désemparés devant les nouvelles pratiques informatiques attendues d’eux (leur apprendre à parler le langage des machines ?).

Pour être tout à fait clair, disons ici que ce n’est pas l’outil informatique en tant que tel qui est en cause. Celui-ci, en tant qu’ »instrument », « outil de travail » dans les mains des agents de l’État s’inscrit dans le sens de l’évolution technique et permet d’effectuer une plus grande quantité de travail, de très bonne qualité. Ce qui est en cause, c’est la présence de cet outil comme seul et unique « interface » entre l’administration et les usagers.

Un mot ici sur ce que l’on appelle la « fracture numérique ». En 2016, un journal indiquait que « seules les personnes de moins de quarante ans avaient reçu une formation aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la communication (N.T.I.C.) au collège et que les plus de soixante ans (toujours en 2016), avaient pu mener, pour la plupart, toute leur vie professionnelle sans les utiliser ». C’est dire l’importance du nombre de gens « écartés » du numérique !… Et, en même temps, face à l’ampleur de ce nombre, le besoin, l’exigence, l’urgence de formation à ces nouveaux outils de communication. Vu le travail à accomplir, qui mieux qu’un service public, l’Éducation nationale, est en mesure de s’engager à résoudre cette fracture, à répondre et à relever ce défi ?

Pour autant, ce n’est pas la question qui est posée avec la relation à l’administration. Disons-le ici tout de suite, pour être très clair : rien, aucune machine, aucun écran, ne remplacera jamais un humain, un fonctionnaire, dans la relation du citoyen avec l’administration. Ce qui est en question, dans cette relation, c’est la citoyenneté ; c’est-à-dire l’application, l’exécution, par un citoyen, d’une mesure conformément à une loi ou à un règlement, voté par les élus, et dont le fonctionnaire est chargé de veiller à la bonne exécution. Or quelles sont les conditions à remplir pour que ces choses-là se fassent au mieux ? Il y a certes la « maîtrise » de l’aspect « technique » que le fonctionnaire peut aider l’administré à acquérir, c’est-à-dire, en clair, la connaissance du « mécanisme particulier d’application », à savoir : un barème, un calcul spécifique, un délai, le vocabulaire particulier dans lequel s’exprime l’administration …(5). Interface avec l’autre enjeu de cette question, j’ajouterai, pour en avoir encore été le témoin récent, que le fonctionnaire, juge de la bonne foi d’un administré, qui reçoit de celui-ci des explications tout à fait crédibles, recevables et vérifiables, a, à la différence de la machine numérique, l’opportunité de l’aider à rattraper une situation « limite ».

Allons un instant plus loin. Ce lieu de « confrontation » entre un fonctionnaire et un administré pourrait aussi, s’il était organisé (6), constituer le réceptacle des doléances du citoyen, à charge ensuite pur le fonctionnaire de les faire remonter par un canal approprié à ceux qui font les lois.

Trop souvent occulté, et pourtant essentiel, l’autre grand enjeu de la relation avec l’administration, c’est l’importance, pour le citoyen-administré, de connaître, de comprendre pourquoi, à quelle finalité correspond le texte qui lui est présenté, et en vertu duquel l’État lui demande telle et telle chose.

Comme le dit l’adage populaire : « les choses vont mieux en le disant ». ou bien encore « un citoyen averti en vaux deux ». Il en va de même pour l’application, par chacun, des lois, décrets et autres règlements qui structurent, sous-tendent notre vivre ensemble, dans une même société. Or, qui mieux qu’un humain, et bien plus qu’un écran…, peut présenter, expliquer ces choses-là ? Comme le disait un intervenant dans un débat récent, « la plus haute forme de respect à offrir à un administré, c’est de mettre un humain en face de lui » (pour lui répondre). C’est aussi, dans le même mouvement, créer les meilleures conditions pour que la République soit la mieux administrée possible.

Alors, que l’on ne vienne surtout pas taxer d’archaïque, de rétrograde ou bien encore de passéiste ceux qui s’accrochent à leurs guichetiers ! En sus de l’explication, du conseil personnalisé qui leur sera donné, c’est aussi une idée du vivre ensemble qu’ils défendent.

Pour aller plus loin

Il existe en Ardèche un Collectif de Défense et de Développement des Services Publics (C.D.D.S.P.). Celui-ci est membre de la « Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics ».

À l’initiative du rassemblement de Guéret, dans la Creuse, en 2015 pour la défense des services publics, la « Convergence » regroupe les collectifs locaux de défense des services publics et travaille avec des confédérations syndicales, des partis de gauche, des économistes… Elle a élaboré un « Manifeste pour le service public du 21° siècle » dans lequel elle porte un certain nombre de revendications et défend 12 priorités pour le service public du 21° siècle.

Le document, ces analyses et prises de position sont à consulter sur le site : www.convergence-sp.org

Pour contacter le C.D.D.S.P. de l’Ardèche : Jean-Claude Tallaron, maison des syndicats, 25 avenue de la gare, 07000 Privas.


(1) Sur la L.O.L.F. : voir Envol n° 539, avril 2004 et n°566, janvier 2007.
(2) Ah ! Dette publique, que ne ferait-on pas en ton nom pour réduire les déficits ?
Sur la dette publique, voir Envol, n° 615, décembre 2011 ; sur le caractère illégitime de cette même dette publique, voir le rapport publié le 27 mai 2014 par le « collectif pour un audit citoyen de la dette publique » sur les sites internet de Attac, Politis, Médiapart, Thomas Coutrot...(Envol, n°644, novembre 2014).
(3) Dans l’historique on aurait pu aussi chercher du côté du « Consensus de Washington ». Déjà en 1990, dans une des dix propositions qu’il recommandait d’appliquer aux États se trouvant confrontés à une « crise de la dette », le très libéral Consensus de Washington préconisait une stricte discipline budgétaire avec la réorientation des dépenses publiques.
(4) Il n’y a pas si longtemps, un certain président de la République n’avait-il pas demandé, devant des journalistes médusés, « c’est quoi une souris ? J’ai eu l’occasion de signaler cette lettre adressée par Humanis, groupe « spécialiste de la protection sociale » à ce titre chargé du versement des retraites complémentaires, a une personne âgée de plus de 90 ans qui n’avait jamais vu d’ordinateur de sa vie (combien sont-elles dans son cas, à cet âge-là ?) pour lui dire que, désormais -et pour des raisons écologiques et environnementales…- il ne lui serait plus adressé de feuille papier pour lui indiquer le montant des sommes versées à déclarer à l’administration des impôts et que, si elle voulait vérifier ces montants, elle pourrait consulter, directement, son compte personnel chez Humanis.fr, etc.
(5) Lorsqu’elle était ministre Georgina Dufoix ne s’était-elle pas plainte de la vraie difficulté qu’elle rencontrait à lire les textes de loi qui lui étaient présentés.
(6) Cette proposition, qui n’existe qu’à l’état embryonnaire, pourrait, elle aussi, concourir à renouer les liens, aujourd’hui quelque peu endommagés, entre administration et administrés. Qui n’a pas perçu, qui n’a pas été victime d’aberration dans l’application de tel ou tel texte qui s’impose, malgré tout, aussi longtemps qu’il n’aura pas été modifié par un autre texte. Oui, mais comment le faire modifier ? Quelques pistes seraient à explorer, à élargir, à créer pour faire la place, pour laisser les citoyens s’exprimer sur leur administration. Ainsi dans l’administration d’État, lors de la tenue des Comités Techniques Paritaires réunissant direction et syndicats pour parler de la mise en œuvre des orientations décidées par les ministères (C.T.P. vidés de toute leur utilité pendant le quinquennat du président Hollande), les représentants du personnel avaient-ils la possibilité (trop rarement utilisée par eux), d’inviter une personnalité qualifiée pour exprimer son opinion sur le sujet à l’ordre du jour. Ainsi encore, les Comités Départementaux de l’Éducation Nationale regroupent-ils le représentant de l’État (le Préfet), les représentants de l’administration, des élus, des parents d’élèves et des usagers… Pourquoi l’Éducation Nationale serait-elle la seule administration dotée de ce type de comité ? Quant à la bien mal nommée « commission départementale de modernisation des Services Publics », qui ne se réunit guère que pour entériner des fermetures de sites de proximités, elle mériterait d’être, tout à la fois, dépoussiérée et démocratisée, tant dans sa composition, que dans son fonctionnement et ses prérogatives, pour la transformer en un lieu de débat entre responsables du service public et usagers.

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