Il ne fait aucun doute que, suite à l’accord sur l’élimination de l’arsenal d’armes chimiques du gouvernement syrien conclu à Genève entre le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, il y a un sentiment de soulagement parmi tous ceux qui sont opposés à une nouvelle guerre d’agression au Moyen-Orient.
L’amère vérité est cependant que la guerre n’a été que reportée. Ceux qui pensent que le gouvernement Obama est en faveur de la paix ne comprennent pas les intérêts objectifs sociaux, économiques et géopolitiques qui motivent le militarisme américain. En dépit de l’accord avec la Russie, le gouvernement n’a opéré rien d’autre qu’une retraite tactique. Il reste engagé en faveur d’un changement de régime en Syrie, que l’impérialisme américain considère comme étant une part essentielle de ses préparatifs pour une confrontation militaire avec l’Iran.
Concrètement, le président Obama a déclaré dans une interview lors de l’émission « This Week with George Stephanopoulos » diffusée sur ABC dimanche que l’Iran « ne devrait pas tirer une leçon de ce que nous n’avons pas frappé [la Syrie] pour penser que nous ne frapperons pas l’Iran. »
En l’espace d’à peine une semaine, le gouvernement Obama, après avoir été sur le point de lancer un bombardement brutal contre la Syrie est passé à la négociation d’un accord avec la Russie. Derrière ce revirement rapide de la politique américaine se trouve une profonde opposition populaire à la guerre qui s’est d’abord exprimée dans le vote du 29 août au parlement britannique contre une résolution de soutien à une action militaire.
Incapable d’obtenir un cautionnement légal au moyen d’une résolution des Nations unies, à la laquelle la Russie et la Chine s’opposent, et privé du soutien même de son allié le plus proche, le gouvernement Obama s’est tourné vers le Congrès américain dans un effort pour faire adopter une résolution autorisant le recours à la force militaire. Il considérait l’approbation d’une telle mesure comme un moyen de revendiquer une fausse légitimité et une apparence de soutien populaire pour ce qui serait un acte d’agression international illégal et unilatéral.
Là aussi, le gouvernement a échoué. Les membres du Congrès ayant été bombardés de messages de leurs électeurs qui étaient à plus de neuf contre un contre la guerre, il est apparu clairement qu’Obama perdrait le vote de la Chambre des représentants qui est dominée par les républicains et probablement aussi du sénat qui est dominé par les démocrates. Ceci aurait été la première fois dans l’histoire des Etats-Unis qu’un président sollicitant l’autorisation d’une action militaire aurait reçu un tel camouflet. Et cela aurait irrémédiablement miné la présidence d’Obama.
C’est dans ces conditions que la Maison Blanche a fini par accepter la proposition de la Russie concernant un accord sur le désarmement chimique de la Syrie. Les allégations non fondées selon lesquelles le régime d’Assad porte la responsabilité de l’attaque chimique du 21 août dans les banlieues de Damas lui avaient servi de prétexte à la guerre. L’action militaire américaine, affirmait la Maison Blanche, servirait à « dissuader et à dégrader » les capacités d’armes chimiques de la Syrie.
Moscou lui a damé le pion en rebondissant sur une remarque apparemment spontanée de Kerry disant que le gouvernement syrien du président Bachar al-Assad ne pourrait éviter une attaque militaire américaine qu’en détruisant totalement son arsenal d’armes chimiques. Moscou a obtenu l’accord d’Assad de faire précisément cela et le gouvernement Obama s’est retrouvé dans la situation intenable de promouvoir une guerre extrêmement impopulaire, dont les objectifs avoués pouvaient être atteints sans qu’un seul missile Tomahawk soit tiré.
Après avoir adopté la soi-disant « voie diplomatique », Obama et ses collaborateurs se sont efforcés d’expliquer que la guerre restait fermement à l’ordre du jour. Obama lui-même a souligné que l’accord conclu à Genève n’avait été possible que grâce à une « menace crédible de la force américaine, » en déclarant « Si la diplomatie échoue, les Etats-Unis sont prêts à agir. »
Quant à Kerry, il a clairement fait comprendre que les Etats-Unis jugeraient eux-mêmes si le régime d’Assad se conformait ou non à l’accord sur les armes chimiques et décideraient d’une action militaire en conséquence. En l’absence d’une sanction de l’ONU, les frappes militaires seraient « décidées par le président des Etats-Unis et les alliés qui partagent les mêmes idées, s’ils étaient d’avis que c’était la voie à suivre. »
Il est également évident que la Maison Blanche ne fera probablement pas deux fois la même erreur de s’adresser au Congrès en vue d’une approbation. Steny Hoyer du Maryland, le second dans l’ordre hiérarchique des démocrates à la Chambre des représentants a dit ce week-end à Bloomberg Television que ni lui, ni la dirigeante de la minorité démocrate de la Chambre des représentants ne « croient que dans ce cas le président a besoin de s’adresser au congrès et [donc qu’il] pourrait agir tout seul. »
Hoyer a toutefois ajouté que l’accord avec la Russie pourrait être utilisé pour aider à vendre une guerre au Congrès. « Les gens diraient, ‘bon, il a fait un effort supplémentaire, il a cherché à consulter les gens, il a pris la voie diplomatique comme les gens le lui avaient demandé – mais cela n’a pas marché,’ » a dit Hoyer. « Et donc dans ces circonstances l’unique option, qui se présente à nous pour exclure un nouveau recours aux armes chimiques et pour tenter de dissuader la Syrie et de dégrader sa capacité de les utiliser, est d’agir. »
Tels sont, à n’en pas douter, les calculs politiques qui sont faits aussi par le gouvernement Obama. L’histoire ne présage rien de bon pour la Syrie. Deux autres dirigeants du Moyen-Orient avaient accepté de détruire leurs arsenaux d’armes chimiques, Saddam Hussein d’Irak et Mouammar Kadhafi de Libye. Leur pays ont dû subir les guerres des Etats-Unis en vue d’un changement de régime et ni l’un ni l’autre n’est en vie aujourd’hui.
L’accord américano-russe impose une série d’exigences à la Syrie qui sont, selon les experts en armes chimiques, littéralement impossibles à satisfaire. Alors que le traité sur les armes chimiques accorde aux nations 60 jours, après la signature de l’accord, pour rendre compte de toutes les munitions en leur possession, l’accord conclu à Genève donne à Damas une semaine. Et, alors que les Etats-Unis ont passé ces 18 dernières années à se débarrasser de leurs propres arsenaux d’armes chimiques, et planifient dix ans de plus pour y parvenir, la Syrie est supposée accomplir la même tâche en neuf mois.
Si l’échec à surmonter ces obstacles ne réussit pas à servir de prétexte à la guerre, il restera toujours la possibilité d’une nouvelle provocation à l’arme chimique, mise en scène par les « rebelles » menés par al Qaïda, pour accuser le régime d’Assad.
Les armes chimiques n’ont jamais été le motif d’une intervention militaire américaine directe, mais seulement le prétexte. L’histoire, promue par des médias à la botte du patronat et engagés dans la propagande de guerre, selon laquelle Washington n’était qu’un témoin horrifié de la guerre civile en Syrie et uniquement préoccupé par le bien-être des civils sans défense, est un mensonge pur et simple. L’impérialisme américain est le principal instigateur de cette guerre, ayant octroyé l’équivalent d’environ un quart de milliard de dollars d’aide dans l’insurrection et coordonné des sommes encore plus considérables de fonds et d’armes en provenance des monarchies sunnites réactionnaires d’Arabie saoudite et du Qatar, leurs principaux alliés dans le monde arabe.
A présent, la CIA a commencé à former et à armer directement les « rebelles », un assortiment d’islamistes, de criminels et de mercenaires qui ont ravagé le pays. C’est la série de défaites militaires subies par les forces interposées de Washington, à commencer par la perte en juin dernier de la ville d’al-Qusayr qui ont fourni le réflexe immédiat pour l’invocation par les Etats-Unis de la « ligne rouge » des armes chimiques et la course à la guerre. Après avoir récolté l’inimitié de vastes sections de la population syrienne en raison de leur effusion de sang et de leur idéologie islamiste rétrograde, les forces soutenues par la CIA étaient sur le point de subir une défaite.
Plus fondamentalement, la guerre orchestrée en vue d’un changement de régime en Syrie fait partie d’une stratégie de Washington d’asseoir son hégémonie sur le Moyen-Orient riche en pétrole et, de manière plus générale, sur le crucial continent de l’Eurasie. Le gouvernement Obama est en train de poursuivre les mêmes objectifs prédateurs que ses prédécesseurs en Afghanistan et en Irak en cherchant à utiliser la supériorité militaire de l’impérialisme américain comme moyen de contrer son déclin économique. L’intervention en Syrie vise non seulement le régime de Damas, mais aussi à briser dans la région le pouvoir et l’influence de l’Iran, tout comme celui de la Russie et de la Chine.
Une force de frappe navale américaine et une flotte russe sans cesse grandissante continuent de se livrer à un face à face en Méditerranée orientale.
L’accord américano-russe sur les armes chimiques syriennes n’annonce nullement une nouvelle ère de paix. Il ne s’agit que d’un nouvel épisode dans l’escalade de provocations militaires et de menaces de guerre semblables à celles qui avaient précédé la Première et la Seconde Guerres mondiales.
Le risque d’une extension régionale de la guerre et d’une nouvelle conflagration mondiale ne peut être écarté que par la classe ouvrière internationale mobilisant sa force indépendante dans une lutte unie contre le capitalisme.
Bill Van Auken
(Article original paru le 16 septembre 2013)