Bonjour,
"Si l’Europe est « dans l’impasse », c’est qu’elle n’envisage qu’une seule voie ; si elle est « en crise », c’est qu’elle souffre de schizophrénie."
"Schizophrénie", voilà un bien grand mot. Pourquoi ne pas parler plutôt de duplicité pure et simple ? Dès le traité de Rome en 1957, le ver était dans le fruit. Il s’agissait dès le début de remplacer la souveraineté issue, dans le cadre national, du suffrage universel, par une souveraineté supra-nationale à l’abri des accès de "populisme irrationnel" du peuple, jugé par définition incapable de s’occuper lui-même de ses propres affaires. En fait, la construction européenne a été conçue dès 1957, dès le traité de Rome, comme un moyen de démanteler méthodiquement, dès que l’occasion s’en présenterait, les droits sociaux accordés dans la plupart des pays ouest-européens (Royaume-Uni avec Attlee, 1945-1951 ; France avec la coalition communistes-socialistes-gaullistes, 1944-1947). Elle s’inscrit de ce fait dans un effort plus large, initié dès 1947 par certains ultras libéraux comme Hayek autour de la Société du Mont-Pélerin (fondée en 1947), pour pouvoir préparer méthodiquement leur revanche face à l’institution après la Seconde Guerre mondiale de l’"Etat-Providence", qu’ils considéraient comme une défaite personnelle. (Voire à ce sujet "Le Grand Bond en Arrière", de Serge Halimi, 2006.)
Les dirigeants européens sont tout sauf idiots. Ils ont toujours été parfaitement conscients, depuis le début, que leur démarche serait impopulaire, et pour cause : la finalité de toute la "construction" européenne, consiste, depuis le début, à retirer méthodiquement aux populations des droits sociaux et politiques qu’ils avaient conquis à la suite de luttes dures, parfois même sanglantes. Une seule fois, intoxiqués par leur propre rhétorique, ils se sont laissés aller à croire que le peuple avait fini par se rallier à leur vision des choses : c’était en 2005, lors des référendums français et néerlandais. Le retour brutal à la réalité qui s’en est suivi - pour eux - les a endurci dans leur volonté de poursuivre coûte que coûte, et quoi qu’en pense la population, cette gigantesque entreprise de spoliation politique et sociale, qui, par son ampleur et sa durée, n’a jamais eu aucun équivalent dans l’histoire de l’humanité. L’expérience a montré que dans des telles circonstances, les puissants n’ont jamais été arrêtés que par ceux qui ont leur dénié radicalement toute forme de légitimité, et ont mis leurs actes en accord avec leurs paroles, par la violence et au péril de leur propre vie s’il le fallait.