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Une balle dans le ventre

Un homme cheminait avec son fils de sept ans. Tout à coup arrive une jeep militaire. On chasse l’enfant, on emmène le père. Quelques heures plus tard, les voisins racontent qu’il a été tué. On lui a tiré une balle dans le ventre alors qu’il était assis par terre, menotté. « Il a tenté de saisir l’arme d’un soldat de l’armée israélienne » constitue la version officielle. Comment un homme menotté peut-il saisir une arme ? Peut-être avec les dents. Grotesque. En tout cas, la Division d’Investigation Criminelle mène l’enquête.

A l’ombre de la guerre à Gaza, les réservistes ont dû penser que tout était permis. Sous son inspiration, on peut, et peut-être même le faut-il, tuer des innocents, y compris en Cisjordanie. Sous le couvert de la guerre, ils ont pensé qu’il était aussi permis de tuer un Palestinien qui a les mains attachées par des menottes en plastique ; car il est toujours possible de prétendre qu’il a tenté de se saisir de leur arme, même s’il était entravé par des menottes dont il n’y a quasiment aucun moyen de se libérer. Une balle dans le ventre, tirée à bout portant. Elle a mis fin à la vie de Yasser Temeizi, qui aura travaillé en Israël durant toute sa vie d’adulte et, cette dernière année, au sein de la société Charash à Ashdod. Porteur d’un permis de travailler en Israël, ce jeune père n’avait jamais eu maille à partir avec l’armée israélienne.

Les soldats l’ont arrêté sans raison, ils l’ont frappé sans raison sous les yeux de son petit garçon, pour finalement le tuer. Un mois et demi après cet incident révoltant, la Division d’Investigation Criminelle en est toujours à mener son enquête. Une investigation qui aurait pu être bouclée en une heure et qui s’éternise. Comme d’habitude, aucun Palestinien n’a été interrogé. Comme d’habitude encore, aucun soldat n’a été arrêté, et bien sûr personne ne le sera. Une balle tirée à bout portant dans le ventre et qui tue.

Les réservistes qui ont tué Yasser Temeizi ont apparemment déjà été démobilisés. Peut-être sont-ils rentrés chez eux, le coeur léger et riches de l’expérience de leur service de réservistes. C’est vrai qu’ils n’ont pas participé à la guerre à Gaza, mais eux aussi ont tué, et comment ! Pourquoi non ? Voici, histoire de leur rendre service, le récit et le bilan de leur acte, dont de hauts officiers de l’armée israélienne ont déjà déterminé qu’il s’agissait « d’un incident grave » impliquant « une série de manquements graves ».

à‚gé de 35 ans, habitant la bourgade de Idna, à l’ouest d’Hébron, époux de Haife, père de Firas, sept ans, et Hala, deux ans, Yasser Temeizi était un travailleur dévoué et diligent. Cela faisait 15 ans qu’il partait chaque matin travailler en Israël. Ces derniers mois, il travaillait à Ashdod, dans la société Charash qui assemble des structures de chargement pour camions. Sur sa dernière feuille de paie : « Catégorie de travailleur : autonomie », c’est dit dans la langue de l’occupation. Montant du paiement : 3935,73 shekels [745 €].

Quand la guerre a éclaté à Gaza, ses employeurs lui ont demandé de ne pas venir travailler avant un cessez-le-feu. Mais il faut nourrir la famille, alors Yasser Temeizi se rendait au « marché d’esclaves » de Kiryat Gat, dans l’espoir de trouver un job d’un ou deux jours. Et c’est encore ce qu’il a fait le matin du 13 janvier.

Ehoud Barak tentait, ce jour-là , de faire avancer un « cessez-le-feu humanitaire » d’une semaine, les paras progressaient en direction de la ville de Gaza, un septième membre d’une équipe médicale palestinienne était tué par nos forces et Jimmy Carter publiait son article : « Une guerre superflue ».

Ce matin-là , à cinq heures et demie, Yasser Temeizi est parti pour Kiryat Gat, son permis de travail en poche. Aux alentours de neuf heures et demie, n’ayant pas trouvé de travail, il est revenu. Sa mère, Naife, lui a préparé un repas léger, puis il a proposé à son fils, Firas, de l’accompagner jusqu’à l’oliveraie familiale située à environ trois kilomètres à l’ouest de leur maison, à quelques centaines de mètres à l’est de la clôture de séparation, à l’intérieur des Territoires [occupés].

Ils ont chargé l’âne d’une bouteille d’eau et de nourriture puis se sont mis en route pour le lopin familial. S’il n’y a pas de travail en Israël, au moins ils s’occuperont des oliviers. Arrivés sur place, ils se sont mis au travail. Tout à coup, une jeep militaire est arrivée et quatre soldats en sont sortis. Le petit Firas les a vus s’approcher de son père. Très vite, il y a eu un échange de mots. Firas ne comprend pas l’hébreu, une langue que son père maniait très bien, et il ne savait donc pas sur quoi portait la polémique. Peu après, il a vu les soldats faire tomber son père par terre, sur le dos, puis lui attacher les mains dans le dos.

Les soldats ont ordonné à Firas de s’en aller chez lui. Son père le lui a dit aussi et le petit garçon, terrifié, s’en est allé à pied en direction de la maison, à plus d’une heure de marche de là . En chemin, dit-il, il s’est fait attaquer par des chiens et ce sont des bergers, des voisins, qui l’en ont sauvé. C’est la dernière fois que Firas a vu son père en vie. A terre et menotté, mais en vie.

Des témoins oculaires ont raconté au père de Yasser, Saker, un vieil homme portant le keffieh, avoir vu les soldats donner des coups de pieds à son fils qui était menotté et avait les yeux bandés. Les témoins ont tenté d’intervenir mais les soldats les ont chassés en les menaçant de leurs fusils. Moussa Abou-Hashhash, un enquêteur de B’Tselem, dispose de témoignages concordants. Finalement, selon les témoins, les soldats ont fait monté Yasser Temeizi dans la jeep et ils sont partis. C’était la dernière fois que des Palestiniens le voyaient en vie. Menotté, yeux bandés, mais en vie.

Entre temps, Firas était arrivé chez lui où il a raconté que son père avait été arrêté. A la maison, on ne s’en est pas inquiété outre mesure : un Palestinien qui se fait arrêter pour rien, c’est la routine. On était persuadé que Yasser serait libéré rapidement et qu’il rentrerait. Il a en effet tous les permis et jamais il n’a été impliqué dans quoi que ce soit. Les heures passaient, c’était déjà l’après-midi et Yasser n’était toujours pas rentré. Vers quatre heures, des voisins sont arrivés, racontant que Yasser avait été tué et que son corps se trouvait à l’hôpital al-Ahli d’Hébron.

Moussa Abou-Hashhash a filé à l’hôpital où il a vu le corps. Il témoigne avoir vu des marques de liens aux poignets. La balle était entrée dans le ventre et ressortie par la cuisse. Selon les experts, c’est l’indice que Yasser Temeizi a été abattu alors qu’il était assis. A bout portant. Le corps a été autopsié à l’institut de pathologie d’Abou Dis et Moussa Abou-Hashhash a obtenu les résultats de l’autopsie. La mort serait due à une hémorragie prolongée. Yasser Temeizi n’était pas mort à son arrivée à l’hôpital. Il aurait apparemment été possible de le sauver si des soins médicaux lui avaient été dispensés à temps.

Dix jours plus tard, Youval Azoulay publiait dans Haaretz un article sur ce cas. Il apparaît que peu de temps après cette mort, une enquête de l’armée a été menée avec la participation du commandant de division, le brigadier-général Noam Tivon et le commandant de la brigade, le colonel Oudi Ben-Moha, qui a amené à soupçonner « une série de manquements » de la part des soldats réservistes qui ont tué Yasser Temeizi.

Celui-ci a effectivement été amené au checkpoint de Tarkoumia et de là emmené à une base voisine. Ils l’ont tué à l’intérieur d’une pièce, sans témoins, après qu’il ait, selon leurs dires, tenté de saisir leur arme. Nul n’explique comment un Palestinien menotté peut se saisir d’une arme ni pourquoi la réaction immédiate consiste à tirer à balle réelle et à bout portant. Des responsables de l’armée ont fait savoir au journaliste Youval Azoulay que « le traitement de ce cas, en particulier au niveau de l’appel d’une assistance à un blessé, témoigne de ce qu’il y a eu des manquements graves. Il s’agit d’un incident grave et on ne peut se débarrasser de l’impression que si des soldats d’active avaient été sur place, cela ne serait pas arrivé. Les réservistes ne sont tout simplement ni compétents ni entraînés pour des scénarios de ce genre ». Des scénarios ? Entraînés ? Faut-il et est-il possible d’être entraînés à des situations pareilles ? Sur quoi doit porter l’entraînement ? Sur le fait qu’on ne tire pas sur un homme menotté ? Et qu’en présence d’un blessé, on fait immédiatement appel aux premiers soins ?

Le porte-parole de l’armée nous a communiqué cette semaine, un mois et demi après l’incident : « L’affaire fait l’objet d’une enquête menée par la Division d’Investigation Criminelle. Dès sa clôture, ses conclusions seront soumises à l’avis de l’Avocat Militaire. »

A Idna, le petit Firas rentre chez lui, portant sur le dos un sac bleu de l’UNICEF. De sa petite voix douce, il déroule l’histoire du dernier jour de papa. L’enfant raconte le trajet à dos d’âne jusqu’à l’oliveraie, les soldats qui jettent papa à terre sous ses yeux et son retour, seul, à la maison, avec les chiens qui lui aboyaient dessus et le fait qu’il avait peur. « Après, on m’a dit que papa était mort », dit froidement l’enfant chez qui les signes de traumatisme sont encore parfaitement reconnaissables.

Pour information aux soldats qui tuent un homme menotté et pour information à leurs commandants et à leurs enquêteurs.

Gideon Lévy

Haaretz, 27 février 2009

www.haaretz.co.il/hasite/spages/1067229.html

Version anglaise : ’They told me daddy died’ - www.haaretz.com/hasen/spages/1067254.html

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

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