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Le monde politique est impuissant, otage de la dictature des marchés financiers.

Vers la fin de la société ?

Nous acceptons difficilement de regarder la réalité en face. Nous préférons souvent nous persuader, sans en être totalement convaincus, que tout ce à quoi nous avons été attaché dans le passé est toujours présent et le sera encore demain. Ainsi, nous croyons que ce que nous nommons communément société existe encore.

Bien sûr, nous entendons dire que nous sommes gouverné désormais par une oligarchie, que l’Etat partout se désengage de ses missions traditionnelles , que les citoyens ne sont pas consultés à propos des affaires sérieuses de la Cité. Mais, sous ces arguments pertinents nous espérons pouvoir encore distinguer une société attendant son heure pour redevenir pleinement elle-même. Affirmons-le enfin : cet espoir n’est plus de mise. La société est en voie de disparition. Le principal agent de cette disparition est l’abandon de l’intérêt général au profit de la satisfaction d’intérêts particuliers à la puissance chaque jour renforcé. Lutter contre la disparition de la société devrait être la seule préoccupation de la prochaine élection présidentielle.

La société est un corps éminemment complexe se dotant, tout au long d’une histoire mouvementée, d’organes de gouvernement et de régulation normalement chargés de renforcer la cohésion sociale. L’idée de société s’oppose donc à celle de la simple addition d’individus occupés à la seule recherche de satisfaction de leur intérêt personnel ou de celui de leurs proches. Les sociétés dignes de cette définition - qu’il est erroné de croire trop ambitieuse - sont celles qui réussissent à développer le « vivre ensemble », ce concept si facilement méprisé par les chantres de l’autorégulation sociale. Pour satisfaire une telle exigence encore faut-il que la société soit capable de faire vivre un principe fondamental : l’intérêt général. C’est à l’Etat de le définir et de le faire accepter par le corps social dans son entier. Deux condition au moins sont nécessaires à cela : que l’Etat dispose de toute sa légitimité auprès du corps social et que celui-ci ait gardé en lui la volonté de solidarité envers les plus démunis. Le moins que l’on puisse dire est que ces deux conditions ne sont plus remplies en France aujourd’hui.

Ce que l’on pouvait nommer hier, avec une certaine fierté, « le modèle social français » est désormais attaqué de toutes parts. Construit pour l’essentiel au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il reposait sur des politiques publiques se donnant les moyens de leur ambition. C’était avant l’avènement du néolibéralisme, avant que la plupart des hommes politiques ne décident que le Marché devait s’emparer progressivement de bon nombre des anciennes prérogatives de l’Etat, pour une meilleure efficacité économique et financière comme ils s’en disent convaincus. Au bout de trente années de ce glissement - longtemps sournois, maintenant débridé- le monde politique est devenu impuissant, otage qu’il est de la dictature des marchés financiers. Nous rendons-nous réellement compte de la folie qui tourmente notre société : les agences de notation nord-américaines évaluent désormais jusqu’aux performances financières de la Sécurité Sociale et de la plupart de ce qu’il nous reste de services publics ! Retirer à notre système de protection sociale son « triple A » relèverait de la triple C. Et triplera la misère !

De « providentiel » l’Etat est devenu répressif et destructeur. On ne pousse pas dans l’insécurité sociale les moins armés pour affronter « la compétition de tous contre tous » sans faire naître des risques de délits intrinsèquement liés à cette insécurité, lien que l’on fait mine d’ignorer. On réprimera de plus en plus durement ces délits « socialement déclenchés » d’autant plus facilement que l’on en dissimule la cause et qu’il faut bien tenir en respect tous ceux que l’on suspecte de pouvoir passer à l’acte un jour prochain. L’Etat social fait place petit à petit à l’Etat pénal. Pour donner libre cours à sa nouvelle « vocation destructrice » l’Etat s’est doté d’une machine de guerre nommée RGPP. Cette Révision générale des politiques publiques est en réalité un rabougrissement généralisé des prérogatives publiques. La volonté affichée d’évaluer les politiques publiques pour les rendre plus efficaces est une mascarade, n’est qu’une opération de communication pour citoyens non avertis. L’impact social de ces politiques n’est plus mesuré depuis longtemps. Le bilan n’est pas fait des nombreuses réformes successives engagées dans les divers domaines d’intervention de l’Etat. Des cabinets d’audit privés évaluent financièrement - avec les critères que l’on imagine - chaque mission pour les décréter trop coûteuses le plus souvent. On confie ensuite ces missions à des agences de droit privée, telle l’Agence du médicament, chargées de « réguler » grâce à leurs experts inféodés aux firmes privés, le domaine qui leur a été concédé. Il existe aujourd’hui en France près de 650 agences de ce type. Le scandale du Médiator devrait pourtant inciter à une remise en cause de cette façon qu’a la puissance publique d’abdiquer de ses missions d’intérêt général.

Partout on casse ce que la société avait patiemment bâti pour atténuer ou compenser les effets pervers du fonctionnement de l’économie. Une idéologie mortifère est à l’oeuvre où les victimes de la sauvagerie du système économico-financier deviennent coupables. Coupables d’être trop coûteux pour la collectivité que l’on ne se donne plus la peine de définir autrement qu’en termes strictement budgétaires. Les pauvres et les chômeurs sont dénoncés comme les premiers responsables de leur pauvreté et de leur chômage. L’Etat et la société telle qu’elle devient n’aiment plus les fonctionnaires. Grâce à la loi « mobilité » on va enfin « dégraisser le mammouth » : le licenciement des fonctionnaires sans motif est désormais possible. Demain le fonctionnaire ne sera plus attaché à un corps et pourra être déplacé au gré de l’évolution capricieuse des besoins définis budgétairement. Ainsi, les enseignants ne resteront pas nécessairement enseignants. Bientôt ils ne seront plus évalués sur leurs qualités pédagogiques mais sur leur capacité à entrer dans un cadre de compétences définies en dehors de la nécessité absolue de dispenser dans les meilleures conditions possibles leurs connaissances acquises au cours d’un long parcours. N’est-il pas temps de sortir de cette spirale infernale par laquelle sont broyées des vies et des volontés. La Droite ne le fera évidemment pas. La Gauche « de gouvernement » ne semble pas s’apprêter à le faire. Sombre perspective !

Yann Fiévet

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COMMENTAIRES  

27/12/2011 01:33 par frédéric constantinou

Bien vu .............. le général doit se retourner dans sa tombe à voir où la "France" ( ou plutôt la corbeille !) en est rendue et où elle s’en va.....
Sniff !

27/12/2011 10:40 par Pascal

Bravo pour votre vision claire et lucide. Chaque citoyen devrait pouvoir avoir la même vision que la votre. J’espère qu’elle sera lue et comprise par beaucoup de gens.

28/12/2011 23:45 par alain

non, la somme des individus ne forment pas un ensemble qui fait sens. Sans vouloir débiter un lieu commun du genre "les gens sont trop individualistes", il faut reconnaître que nos société de jouisseurs arrivent en bout de course. La plupart des gens font encore l’autruche et pour ceux qui comme moi ont compris que la chute était imminente ça nous fait une belle jambe. Que faire ? rien, c’est trop tard ! Il faut juste espérer survivre a ce qui va arriver en espérant que des jours meilleurs reviendront.

02/01/2012 00:00 par CD

Yann, ton texte m’inspire le propos qui suit :

Le contrat social entre le peuple-classe et la classe dominante n’existe plus.

Et sans doute depuis longtemps ! En effet quel "vivre ensemble" sous le capitalisme néolibéral ? Certes bourgeois, petits-bourgeois et prolétaires apprécient les paysages, le bon pain et le bon vin de France mais guère le "partage des miettes" du banquet des riches.

Mon propos initial est encore imprécis. Déjà du temps de l’Etat social, grosso modo entre 1945 et 1975, ce "contrat social" était largement de dupe. Il était fondé sur la spoliation du Tiers-Monde et sur la pression des pays de l’Est. Ces derniers poussaient les capitaliste à l’institution de droits sociaux. Malgré tout, ce contrat social existait et on peut dire qu’il est structurant dans l’imaginaire populaire. Ce serait-ce que a minima comme une société plus juste est possible.

Maintenant comment vouloir "faire société" avec une domination aussi renforcée de la bourgeoisie contre le peuple-classe ? On ne peut pas faire sécession mais seulement pousser à des transformations sociales importantes.

Si le terme "société" est englobant celui d’intérêt général l’est aussi. Il permet de couvrir des intérêts catégoriels et disant cela je ne pense pas à ceux de diverses professions mais plus aux grands possédants. La notion d’intérêt général était en effet le masque de l’intérêt des dominants. C’est le rapport des forces qui permettaient une meilleure répartition de la plus-value. L’affaire est encore plus évidente aujourd’hui.

Le rare champ ou cette notion d’IG pouvait avoir quelque pertinence était le service public car ce dernier n’était pas orienté vers la satisfaction des profits mais vers la satisfaction des besoins sociaux, vers la valeur d’usage pour le dire autrement. Avec la montée en force du néolibéralisme l’intérêt général au sein des services publics s’est amenuisé et ce qui en reste a été perverti. Il sert les grandes entreprises et les gros actionnaires.

La cohésion sociale est devenue fracture sociale. Il y a même un immense fossé entre les riches et le reste de la société. Il y a bien sûr une autre distinction celle des très riches (2%) qui sont membres de la classe dominante et en-dessous les "aisés " (la petite-bourgeoisie) que F Hollande voyait au-dessus de 4000 euros net par mois. Dans ce cadre "Solidarité avec les plus démunis !" sonne comme simple accommodement à un système économique injuste. Cela sonne plus caritatif que réelle répartition des richesses. La gauche PS a su un temps donner un RMI aux pauvres tout en préservant les riches et en taxant les couches moyennes.

Par ailleurs je suis OK avec toi.

Christian DELARUE

04/01/2012 20:25 par DELFAUD

C’est au Peuple Français de reprendre le Pouvoir en main, de balayer tous ces stratèges ignobles.C’est à lui de gérer le Pays, pour son bien, en se responsabilisant dans un projet d’une mise au point d’une 6° constitution avec des élus désignés par lui et contrôlés par lui. Nous savons bien que le Pouvoir corrompt. Dès qu’il y a dérive, l’élu doit être remplacé car il trompe le Peuple est n’est plus crédible. Le Peuple doit constamment être maître de ses décisions, c’est lui et lui seul qui peut les modifier et les mettres en application et s’en assurer la bonne exécution. Et c’est tous ensemble, qu’on pourra y parvenir et stopper ce gachis d’argent pour ce 1% de gens afin d’effectuer une juste répartition des richesses aux travailleurs qui les crééent pour le bien des enfants, pour le bien des familles qui en définitive sont le Peuple.

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