RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Vive le Che !, par Jean Ortiz

En exergue de ce livre de braises, Jean Ortiz cite Marx (« Le révolutionnaire doit être capable d’entendre l’herbe pousser »), Hugo (« Une révolution est un retour du factice au réel ») et Char (« celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience »).

Le temps passe : il y a exactement un demi siècle, Ernesto “ Che ” Guevara était assassiné sur ordre de la CIA, au bout d’un combat qui s’était transformé en calvaire. Dans une magnifique préface, le poète toulousain Serge Pey relate que Mario Terán, le tueur dont les sbires étasuniens avaient armé le bras, avait dû boire de l’alcool de maïs pour « faire le crime », contre une montre et un voyage à West Point. Mais l’histoire ne s’arrêta pas là. Terán vécut sous une autre identité et, en 2007, il fut opéré – gratuitement bien sûr – de la cataracte par des médecins cubains. Son fils tint à remercier, dans les colonnes d’El Deber de Santa Cruz, les médecins qui avaient rendu la vue à son père dans un hôpital offert par Cuba et inauguré par le président Evo Morales. Il est des héros et des révolutions qui ne mourront jamais dans le cœur et les yeux des humains.

Une des raisons pour lesquelles Ortiz a souhaité écrire ce livre est qu’en cette ère de capitalisme financier assurant son hégémonie par une idéologie totalitaire, il faut combattre « l’inversion totale du sens par le système néolibéral, riposter à l’anéantissement des contenus par la politique spectacle et le marketing politique ». Il fallait rappeler que Guevara n’était pas “ que ” – même si c’était déjà beaucoup – la photo de Korda.

Lorsque le Che, Fidel et leurs compagnons entament la lutte armée contre le pouvoir sanglant, infect et corrompu d’un Batista qui, avec l’aide de la CIA, avait interrompu le processus démocratique qui devait amener une équipe progressiste au pouvoir, l’île compte 500 000 enfants privés d’école et un million d’adultes illettrés (en un an, grâce à une campagne saluée par l’UNESCO, l’analphabétisme aura complètement reculé). 90% de la population des campagnes est dénutrie. 13 des 22 latifundios de canne à sucre appartiennent au grand voisin du nord. Celui de la Cuban Atlantic Sugar Company (fondé en 1935) a la taille d’un département français. Ortiz rappelle qu’il faut toujours « contextualiser » ce dont on parle. Se souvenir – pour savoir d’où vient la violence originelle – que, dès mars 1960, le président Eisenhower donna le feu vert à une puissante opération de déstabilisation de Cuba, qui commença par l’explosion criminelle du cargo français La Coubre, bourré d’armement acheté à la Belgique, qui fit 75 morts et 200 blessés. C’est lors des obsèques des victimes qu’Alberto Korda prit la célébrissime photo du Che.

L’impérialisme étasunien n’oubliera jamais sa première défaite en Amérique latine dans la Playa Girón de la Baie des Cochons. Le 3 février 1962, Kennedy instaura un blocus économique total de l’île, au mépris du droit international.

Ortiz qualifie Guevara – par ailleurs médecin dans le civil – d’« intellectuel communiste de haut niveau, de penseur marxiste, de “ guerillero ” de la pensée et de l’action ». Il ancre son communisme dans Marx et Lénine, mais aussi dans les actions et les écrits de José Martí. Ainsi que dans ceux de Gramsci et, naturellement, de Castro. Dans sa très belle lettre d’adieu à Fidel en 1965, il le remerciera pour ses conversations très nourries.

Guevara repèrera très rapidement la spécificité de la révolution cubaine, le fait qu’elle soit « sorti du moule orthodoxe courant ». Il pense ainsi que la tentative de l’URSS de “ rattraper ” les Etats-Unis ne peut être un objectif révolutionnaire, qu’il faut faire « autre chose ». Dans ses Notes critiques d’économie politique, il remet en cause le socialisme d’État de l’URSS, l’habitude soviétique de « considérer comme des “ lois ” des évolutions historiques spécifiques ». Son Discours d’Alger du 24 février 1965 est un discours de rupture dans lequel il accuse l’URSS de complicité avec les États-Unis dans l’exploitation des peuples du Tiers-Monde. Mais Ortiz relève que Guevara était communiste avant Castro, « marqué par ses périples à travers le continent, ses contacts avec les travailleurs, l’influence de son père ».

Bien sûr, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. L’auteur ne cèle pas la période de l’épuration, de l’élimination des tueurs à la solde de Batista qui, en sept ans, avaient assassiné 20 000 Cubains. L’épuration guevariste (Fidel l’avait chargé de cette besogne qu’il accomplit dans les règles judiciaires) fit 500 victimes (9 000 en France après 1945). Les tribunaux révolutionnaires furent fermés le 1er décembre 1959.

Le Che n’est pas parti pour la Bolivie (après 40 heures de discussion avec Fidel dont on ne sait toujours rien) pour « prendre le pouvoir » mais pour créer une base pour des guérilleros avant de les introduire au Venezuela, au Pérou et en Argentine. Il écrit ensuite à son compagnon d’armes : « J’ai le sentiment d’avoir rempli cette part de mon devoir qui m’a lié à la révolution cubaine sur son territoire et je vous dis adieu à toi et aux compañeros, à votre peuple qui est déjà le mien. » Ortiz explique le fiasco de l’expédition par son « enfermement », par le fait qu’un « Blanc » ne pouvait entraîner le soutien des Quechuas, des Amayras, des populations qui avaient résisté à la colonisation et « se méfiaient de toute greffe extérieure ” occidentale ” ».

Comme le disait le sociologue marxiste Michæl Löwy, quand le Mur de Berlin est tombé, il n’est pas tombé sur le Che car sa figure révolutionnaire reste présente dans l’imaginaire rebelle. Son engagement, précise Jean Ortiz, fut « sincère, désintéressé, absolu ». Tous ceux qui eurent 20 ans en 1968, mais qui ont changé de trottoir, ont pris un coup de vieux. Pas Ernesto Guevara qui, bien qu’il ait été vaincu, « garde aujourd’hui tout son incandescence ».

Bernard GENSANE

Préface de Serge PEY (Grand prix national de poésie 2017).
Paris : Les Editions Arcane17. Juin 2017. 243 pages, 20 euros.
Chez votre libraire ou, pour réception postale : Librairie L’Autre Rive de Toulouse : Téléphone / Fax : 05 61 31 92 65
Mail : lautreriv@orange.fr

URL de cet article 32029
  

Même Auteur
Maxime Vivas : le gai Huron du Lauragais
Bernard GENSANE
C’est sûrement parce qu’il est enraciné dans les monts du Lauragais que Maxime Vivas a pu nous livrer avec ce roman une nouvelle version de l’ébahissement du Candide face aux techniques asservissantes censées libérer les humains. Soit, donc, un Huron né à des milliers de kilomètres de l’Hexagone, sur l’àŽle Motapa, d’une mère motapienne et d’un père parisien. A l’âge de 25 ans, ce narrateur décide de voir Paris. Motapa est une île de paix, de sagesse, de tranquillité. La lave de son volcan charrie (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Al Qaeda est aux médias ce que Stéphanie de Monaco est à "Questions Pour Un Champion".

Viktor Dedaj

Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.