10 commentaires

Voici tout ce qui ne va pas avec le féminisme dominant.

Des médias comme MSNBC et Politico ont fait les manchettes enthousiastes avec des titres comme "Le complexe militaro-industriel est maintenant dirigé par des femmes" et "Comment les femmes ont pris le contrôle du complexe militaro-industriel". Apparemment, quatre des cinq meilleurs "entrepreneurs" de la défense américaine sont maintenant des femmes, dont je ne me donnerai pas la peine d’apprendre les noms ou d’en rendre compte parce que je m’en fiche.

Ces manchettes sont ridiculisées, et à juste titre, par les critiques de l’état d’esprit au sein de l’establishment et cette auto-parodie caricaturale du libéralisme d’entreprise. Presque tout dans le libéralisme américain se résume en fin de compte à promouvoir le meurtre de masse, l’exploitation et l’écocide à des fins lucratives tout en brandissant des banderoles "Ouais, Vive la diversité !" pour que la foule du politiquement correct puisse se sentir bien dans sa peau. Mais le fait que ces histoires existent et ont un auditoire illustre les échecs du féminisme dominant.

Beaucoup d’hommes (et parfois des femmes servilement sectaires) aiment se plaindre du féminisme moderne comme si c’était quelque chose qui blesse les hommes, menace les hommes, diabolise les hommes ou les prive de leur place dans la société ou de tout autre prérogative auquel ils auraient droit. Tout cela n’est que bêtise et caprice d’enfant pour la perte de contrôle des hommes sur les femmes, contrôle qu’ils n’auraient jamais dû avoir, pour commencer ; ce sont des maîtres qui se plaignent de perdre leurs esclaves. Ce n’est pas ça le problème du féminisme dominant. Ce qui ne va pas avec le féminisme dominant est parfaitement illustré dans ce défilé médiatique célébrant l’ascension des femmes au sommet de l’industrie la plus dépravée sur terre.

Le problème que le véritable féminisme cherche à résoudre n’est pas celui du nombre de femmes à la tête des entreprises, ni le fait que les Américains ont refusé en 2016 d’élire une femme pour bombarder, exploiter et opprimer. Le problème a toujours été que nous essayons de valoriser les femmes avec un système de valeurs créé par une poignée d’hommes très puissants. En laissant en place le système de valeurs créé par le patriarcat (c’est-à-dire le capitalisme), nous valorisons maintenant les femmes uniquement pour leur capacité à jouer à des jeux d’hommes. Personne n’est jamais devenu milliardaire en étant mère, même la meilleure mère du monde, et personne ne le sera jamais parce que le capitalisme a été conçu par les hommes, pour les hommes, pour valoriser les qualités des hommes. Ce qui a créé un déséquilibre menaçant pour les espèces parce que l’inégalité fait partie intégrante du système. Dans les années 60, lorsque les hommes ont autorisé à contrecœur les femmes à sortir de leurs cages-foyers, ils l’ont fait à la condition de ne pas changer. Les femmes pouvaient participer au jeu, mais ce sont elles qui devaient changer. Comme d’habitude.

Il est intéressant de revenir à des textes précurseurs comme "The Female Eunuch" de Germaine Greer et de voir combien à l’époque les féministes passaient de temps à réfléchir à la façon dont les femmes pouvaient être payées pour le travail domestique et l’éducation des enfants. Il y a cinquante ans, les féministes voyaient bien comment la violence financière sévissait dans le cadre du mariage parce que les femmes ne sont pas payées pour la majorité de leur travail. Ils comprenaient qu’il fallait corriger cela pour que les femmes puissent un jour être vraiment libres. Si vous n’êtes pas payé, vous ne pouvez pas partir, et si vous ne pouvez pas partir, vous êtes un esclave. Aujourd’hui, et malgré tous les acquis du féminisme, si vous osez suggérer que les femmes soient payées pour avoir des enfants, vous serez raillés. A un moment donné, il fut décidé que, d’accord, très bien, vous pouvez être un faux homme si vous le voulez, mais ne vous attendez pas à être valorisée pour autant. Les hommes ont refusé d’accorder de la valeur au travail des femmes, c’est pourquoi la plus grande partie de ce travail est encore essentiellement de l’esclavage. Ce fut une erreur cruciale et menaçante pour la planète.

En refusant de valoriser les femmes et les compétences qu’elles apportent naturellement, l’humanité a continué à ne pas valoriser le méta travail féminin. Nous avons continué à ne pas valoriser la santé de notre environnement, l’état de notre cohésion sociale, la santé mentale des uns et des autres. En refusant d’accorder une valeur absolue à l’environnement, à la santé, à la solidarité, à la redistribution des biens, au recyclage, à la collaboration et au bonheur, nous renforçons tous leurs contraires.

Beaucoup d’hommes rétorqueront qu’ils sont eux aussi esclaves de la corporatocratie, et c’est vrai. C’est ce que vous obtenez lorsque vous ne changez pas un système de valorisation qui a été créé par des propriétaires d’esclaves pour distraire leurs esclaves de les tuer et pour qu’ils continuent à travailler quand même. C’est ce que vous obtenez quand vous insistez pour que tout le monde change pour s’adapter à un système qui a été créé par le pouvoir pour maintenir le pouvoir en place. Nous rions des peuples autochtones qui ont été bernés à céder de vastes étendues de terres en échange d’une poignée de coquillages, alors que nous mêmes aujourd’hui offrons notre travail, nos terres, nos droits et nos libertés en échange d’une poignée de rectangles de papier.

Le vrai féminisme ne soutient pas que le monde serait mieux loti si les femmes dirigeaient ; passer d’un sexe à l’autre ne changerait pas grand-chose tant que le système actuel d’évaluation des valeurs demeurera en place. Le vrai féminisme soutient que toute l’humanité doit changer son système de valeurs pour un système qui récompense le travail féminin autant que le travail masculin, au lieu de récompenser seulement les femmes quand elles réussissent à gravir l’échelle du paradigme patriarcal.

Lorsque des femmes contrôlent le complexe militaro-industriel, ce n’est pas du féminisme, c’est de la masculinité toxique. C’est le fruit du système de valorisation qui pollue notre air, empoisonne notre eau, remplit les océans de plastique, rase les forêts tropicales et nous rapproche de l’Armageddon nucléaire. Le vrai féminisme, c’est se détourner d’un système de valeurs toxiques qui récompense les sociopathes les plus ambitieux, pour aller vers un système qui valorise l’empathie, la collaboration, l’éducation et la paix.

Caitlin Johnstone

Traduction "tant qu’on accordera plus d’importance à ce que l’on a entre les cuisses qu’entre les oreilles..." par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

 https://medium.com/@caityjohnstone/this-is-is-that-is-that-is-wrong-withh-mainstream-feminism-e6a23586569c
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COMMENTAIRES  

06/01/2019 11:10 par François

Merci Le Grand Soir

« La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent. »
Albert Einstein.

06/01/2019 15:20 par babelouest

(bref)
D’où la NÉCESSITÉ de tout démonétiser, pour que la valeur humaine remplace carrément la "valeur" de l’argent (surtout complètement dématérialisé). C’est vrai, c’est aussi renverser la table pour faire autre chose.

(vous avez entendu, aussi bien les capitalistes, que ceux qui font mine de les combattre tout en acceptant leurs armes ?)

06/01/2019 17:35 par Totote

Oui enfin il y a des courants dans le féminisme, et l’immonde féminisme libéral compatible et promu par le capitalisme n’est pas ce que j’appellerai du féminisme.
D’ailleurs la folie qui consiste à déclarer que se prostituer est un "droit" que les hommes qui se sentent des femmes sont des femmes et que le summum de la libération c’est d’être soumise dans des jeux sexuels SM sont quand même les trucs principaux que des journaux nous vendent en permanence comme du féminisme, alors que c’est tout l’inverse.

Sinon vous avez les féministes radicales, vous avec les féministes écologistes, les féministes véganes etc.

Confondre le féminisme libéral (qu’elle appelle dominant) avec le féminisme, c’est comme prétendre que le parti socialiste est de gauche. Lorsque vous lisez libération, le nouvel obs, etc. qui se revendiquent de gauche vous comprenez bien qu’on se fout de votre gueule. Ben le féminisme des journaux qui vantent la sodomie comme l’acte de libération ultime des femmes, c’est un peu la même chose.

06/01/2019 19:59 par Lecteur

Juste un bémol au commentaire précente, Albert n’a jamais eu à subir Windows, il aurait changé d’avis sur le sujet.
Vis à vis de l’article, la France a été précurseur avec ce féminisme à 100 balles, avec Anne Lauvergeon.
J’ai appris par hasard qu’elle était détestée par les gens du milieu du nucléaire, avec des paroles qu’"à elle seule, elle aurait fait plus de mal au nucléaire que tous les écolos réunis".
Moi, je la déteste non pas parce qu’elle serait incompétente, mais parce qu’elle est une femme justement, et d’une certaine prestance, qui utilise sa féminité justement à des fins de blanchiment des activités nucléaires, pour laisser entendre que même une femme du Monde, (bien élevée) peut gérer une telle industrie, la conscience tranquille. Je le surnomme la "ménagère du nucléaire", pour nous faire passer la pilule nucléaire.
Et cela a fonctionné, jusqu’au différentes catastrophes financières dont le nucléaire a le secret, de polichinelle.
Je pense que les femmes US citées dans cet article, sont issues de la même stratégie que Anne Lauvergeon, mais dans l’armement.
Aujourd’hui encore, elle est perçue comme une grande dirigeante d’industrie, elle a pas encore subie le supplice japonnais de Ghosn.
Dans le même genre d’opération de communication, on peut aussi utiliser des noirs à la place des femmes.
Je pense, mais je suis peut être mal placé pour juger, j’observe que sous Obama, la situation des noirs aux US n’a fait que se dégrader, et pas que pour les noirs, au point qu’il a pu ouvrir la porte de la Maison Blanche à Trump.
Il y a eu des bruits comme quoi la femme de Obama, pourrait être mis en face de Trump dans 2 ans ...
Comme ça, elle coche les 2 cases, femme et noir.

07/01/2019 13:35 par DEADMOCRACY

"Le vrai féminisme, c’est se détourner d’un système de valeurs toxiques qui récompense les sociopathes les plus ambitieux,
pour aller vers un système qui valorise l’empathie, la collaboration, l’éducation et la paix."

C’est un projet de société que l’on peut construire sans exclure les mâles, c’est-à-dire la moitié de l’Humanité, chère Madame.

07/01/2019 13:37 par legrandsoir

Elle ne dit pas autre chose, sinon on n’aurait pas pris la peine de traduire :-)

07/01/2019 16:55 par Yannis

Caitlin Johnstone, toujours pertinente sur les sujets de société, avec une hauteur de vue que je lui envie. Ce faux féminisme des miettes ou de l’identification aux codes masculins a par exemple pris en France cette horrible forme de l’écriture inclusive, que défendent d’ailleurs très mal dans leur pratique hasardeuse (et pour cause, elle est inapplicable selon les règles de grammaire précises et subtiles mais aussi synthétiques du français) ses promoteurs et suivistes aveugles.

Le Nom du Père, qui est une clef dans la quête-cure psychanalitique des femmes particulièrement (mais pas seulement, la rupture générationelle qui s’exprime actuellement entre babyboomers repus et triomphants et leurs descendants servilisés et à l’identité de plus en plus effacée, concerne en fait absolument les deux genres, et mème le troisième ou le quatrième..), n’a pas besoin de s’écrire avec des points et des e pour prendre tout son sens.

07/01/2019 18:36 par Jean-Yves LEBLANC

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je n’arrête pas de lire et de relire cet article de peur de ne pas comprendre son message tant il me paraît étonnant. Après toutes ces lectures, peut-être n’ai-je toujours rien compris mais j’ai l’impression qu’il donne un point de vue tout à fait rétrograde sur la femme et qu’il ne mérite pas les commentaires plutôt favorables qu’il suscite.

1) "Le patriarcat, c’est à dire le capitalisme"
"le capitalisme a été conçu par les hommes, pour les hommes, pour valoriser les qualités des hommes"
Cela est tout à fait faux. Le capitalisme est un système économique basé sur l’exploitation et le profit. Point barre. rien à voir avec le sexe masculin. Qu’il soit homme ou femme, le patron cherche le profit.

2) "Le problème que le véritable féminisme cherche à résoudre n’est pas celui du nombre de femmes à la tête des entreprises"
Faux. Le fait qu’une femme soit PDG d’une entreprise (quelque soit ce qu’elle fabrique, des chars ou des pampers) est bel et bien un signe de l’avancement du combat des femmes pour l’égalité tel que les progressistes l’ont toujours formulé : égalité des chances, égalité des salaires, égale possibilité d’accéder aux postes clé. Le caractère moral ou immoral des productions de l’entreprise et le jugement politique qu’on peut porter sur le métier de PDG n’entrent pas là en considération.

3) "Le vrai féminisme soutient que toute l’humanité doit changer son système de valeurs pour un système qui récompense le travail féminin autant que le travail masculin"
C’est là l’idée force du texte de C. Johnstone. Pour elle, il y a des valeurs et un type de travail typiquement féminin, "des compétences qu’elles apportent naturellement". Avoir des enfants, le travail domestique, l’environnement, le social, la santé .... C’est très sexiste et plutôt rétrograde. On n’est pas loin du ’Kirsche, Küche, Kinder’ d’antan à ceci près qu’elle suggère de valoriser et salarier Küche et Kinder.

08/01/2019 05:39 par babelouest

@ Jean-Yves Leblanc
Déjà un terme me saute aux yeux : "la tête des entreprises", car c’est là le plus souvent que le bât blesse. parce que cela fait intervenir LE TRAVAIL imposé par le système bourgeois. Œuvrer bien sûr, pour que "ça marche", pour tous, mais pas pour un patron, ou pire une entreprise anonyme. C’est bien là où il faut changer quelque chose : alors les gestes féminins reprendront tout naturellement leur place qu’ils avaient il y a très longtemps.

De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. Alors la notion même de profit disparaît, celle de thésaurisation personnelle également. Chaque geste, chaque chose aura une valeur "en soi", pas du tout une valeur monnayable, haïssable.

Cela n’a absolument aucun rapport avec le féminisme, bien entendu. Lui, est un élément pervers de la lutte des classes.

15/01/2019 22:29 par Santi

Si je suis très critique sur certaines formes de "féminisme" exacerbées et stigmatisantes, je dois dire cette fois-ci que cet article est très bien écrit. Bravo !

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