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De l’esplanade David Ben Gourion à la place Mahmoud Darwich

photo : association France-Palestine Solidarité

Bertrand Delanoë, dit « assumer » et « revendiquer » la création d’une promenade Ben Gourion à Paris, inaugurée le jeudi 15 avril en présence de Shimon Pérès. « Oui, Ben Gourion a été un chef de guerre, pour que cet État puisse vivre, pour qu’il puisse survivre », a déclaré fièrement le maire de Paris.

Le lundi 14 juin, c’est le même Bertrand Delanoë qui inaugure en présence de Mahmoud Abbas une place au nom du célèbre poète palestinien Mahmoud Darwich. Étrange coïncidence ; c’est en avril dernier que cette décision a été votée par le Conseil de Paris

Mahmoud Darwich, chantre de la paix mérite bien cet honneur posthume. Son oeuvre lui a déjà valu de nombreuses distinctions, dont l’Ordre national du Mérite (1993), le Prix de la liberté culturelle de la Fondation Lannan (2002) et le Prix Prince Claus (2004). Ses textes ont été traduits dans de nombreuses langues, il est reconnu comme l’une des grandes figures de la poésie contemporaine.

Nous pouvons comprendre M. Delanoë lorsqu’il déclare : « Je suis critiqué pour Ben Gourion comme je serai critiqué pour Mahmoud Darwich », mais ce qui est difficile à saisir c’est la concomitance des deux célébrations car, faut-il bien le rappeler, c’est au moment même de l’inauguration controversée de l’esplanade Ben Gourion qu’a été votée la décision concernant la place Mahmoud Darwich. On est alors en droit de s’interroger sur la signification d’une pareille synchronie. Cette promiscuité a-t-elle pour objectif de laver les mains ensanglantées du faucon sioniste ou sert-elle plutôt à éclabousser les vers du poète ?!

Il faut bien le reconnaître, dans ce clair obscur si caractéristique de l’atmosphère politique , monsieur le maire de Paris semble abuser de l’oxymore. On a du mal à comprendre selon quels critères, quelle échelle de valeurs a-t-on décidé d’honorer au même moment et de la même manière deux êtres aussi antinomiques :

« Les frontières des aspirations sionistes sont l’affaire du peuple juif et aucun facteur externe ne pourra les limiter... »
(Ben Gourion, « mémoires », discours en 1937).
« Dans mon écriture, je m’avoue l’enfant de plusieurs cultures successives. Il y a place pour les voix juive, grecque, chrétienne, musulmane. La vision adverse concentre toute l’histoire de la Palestine dans sa période juive. Je n’ai pas le droit de leur reprocher la conception qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils peuvent définir leur identité comme ils veulent. Le problème, c’est que cette conception de l’identité signifie la négation de celle de l’autre. »
(Mahmoud Darwich, La Palestine comme Métaphore)
« Après être devenus une force importante grâce à la création de l’État, nous abolirons la partition et nous nous étendrons à toute la Palestine. L’État ne sera qu’une étape dans la réalisation du sionisme et sa tâche est de préparer le terrain à l’expansion. L’Etat devra préserver l’ordre non par le prêche mais par les mitrailleuses. »
(Ben Gourion, discours de 1938)
« ...Ici, aux pentes des collines,
Face au crépuscule et au canon du temps
Près des jardins aux ombres brisées,
Nous faisons ce que font les prisonniers,
Ce que font les chômeurs :
Nous cultivons l’espoir... »
(Mahmoud Darwich, « État de siège », 2002)
« Nous devrions nous préparer à lancer l’offensive. Notre but c’est d’écraser le Liban, la Cisjordanie et la Syrie. Le point faible c’est le Liban, car le régime musulman y est artificiel et il nous sera facile de le miner. Nous y établirons un État chrétien, puis nous écraserons la Légion arabe, éliminerons la Cisjordanie ; la Syrie tombera dans nos mains. Nous bombardons alors et avançons pour prendre Port-Said, Alexandrie et leSinaï... »
(Ben Gourion, Recommandations devant l’ État Major Suprême, 1948)
Vous qui passez parmi les paroles passagères
portez vos noms et partez
Retirez vos heures de notre temps, partez
Extorquez ce que vous voulez
du bleu du ciel et du sable de la mémoire
Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
que vous ne saurez pas
comment les pierres de notre terre
bâtissent le toit du ciel
(Mahmoud Darwich, « Passagers parmi les paroles passagères »)

Cet hiatus profond, cette cacophonie assourdissante auraient été évités si les locataires de l’hôtel de ville n’avaient eu la malencontreuse idée d’immiscer cet intrus de poète dans le paysage parisien. Pourquoi rompre ainsi la parfaite harmonie de la capitale ?! N’aurait-il pas mieux valu qu’après avoir honoré Theodor Hertzel, Yitzhak Rabin, David Ben Gourion, réunir le reste de la famille ?! Monsieur Delanoë n’aura eu aucune difficulté à trouver suffisamment de places, de squares, d’avenues pour les gratifier des noms illustres de Begin, de Dayan, de Golda Mayer, d’Allon, de Pérès, de Barak, de Sharon, d’Olmer, de Tzipi Livni, de Natanyahu et même de celui d’Avigdor Lieberman !

Soutenir Israël dans les dix ans qui ont suivi les crimes nazis pouvait s’expliquer, mais continuer à le faire après plus de soixante ans d’apartheid, de racisme, d’épuration ethnique, de terrorisme d’état devient insoutenable sauf pour une partie de la classe politique française aveuglée par ses réminiscences coloniales et sa haine des arabes et des musulmans. Sinon en vertu de quelles valeurs se permet-on de ternir l’éclat de la ville lumière avec le nom de David Ben Gourion, ce colon venu des tréfonds de sa Pologne natale chevauchant un racisme hérité de ceux-là même qui l’ont persécuté, habité par cette haine de soi qu’il traduira en crimes de guerre. Oui, c’est bien Ben Gourion qui a créé Israël, mais sur les cendres de plus de quatre cents villes et villages autochtones et l’expulsion par la force des armes de la moitié du peuple palestinien hors de ses terres. Qui ne se souvient de sa phrase mémorable à propos des palestiniens chassés de chez eux : « Nous devons tout faire pour nous assurer qu’ils ne reviennent jamais... Les vieux mourront et les jeunes oublieront ».

Voyez-vous Monsieur Ben Gourion, si vous m’entendez dans l’au-delà , les vieux sont bien morts mais les jeunes n’ont pas oublié, loin de là , le monde entier est aujourd’hui témoin de la monstruosité de votre rêve insensé.

S’entêter à célébrer un tel symbole du sionisme après le massacre de Gaza ne peut avoir pour but que celui de narguer les victimes et toutes les voix qui s’élèvent à travers le monde contre cet État criminel. Les amis d’Israël veulent-ils désespérément redorer le blason de cette entité en perte de vitesse ?! est-ce le baroud d’honneur d’un combat d’arrière garde ?!

Il y a deux ans, la mairie de Paris refusait à Yasser Arafat ce qu’elle a octroyé à Ben Gourion. Pourtant, rien que la signature des accords d’Oslo lui valent bien une petite ruelle ! Ce que les amis d’Israël reprochent à Arafat c’est son charisme qui a fait renaître de ses cendres un peuple que l’occident a réussi à gommer magiquement de la carte. Après la création de l’entité sioniste et pendant plus de vingt ans les mots Palestine et palestinien ont systématiquement disparu du vocabulaire politique, diplomatique et médiatique occidental. Arafat a ébranlé tout l’édifice de la propagande sioniste du "peuple sans terre pour une terre sans peuple". Il est donc clair que tous ces élus de la droite et de la pseudo-gauche pro-sionistes n’accorderont jamais quoi que ce soit à ce symbole de la renaissance d’un peuple qu’on a voulu ensevelir vivant.

Mais alors pourquoi Mahmoud Darwich ? pourquoi a-t-on besoin d’un poète pour calmer tous ces esprits surchauffés, révoltés, scandalisés par une telle recrudescence de la propagande sioniste ?

Sans doute qu’au moment du vote, un bon nombre de conseillers se sont chuchotés que tout compte fait, un rimailleur inoffensif constitue le choix le plus pertinent et le moins risqué. Dans une société piétinée par le galop effréné de l’économique, tenue en laisse par une classe politique asservie, le culturel, isolé, aseptisé, morcelé, confiné dans les musées, les maisons de la culture et les émissions télévisées de fin de soirée se trouve irrémédiablement exclu des réalités sociales. C’est cette vision des choses qui a guidé les choix des élus. Pour eux, la consécration d’un homme politique équivaut à une légitimation de sa vision et un appui de son action qu’elle inscrit dans "l’actuel". La consécration d’un artiste correspond plutôt à sa momification puisqu’elle consiste à l’enfermer dans l’espace clos du culturel, son statut l’exclu de facto du réel et sa création est "artistique" donc apolitique.

Mais Mahmoud Darwich déroge à la règle, la force de ses vers a fini par fissurer le béton des maisons de la culture et ses poèmes ne cessent d’enflammer l’imaginaire des masses arabes du Machrek au Maghreb !

Oui messieurs les conseillers, vous avez mal servi Israël en choisissant ce poète car ses mots justes, ses mots de feu, ses mots de rêve portent mille fois plus loin que les fusées rudimentaires de Hamas !

Fethi GHARBI

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