RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Michel Boujut : Le jour où Gary Cooper est mort.

Le jour de la mort de Gary Cooper, Michel Boujut est entré en insoumission comme il est entré dans les films, en devenant un cinéphile authentique, juste avant que naisse sa vocation de critique de cinéma. Chez qui d’autre que lui ces deux états ont-ils pu à ce point s’interpénétrer, se modeler de concert ? Cinéma et dissidence furent, dès lors, à jamais inséparables pour lui. Il s’abreuva d’images « libératrices », alors qu’on sait bien qu’aujourd’hui les images auraient plutôt tendance à nous « cerner ».

C’est au XVIIe siècle que déserter a pris le sens d’abandonner l’armée sans permission. Boujut a « claqué la porte au nez de l’histoire. » Il explique pourquoi il y eut un avant et un après de la désertion qui ne se rejoindront plus jamais. Car déserter, c’était prendre le chemin d’un désert où l’on risquait toutes les nuances de la honte et du discrédit. A la caserne d’Angoulême, Boujut avait reçu un viatique qui lui avait hérissé le poil, un argumentaire expliquant pourquoi se battre : « Savez-vous que si la France quittait l’Algérie, un cinquième des usines françaises se verraient contraintes de fermer leurs portes. » L’apprenti cinéphile et l’insoumis en transit vont s’approprier les salles de cinéma « dans la vague illusion d’un droit d’asile ». Illusion d’optique en l’occurrence car ces salles ne portent pas toujours chance : Dillinger fut abattu à la sortie d’un cinéma. Tout comme Lee Harvey Oswald ou Olof Palme. Mais dans Les bourreaux meurent aussi de Fritz Lang, le docteur Svoboda échappait à la Gestapo en se cachant dans un cinéma de Prague.

http://www.legrandsoir.info/HHhH-par-Laurent-Binet.html

Boujut est originaire de Jarnac. Il est soutenu moralement par Philippe Mitterrand, le jeune frère de l’ancien implacable Garde des sceaux. Cela n’empêchera pas une condamnation à dix ans d’emprisonnement. Plusieurs décennies plus tard, il tentera de nouer un lien avec l’un des membres du tribunal militaire. Droit dans ses bottes, l’officier en retraite se montrera toujours aussi haineux.

La désertion de Michel Boujut vient du lointain d’une éducation anticolonialiste. Son père (prisonnier dans un stalag pendant quatre ans et demi) et son grand-père (fauché à 26 ans en 1914) furent des proches de Marceau Pivert et de Léon Blum. Dans la famille, on sait que « la guerre est réservée aux moins de trente ans, comme la silicose aux mineurs ». Dans le bestiaire politique de Michel : Guy Mollet et Robert Lacoste, deux anciens résistants, ardents syndicalistes qui vont cautionner la torture, deux socialistes qui mèneront la guerre de l’impérialisme.

La mission civilisatrice que la France a confiée au contingent est claire : casser du fellouze. « Si vous les ratez, eux les enturbannés ne vous rateront pas ! »

Boujut a été effaré par la lecture de la Question d’Henri Alleg. Heureusement, le Manifeste des 121 (rédigé par Dyonis Mascolo, Jean Schuster et Maurice Blanchot) a fortement retenti en lui : «  Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres. » Parmi les signataires, trois cinéastes qui vont compter pour lui : Alain Resnais, François Truffaut et Claude Sautet.

Sa vie commence le jour où il déserte, car c’est celle qu’il a choisie. Il entre en contact avec les membres du réseau Jeanson, avec Maspero. Une fois parvenu en Suisse, il recevra les encouragements d’André Breton (ils ont comme ami commun le poète Jean-Paul Samson, socialiste révolutionnaire, réfugié en Suisse depuis 1917).

En 1961, même Brigitte Bardot résiste. « Je suis persuadée [écrit-elle à L’Express - rien à voir avec l’organe de Barbier] que les tueurs de l’OAS [qui ont voulu la rançonner] seront rapidement mis hors d’état de nuire s’ils se heurtent partout à un refus net et public. Je ne marche pas parce que je n’ai pas envie de vivre dans un pays nazi ! »

Dans les salles obscures, Boujut ne supporte pas les beuglements des Actualités Gaumont : «  Dans la Mitidja qui retrouve le sourire, les hommes retournent aux champs, les femmes à leurs feux, et les enfants à l’école. La France et son armée sont en train de remporter la victoire des coeurs sur les égorgeurs de la nuit. » Et puis il découvre le Téchiné des Roseaux sauvages : «  un adolescent qui s’appelle François et ne vit que pour les films et les livres, avant que ne le rattrape le spectre de la guerre d’Algérie. » Sachez, cher Michel Boujut, que le personnage féminin fut inspiré par une désormais vaillante presque septuagénaire de ma famille qui, à l’époque, épousa … un CRS. Foutu fatum, comme vous dites. Il découvre aussi Lea Massari dans L’avventura, ou encore la folle liberté de Cassavetes, La Dolce Vita, Hiroshima mon amour. Serait-ce que les périodes de guerre sont propices à du grand cinéma ? Serait-ce que le cinéma, comme disait Trotski, «  étonne l’imagination et vous enlève l’envie d’aller à l’église ? »

Depuis Stuttgart (où il est hébergé par des jeunes socialistes du SPD), Boujut écrit à son colonel : « Quelle que soit leur bonne volonté, les militaires ne pourront jamais remplacer les seuls représentants authentiques de la France, instituteurs, assistantes sociales, ingénieurs, médecins. Simple deuxième classe, il m’aurait été pénible de devoir être considéré avec peur et mépris par des hommes qui n’auraient vu de moi que l’uniforme, symbole de l’oppression qu’ils subissent. »

En Algérie, la censure s’exerce particulièrement sur les westerns qui font la part trop belle aux Apaches. « Cochise-Ben Bella même combat ! »

La vie devant lui.

Paris : Rivages, 2011.

URL de cet article 12603
  

Même Auteur
Bernard Klein. Les expressions qui ont fait l’histoire. Paris, E.J.L. 2008
Bernard GENSANE
Ce qu’il y a d’intéressant avec les phrases historiques, c’est que, souvent, elles n’ont pas été prononcées par les personnes à qui on en a attribué la paternité. Prenez la soutière (je sais, le mot "soutier" n’a pas de féminin, mais ça ira quand même) du capitalisme américain qui siège au gouvernement français, Christine Lagarde. Elle a effectivement, lors de la flambée du prix des carburants, conseillé au bon peuple d’utiliser le vélo plutôt que la voiture. Mais la reine Marie-Antoinette, qui a tant fait (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Big Brother est déjà chez vous. Il est dans le logiciel que vous venez de télécharger depuis la boutique en ligne de Apple.

Julian Assange

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.