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Deux marches contre le racisme font boiter la lutte pour l’égalité

Au départ de la marche à Vénissieux Minguettes, sept marcheurs partent pour Paris : Arbi Rezgui et Amstar des Minguettes, Leila Bendib et Sarah Latoche de lyon centre, Souad Bouallaga de Toulon, Adnane Ghiloufi de Grenoble et Lakhdar Firam. Certains sont venus pour lancer et encourager la marche et doivent rentrer après la première étape de Villefranche S/S qui ne fait pas moins de 50 kilomètres. D'autres comme Souad, mère célibataire, restera à marcher jusqu'à Belleville S/S et devra rentrer inopinément chez elle pour raison de santé concernant son jeune enfant.

Nous les avons questionnés lors de leur hébergement à la Ruche des citoyens ce 17 Octobre au soir pour connaître leurs motivations à lancer cette longue et difficile marche. Bien qu’épuisés, sans préparation physique réelle, ils acceptent de partager leurs motivations qui les a conduits à entreprendre une marche symbolique partant des quartiers populaires à Paris, la capitale. Souad confie que ce qui l’a invitée à faire ce parcours, c’est la dénonciation de la précarité des mères célibataires, divorcées, comme elle, qui élèvent seules leurs enfants. L’absence de proposition de formation ou d’emploi autre que "femme de ménage" ou "auxiliaire de vie" restreint le champ d’ouverture quant à la possibilité de carrière graduelle qui permet la valorisation des compétences et salariale. Sarah, surnommée Tochka, dénonce un état de fait général des instances républicaines qui condamnent les habitants des quartiers populaires par un traitement différencié discriminant dans la continuité du colonialisme et "l’indigénation" des enfants d’immigrés. Elle dit se sentir responsable collectivement de cette injustice, veut la combattre et restaurer l’égalité. Adnane et Lakhdar sont, eux, venus soutenir les marcheurs volontairement jusqu’à Villefranche pour les encourager et s’accordent à mettre l’accent sur une gestion territoriale lamentable des citoyens français qui continue malgré la marche de 1983 à cloisonner, précariser et à augmenter les inégalités. Abdessatar, dit Amstar, lui, n’a pu répondre à nos questions. Épuisé, il s’est endormi en ayant peu mangé. Leila, elle, poursuit encore la marche. Elle avait participé à la marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983. De plus, en 1992, Leila avait entamé une grève de la faim pour protester contre les lois Pasqua, notamment celle qui concerne la double peine. Quant à Arbi, il remarche parce que d’une part, rien n’a changé voire empiré depuis 1983 et que le message de la première marche n’a pas été entendu mais pire, il a été instrumentalisé par l’officine SOS Racisme et les intérêts électoralistes du Parti Socialiste* en se prévalant d’un mythe d’une vocation égalitaire et antiraciste. D’autre part, comme nous l’avons constaté à l’écoute des slogans des (re) marcheurs, c’est l’insertion d’une nouvelle lutte, pas des moindres, puisqu’elle concerne celle que tous les français actuellement connaissent, celle du fléau de la précarité. Le nouvel intitulé de la marche devient "Marche citoyenne des quartiers populaires" certes, mais s’inscrit dans la lignée de celle de 1983 "la marche pour l’égalité et contre le racisme" en ajoutant une nouvelle lutte, celle contre la précarité.

Effectivement, Arbi ne parle pas de cette première marche sans la nostalgie de l’espoir qui avait animé tous ses camarades, rassemblés autour de celle-ci, 100 000 personnes à Paris et avait été médiatisée largement. Cet espoir est toujours présent en ces marcheurs de 2015, nécessité par le climat raciste que la France connait avec la montée des identitaires, du Front National, des discours de ce dernier repris avec un habillage marketing de "valeurs laïques" par les autres grandes formations afin de draguer l’électorat potentiel FN. Pour le noter, nous remarquerons une certaine sensibilité et émotivité dans les récits de chacun sur les constats amers d’une société française divisée et paupérisée par le contexte de la crise économique imputable à "une invisible caste capitaliste préservée" sur le terrain des luttes, de la solidarité, de l’humanité.

Les marcheurs ayant parcouru la France de Lyon à Paris en quinze étapes arrivent dans la capitale à 15 heures ce 31 Octobre 2125, à la Bastille rassemblant quelques soutiens mais pas de foule. Tochka aura pris le bus de Lyon pour les rejoindre, cependant elle choisira de le faire en marchant tout d’abord avec ceux qui défilent pour "la marche de la dignité et contre le racisme" lancée par la MAFED (Marche des Femmes pour la Dignité) comme d’autres anciens marcheurs d’ailleurs. La Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie sera symboliquement représentée par son porte-parole. Les trois marcheurs ne resteront pas jusqu’à l’arrivée des milliers de manifestants de la marche pour la dignité, leur décision a été prise de manière réfléchie et mesurée depuis le long périple enduré. "La marche citoyenne des quartiers populaires" ne doit pas être absorbée par "la marche de la dignité contre le racisme", voilà le sens de leur décision ultime qui achèvera cette longue marche dont la consistance n’est pas comparable. Elle a été un véritable chemin de croix sur lequel ont été portées par trois pèlerins citoyens fidèles issus de l’immigration maghrébine, les valeurs républicaines de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, qu’aucun autre citoyen non-racisé ou mieux encore qu’aucun politique qui brandit ostensiblement et hypocritement à tour de paroles médiatiques les valeurs de la République n’aura entrepris, ni soutenu ici.

La marche citoyenne des quartiers populaires est une marche qui doit prolonger celle de 1983 avec les mêmes acteurs qui auparavant, alors qu’ils avaient une vingtaine d’années marchaient pour eux-mêmes et aujourd’hui marchent pour leurs enfants et les générations à venir, un don de soi périlleux et risqué à l’âge de la cinquantaine dès lors qu’on ne soit entraîné physiquement. Cela parce que la situation de ceux qui persistent à être altérisés et ostracisés au sein de la République n’a pas changé mais a, au contraire, empiré à tous points de vue. L’échec scolaire, le chômage, la précarité touchent davantage les jeunes des quartiers populaires, défavorisés ressemblant à des "banlieustans" dont il y a lieu de rappeler qu’ils ne sont pas des territoires perdus de la République mais des territoires abandonnés et méprisés par la République pour dénoncer la manipulation des mots et maux dans la littérature et conforter le mythe falsificateur racialiste, séparatiste, islamophobe, propagandiste du prétendu choc des civilisations.

Pour autant, les longs marcheurs s’alignent sur les revendications légitimes des marcheurs de la dignité à partir des violences policières à l’égard des jeunes dont le faciès est indigènisable par celui qui a inscrit dans son répertoire mémoriel culturel une hiérarchisation des "races". Le rituel policier du contrôle arbitraire sur ces critères, ajouté à la gestion et création de ghettos, les lois liberticides contre le port du foulard confortent le constat d’un racisme d’Etat dénoncé ouvertement par tous les marcheurs. Ces politiques n’ont aucune pertinence égalitaire et républicaine mais vont au contraire favoriser le communautarisme, la paupérisation des quartiers populaires, l’ostracisation et le sentiment de rejet. Un des caractères de la politique de fond consiste à penser la gestion de la cité en amont, d’avoir une vision pour au minimum les cinquante années à venir. Alors le questionnement de savoir si cette gestion séparatiste non inclusive a été un mauvais calcul d’incompétences ou plutôt une volonté de renforcer les cloisonnement d’ordres sociaux et donc d’empêcher l’ascension sociale notable des citoyens des quartiers populaires devient logique. Parce que le problème se concentre ici dans notre monde contemporain libéral, les forces dominantes sont les pouvoirs financiers et non les forces citoyennes des quartiers populaires. Et ces pouvoirs financiers en connivence avec certains politiques trop souvent n’ont pas vocation à céder des places, encore moins aux citoyens de seconde zone et ne pas bouleverser des ordres sociaux déjà bien établis au service du capital.

Ainsi, il serait utile ici de rappeler que dénoncer n’est pas revendiquer, ni lutter pour arracher ses droits. Trente-deux années de dénonciations n’ont pas non plus évité le pire, des décès gratuits de jeunes de banlieues par les forces de l’ordre. Il s’agit aujourd’hui opportunément en cette crise, cette transition que connaissent le politique, l’économie, l’identité, l’écologie et l’histoire d’avancer ses pions stratégiquement sur l’échiquier de la représentation sociale en s’appropriant la culture démocratique du vote et de listes indépendantes des grandes formations, d’exiger la discrimination positive, le suffrage à la proportionnelle, l’abrogation des lois liberticides et surtout penser la mutation de notre système politique vers un libéralisme plutôt politique que “ libériste ”. Parce que des leviers, il y a pour décloisonner les ordres sociaux si on se saisit des mécanismes démocratiques. Cela au regard du nouveau paysage français et en général des sociétés modernes démocratiques dont leur modèle politique peine à intégrer et à représenter équitablement les pluralismes issus entre autres des migrations postcoloniales pour le souligner. Si l’on veut l’achèvement de la Révolution pour la liberté et l’égalité, alors la République ne devra être comprise que comme un tremplin de l’histoire qui se redéfinit en libéralisme républicain justifiant ainsi son possible universalisme qui inclut les pluralismes pour la paix sociale.

Les (re) marcheurs de 1983, Leila Bendib, Amstar et Arbi Rezgui méritent d’être "canonisés" par la République française pour leur double initiative, leur humilité, leur courage. Un goût d’inachevé persiste malgré tout ce 31 octobre à Bastille où deux marches dont les motivations sont quasi-identiques sur le fond, n’ont pas convergé et ne se sont pas faites écho comme un homme entier qui avance avec ses deux jambes. Ici, on pourra noter que ces dernières n’étaient pas égales mais désorganisées, arythmées, ce qui offre l’image d’un boiteux qui peine à avancer vers ce quoi il tend, la justice sociale. Pourtant, les féministes sur leur large tribune avaient scandé leur solidarité avec leurs frères, leur stigmatisation, leurs difficultés, qu’elles étaient là pour le dire à haute voix devant la France, à l’inverse des "ni putes, ni soumises" qui, elles, s’opposaient au prétendu machisme et diktat de leurs père et frères. Alors pourquoi ces grands frères précurseurs de la marche 1983 qui étaient là le même jour n’ont pas été mis à l’honneur ? Le racisme structurel a encore de beaux jours devant lui dans ces conditions mais ne l’oublions pas, le tournant paradigmatique de notre nouvelle ère autorise tous les changements, il s’agira de ne pas louper cette chance d’inscrire le pluralisme des identités dans le nouveau récit collectif.

*Histoire secrète de SOS Racisme de Serge Malik, 1990, Albin Michel

31/10/2015

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