RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

L’homme en marche, ou l’illusionniste

Socrate. - Alors, mon cher Glaucon, tu me sembles perdu dans tes pensées.

G. - Oui, je me sens parfois comme un prisonnier du doute...

S. - Si tu te sens comme tel, tu es déjà en voie de guérison, rappelle-toi...

G. - … l’étrange tableau et les étranges prisonniers dans la caverne (1), je m’en souviens.

S. - L’allégorie est là pour frapper les esprits.

G. - Je pense ne plus être ce prisonnier, ce jouet des apparences, mais...

S. - Ne serais-tu pas sur ce point présomptueux ?

G. - Je ne suis plus enchaîné, j’ai regagné la lumière, et grâce à toi, je vois les choses maintenant avec plus d’acuité.

S.- Tu ne vois plus les ombres qui défilent, mais tu vois les objets se mouvoir. Alors tu penses comprendre le Monde.

G. - Philosopher, c’est comprendre celui-ci.

S. - Il y a loin de la coupe aux lèvres.

G. - Disons, philosopher, c’est tenter de comprendre le Monde.

S. - C’est déjà mieux. Tu vois la course du soleil qui dispense ses rayons et réchauffe nos corps ?

G. - Bien sûr que je la vois, depuis... depuis...

S. - Et cette course te dit quoi ? Est-ce le soleil qui tourne ou bien la terre ?

G. - La terre bien sûr !

S. - Pourtant, c’est le soleil que tu vois ainsi parcourir le ciel, comme s’il était mû par les coursiers de Phébus.

G. - Je comprends...

S. - Dis-moi ce qui trouble ton âme.

G. - Il y a cette échéance électorale et je ne voudrais pas encore succomber aux illusions.

S. - Ce serait faire preuve de sagesse. Celle-ci n’attend pas le nombre des années. Mais elle demande un effort permanent.

G. - J’ai écouté les différents prétendants, et je serais bien tenté par la nouveauté.

S. - La jeunesse a besoin de trouver sa place, il lui faut...

G. - J’ai besoin de changement. Je serais tenté par ’’l’homme en marche !’’.

S. - Et tu ne veux pas être dupe ?

G. - Tout le monde semble avide de le voir, s’empresse autour de lui.

S. - Ne penses-tu pas qu’il faille s’intéresser aux choses elles-mêmes plutôt qu’au bruit qui les entoure ? (2)

G. - Certainement. J’ai bien écouté, et ce choix me semble être celui de la raison.

S. - As-tu bien questionné ta raison ?

G. - Un peu. Je crois mon candidat sincère car il parle de philosophie, d’un philosophe qui lui sert encore de guide.

S. - Interroge ton libre arbitre. Que retient-il de son maître à penser ?

G. - Beau... Beaucoup. C’est difficile... à dire... il lui a... permis de lire la philosophie (3).

S. - As-tu confronté les idées et les actes de ton candidat ?

G. - Il a parlé de la valeur travail et c’est un bosseur. Il dit que c’est le meilleur moyen pour sortir de la prédestination sociale (4).

S. - Quel est le secret de sa naissance, de son parcours dans l’existence ?

G. - Il reconnaît avoir eu la chance de naître dans une famille aisée (4).

S. - Il ne s’est donc donné que la peine de naître (5). Il n’est pas le meilleur exemple pour illustrer son propos. Rappelle-toi, il a même écrit que, comme il croyait à cette valeur, il s’était inscrit en khâgne (4). N’oublie pas, il a même traité certains d’illettrés. Ainsi exprime-t-il et son immodestie et son mépris. Tu devrais, alors, comprendre qu’il n’est que le chérubin de l’élite.

G. - Certes. Mais il est nouveau.

S. - Il est nouveau par rapport à d’autres. Mais ses idées le sont-elles ?

G. - Il parle de réformes, de révolution...

S. - Les mots te suffisent. Les mots ne sont que des ombres mouvantes. Cesse de te prendre à celles-ci. Quel est son idéal ? S’exprime-t-il sur la liberté, l’égalité, la fraternité, l’humanité, ...

G. - L’autre jour, il a beaucoup parlé de coût, de charges sociales...

S. - Et alors ?

G. - C’est vrai qu’elles sont lourdes...

S. - Sais-tu au moins de quoi tu parles ? Ce que tu appelles charges sociales ne sont que des salaires différés : quand tu es malade, ou quand sonne, pour toi, l’heure de la retraite. Apprends déjà à utiliser les bons mots, et arrête de psalmodier les mots des autres. Les mots qu’il utilise révèlent ses affinités avec ceux restés dans l’ombre.

G. - D’accord. Mais, il me ressemble, il est jeune, il a le regard vif.

S. - Son regard t’a-t-il permis de scruter son âme ? Il me semble pour l’avoir vu qu’il a le regard plutôt fuyant. Ne serait-il pas, comme les autres, d’abord ambitieux ?

G. - Il le faut pour être un prétendant.

S. - As-tu remarqué que son mouvement a les mêmes initiales que lui ? Il signe ainsi son unique ambition. Crois-tu que cette fusion le dispense d’avoir un projet ? Qu’en est-il de son programme ?

G. - Il est en cours d’écriture.

S. - Ne crois-tu pas que la réflexion doit précéder l’action ? Dans quelle direction, dans quel sens veut-il aller ?

G. - Dans le sens de la marche, c’est évident. La cité est tellement sclérosée.

S. - Mon bon Glaucon, tout paraît évident avec toi.

G. - Il me semble être le meilleur pour le poste, son cursus parle pour lui.

S. - Tu serais donc pour le gouvernement des meilleurs, pour l’aristocratie. Quels sont ses soutiens ?

G. - Il y a le premier magistrat de Lugdunum...

S. - Comme preuve de nouveauté, on pourrait trouver mieux, n’est-ce pas ?

G.- Assurément.

S. - As-tu observé ton prétendant ?

G. - Il est fort dynamique.

S. - Fais abstraction des paroles, d’une communication bien préparée, et tu verras ce dynamisme fort différemment. Pris par l’élan, les gestes ne peuvent que trahir le secret de son for intérieur.

G. - Sans contredit.

S. - Analyse son verbe, scrute ses mains, ses gestes, capte son regard. Interroge son passé, ses fréquentations. Alors, tu verras qu’il n’est pas celui que l’on nous donne à voir.

G. - Cela semble salutaire.

S. - Parle-t-il de noûs ? ( Noûs, en philosophie grecque = intellect, raison, esprit)

G. - J’ai surtout retenu : « Ce que je veux.... c’est que vous.... partout...vous alliez le faire gagner... parce que c’est notre projet ».

S. - Tu ne me sembles pas avoir vu son attitude quasi mystique qui succéda à cette exhortation... Il voulait dire : « Entrez en espérance. Suivez-moi ! »... Mon pauvre Glaucon, tu succombes toujours aussi facilement aux apparences, ton esprit me semble bien mal entraîné dans un mouvement rétrograde... Te rappelles-tu le mime Marceau ?

G. - Je suis jeune, mais il m’en souvient.

S. - Figure toi celui-ci effectuer sa « marche contre le vent ».

G. - Je vois l’image.

S. - C’est l’illusion du mouvement...

G. - … dans l’immobilité.

S. - Et si notre homme effectue des pas glissés vers l’arrière...

G. - Je comprends l’illusion ainsi créée.

S. - Ton ’’homme en marche !’’ ne serait-il pas cet illusionniste ?

G. - Ses idées sont donc celles du passé.

« Personne »

Notes :

1 – Allégorie de la caverne, Platon, Livre VII de La République, dialogue entre Socrate et Glaucon.

2 – « Ayez surtout le souci de séparer les choses du bruit qu’elles font », Sénèque.

3 – Écouter https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/emmanuel-macron-mes-propositions-pour-la-culture vers 2’40’’, première vidéo.

4 – Lire https://en-marche.fr/emmanuel-macron/

5 – « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus », Beaumarchais dans Figaro (V,3).

URL de cet article 31547
  

Pierre Lemaitre. Cadres noirs.
Bernard GENSANE
Contrairement à Zola qui s’imposait des efforts cognitifs démentiels dans la préparation de ses romans, Pierre Lemaitre n’est pas un adepte compulsif de la consultation d’internet. Si ses oeuvres nous donnent un rendu de la société aussi saisissant c’est que, chez lui, le vraisemblable est plus puissant que le vrai. Comme aurait dit Flaubert, il ne s’écrit pas, pas plus qu’il n’écrit la société. Mais si on ne voit pas, à proprement parler, la société, on la sent partout. A l’heure ou de nombreux sondages (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« A toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut. Les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes, ce sont ces conditions conçues comme idées, donc l’expression des rapports sociaux qui font justement d’une seule classe la classe dominante, donc les idées de sa suprématie. »

Karl Marx

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.