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Miracle sur les ronds-points : les Gilets Jaunes réinventent l’esprit de Noël et le Contrat Social.

La période de Noël est bien souvent une corvée qu’on aborde dans la mauvaise humeur : il faut sacrifier à une obligation de consommation et, pendant un mois, on ne croise plus que des foules moroses, obnubilées par les cadeaux et victuailles à accumuler. Une fois rassasiés, on passe à un rituel tout aussi obligatoire et stressant : les soldes ; et les commerçants d’exiger de nous un esprit de consommation joyeuse. Les dindes et chapons ne sont pas que dans les assiettes : c’est nous qu’on gave.

En marge de l’hyper-consommation des centres-villes, les GJ, eux, ont inventé de nouveaux rites, qui renouent avec l’esprit du premier christianisme : à la fièvre d’achats s’oppose l’esprit du don (les cadeaux déposés sur les ronds-points par des automobilistes solidaires), à la consommation individualiste, le partage : on retrouve le vrai sens du mot "agapes", qui signifiait, non pas "festin", mais "amour", "don de soi" (à actualiser en "fraternité" et "solidarité"). De même, cette année, la naissance du Christ dans une étable la ("crèche") n’a pas été célébrée seulement dans des appartements bien chauffés et des églises où les cathos se réunissent, ou plutôt s’isolent dans l’entre-soi, pour affirmer leur statut social ; elle l’a été aussi en plein air, avec la participation de quelques prêtres qui ont voulu être présents là où des fidèles avaient besoin de réconfort, comme à l’époque de l’Eglise du Désert, lors des persécutions de Louis XIV contre les paysans protestants des Cévennes.

Mais, en se rattachant à cette foi plus authentique, les GJ ont aussi réinventé les idées politiques de Rousseau. Dans son article "Pourquoi Rousseau était un Gilet jaune", Bruno Guigue a montré que ce mouvement rejoint le refus par Rousseau de la représentation (la volonté générale ne se représente pas, ne se délègue pas). Mais la théorie du Contrat Social doit prendre corps, les principes doivent être vivifiés par un esprit de fraternité républicaine : c’est le rôle de la Fête, que Rousseau définit dans sa Lettre à d’Alembert sur les Spectacles de 1758. Si jamais on aborde cette œuvre au cours des études littéraires au lycée, c’est dans une version tronquée qui est une véritable émasculation du texte : on fait comme si l’essentiel était dans la critique que fait Rousseau du théâtre de Molière – ce qui ne donne guère envie d’approfondir.

Or, la Lettre à d’Alembert est une oeuvre politique de première importance. Elle se présente au premier abord comme une réponse à d’Alembert qui, dans l’article Genève de l’Encyclopédie, regrette que cette ville n’ait pas de théâtre ; ce n’était pas là une lubie personnelle : l’article s’intégrait dans le projet de la classe dirigeante de Genève (les banquiers, pour simplifier, comme était banquier le "philosophe" de la bande à Voltaire Helvétius) d’établir un théâtre à Genève (elle y parviendra, quelque 20 ans après).

Où est le problème, dira-t-on ? Aucun problème, affirme d’Alembert, cela ne ferait qu’ajouter à cette belle ville un attrait de plus. Cette façon de nier les problèmes, les oppositions, est caractéristique de la méthode des "philosophes" (en fait idéologues, propagandistes) des Lumières : tout et n’importe quoi peut s’ajouter, on se moque de la logique des idées, il n’y a que la quantité qui compte, on est dans la logique productiviste du capitalisme (la production d’armes s’ajoute à la fabrication de tee-shirts marqués du symbole de la paix et du slogan "love not war" : les deux produits rapportent des bénéfices) ; c’est le fameux "en même temps" macronien (qui paralyse la société comme l’intelligence).

Rousseau, lui, raisonne, analyse les concepts, et démontre de façon rigoureuse qu’on ne peut pas avoir la République calviniste de Genève et, en plus, en même temps, le théâtre : les deux choses ne s’ajoutent pas, elles sont incompatibles, et l’introduction du théâtre, du goût du paraître, du luxe, des amusements frivoles, pervertirait les principes mêmes de la République de Genève et ses citoyens qui, au lieu de discuter gravement des problèmes de la cité, se mettraient à parler modes et chiffons.

C’est ici qu’intervient l’opposition centrale entre le spectacle théâtral et la fête, qui semble anticiper sur La Société du Spectacle de Guy Debord. Le théâtre est un spectacle qui divise et qui aliène. Dans un théâtre, les spectateurs sont à la fois rassemblés et isolés, chacun n’étant relié qu’à l’action fictive qui se déroule sur scène ; celle-ci est étrangère à leurs préoccupations, leurs intérêts réels, et les spectateurs se laissent représenter par des acteurs et personnages qui les éloignent de leur vraie vie (c’est l’illusion théâtrale et son processus d’identification). Le théâtre sépare donc la scène et la salle, les acteurs, ceux qui sont actifs, et les spectateurs, passifs ; il sépare les spectateurs entre eux, et sépare chaque individu de lui-même. Cette aliénation générale est matérialisée par l’édifice même où les spectateurs s’enferment, coupés du monde réel, la bien nommée "boîte" à l’italienne.

Le théâtre est donc par nature anti-républicain : les citoyens doivent-ils donc se priver de tout spectacle (on pourrait aujourd’hui demander : les citoyens doivent-ils éteindre leurs postes de télévision et de radio ?

Non, car il y a un type de spectacle qui convient à des citoyens : c’est la fête collective, qui s’oppose en tout au théâtre : elle a lieu en plein air (sur les ronds-points, par exemple), elle n’oppose pas acteurs et spectateurs, car tout le monde est actif, elle ne substitue pas au réel une action fictive, puisque ses participants se réunissent autour, au nom de leurs valeurs communes : la République, l’intérêt général, la justice, la fraternité.

Cette conception de la fête civique a marqué les Révolutionnaires, en particulier Robespierre, qui a voulu en faire un élément et un temps fort de son gouvernement ; il oubliait une chose : c’est que ces fêtes ne sont pas organisées d’en haut, elles sont la cristallisation spontanée d’un sentiment général fraternel et patriotique.

Le mouvement des GJ réveille donc un ensemble de sentiments et de notions que le néo-libéralisme semblait avoir éteints. Il a même réveillé cette Belle au Bois Dormant qu’était devenue, selon Emmanuel Todd, la société française. Il a aussi bouleversé notre spatialité : cette France périphérique "découverte" par Christophe Guilluy non seulement s’est rendue visible, mais elle s’est imposée comme centrale ; les ronds-points, ces non-lieux hors des villes (mais "non-lieu" est la traduction du grec "u-topia"), sont devenus les centres de la vie citoyenne, et c’est Paris, ce monstre qui se vautre sur ses richesses, qui est devenu périphérique : l’Elysée est le nouveau Versailles, depuis lequel un roitelet cynique et brutal éructe contre ces "foules haineuses" qui réinventent la démocratie (et pendant qu’un Benalla, nanti d’une panoplie de passeports diplomatiques, prétend représenter la France, on embastille Eric Drouet !).

Rosa Llorens

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