Pendant la pandémie, les affaires continuent : sur le site Mémoire des luttes, j’apprends aujourd’hui, par la plume de Maurice Lemoine, que, le 26 mars dernier, le gouvernement Trump vient de mettre à prix la tête de Nicolas Maduro, président du Venezuela, pour une valeur de 15 millions de dollars.
Remarque 1. Ainsi, en pleine crise de pandémie mondiale, alors que les États-Unis sont le pays le plus touché du monde, alors que le nombre de leurs morts de cette maladie a presque rejoint celui de l’Espagne (deuxième pays le plus affecté au monde), le gouvernement américain n’a rien trouvé de plus utile à faire que de traiter comme un repris de justice le chef légitimement élu d’un État représenté à l’ONU et reconnu par la majorité des pays de la planète ! [Qui, eux-mêmes, représentent la majorité de la population mondiale].
Remarque 2. Il faut bien se représenter le caractère scandaleux, inouï, exorbitant du droit que constitue une décision aussi inique : au nom de décisions prises sur son territoire, selon des critères qu’il est le seul à formuler, le gouvernement Trump vient d’inculper le président Maduro (et plusieurs membres du gouvernement vénézuélien), pour trafic de drogue...
Remarque 3. Cette ingérence, au demeurant, n’est pas nouvelle : on se souvient - entre autres exemples - du coup d’État des colonels grecs en 1967, de l’assassinat de Ngo Dinh Diem et de son frère Ngo Dinh Nhu à Saïgon en 1963 (couvert par la CIA), des multiples tentatives d’assassinat de Fidel Castro, de l’invasion de la Grenade en 1983, du renversement de Manuel Noriega (au demeurant ancien agent de la CIA) en 1989-90, de la déstabilisation du gouvernement Allende en 1970-1973, du renversement de Saddam Hussein en 2003 (sous des prétextes plus que controuvés). Bref, il serait plus court de dresser la liste des pays qui n’ont pas été agressés ou déstabilisés par les États-Unis depuis les années 1840...
Remarque 4. A l’illégalité, à l’illégitimité de leur démarche, les Américains rajoutent la vulgarité : ils rabaissent Nicolas Maduro au rang d’un hors la loi du Far West, d’un Al Capone, d’un John Dillinger.
Remarque 5. Cette vulgarité, cette grossièreté, cette absence de surmoi, Julien Gracq les a parfaitement décrits à propos des personnages qui, dans les pièces de Shakespeare, détiennent le pouvoir : “ On ne voit jamais non plus dans Shakespeare la métamorphose, le mûrissement que crée l’exercice d’un grand pouvoir : jamais Titus n’y renonce à Bérénice, nulle part on n’y voit la clémence d’Auguste, ou le roi de France oubliant les injures du duc d’Orléans. Un fauve couronné reste un fauve, plus* le pouvoir de tuer et de contraindre immensément : rien qu’un porteur d’estomac, de bourse et de braguette, brusquement pourvu de la foudre, tout de suite naïvement, paisiblement monstrueux. ” [Julien Gracq, Œuvres complètes, édition de La Pléiade, Lettrines 2, tome 2, page 301]. * L’italique est de Gracq.
– Ne croirait-on pas lire (à l’exception du “ naïvement ” – et encore...) un portrait de Donald Trump ?
Philippe ARNAUD