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Ce que ne voient pas les Américains

Où la population de Gaza trouve-t-elle encore la force ?

photo : http://electronicintifada.net/v2/article4933.shtml

On me demande depuis mon retour de Gaza : comment font les gens là -bas ? Comment peuvent-ils avoir encore la force après les traumatismes subis à la suite des bombardements et de cet état de siège total ?

Moi-même, je me le demande.

Je sais que, quand il y a des morts, que ce soit du côté de Gaza ou de celui d’Israël, les familles sont tout aussi affligées. Et des deux côtés de la frontière, je pense que les enfants tirent les adultes de ces cauchemars horribles. Les adultes dissimulent leur terreur, pleurent en cachette, et s’efforcent de retrouver un semblant de vie normale, dans leur volonté d’aider leurs enfants à se sortir de ces épreuves.

Et les enfants veulent aider leurs parents. A Rafah, le 18 janvier au matin, quand il semblait qu’il y aurait au moins une pause dans les bombardements, j’ai vu les enfants empiler des morceaux de bois sur des bâches en plastique puis traîner ces piles jusqu’à leur maison. Ces petits enfants semblaient fiers d’aider leurs parents à se remettre après les bombardements. J’avais vu ce regain d’enthousiasme chez les petits Irakiens, qui, après les bombardements de 2003 dans l’opération "Choc et effroi", allaient récupérer des briques qui serviraient à leurs parents à construire un abri de fortune dans une base militaire bombardée.

Les enfants qui survivent aux bombardements veulent tout de suite reconstruire. Ils ne réalisent pas que leurs vies sont encore en danger, que les adultes sont prêts à les bombarder à nouveau.

A Rafah, ce matin-là , il y avait à côté de moi un homme d’un certain âge qui regardait les enfants à l’oeuvre.

"Vous voyez", me dit-il en regardant un drone de surveillance israélien passer au-dessus de nous, "si je ramasse du bois, s’ils me voient transporter simplement un morceau de bois, ils pourraient le prendre pour une arme, et ils me tireraient probablement dessus. Alors, ce sont les enfants qui ramassent le bois".

Alors que le drone ultramoderne recueillait des renseignements servant à déterminer les futures cibles pour d’autres bombardements, de tout jeunes enfants ramassaient du bois. Leurs parents dont les maisons avaient été en partie détruites, avaient besoin de bois pour se chauffer le soir et pour faire la cuisine. A cause du blocus imposé par Israël, il n’y avait pas de gaz.

Le poste frontière à Rafah étant à nouveau fermé, ceux qui veulent trouver des produits alimentaires, du carburant, de l’eau, des matériaux de construction et d’autres marchandises utiles au quotidien devront dépendre, de plus en plus, de l’activité de ces tunnels partiellement détruits pour faire rentrer ces produits depuis l’autre côté de la frontière, en Egypte. Le gouvernement israélien affirme que le Hamas pourrait utiliser les tunnels pour faire entrer des armes, et que ces armes pourraient tuer des civils innocents, et donc que les militaires israéliens n’ont pas d’autre alternative que de bombarder les zones d’habitations le long de la frontière, comme ils l’ont fait.

Supposez qu’il faille que les fabricants d’armes US utilisent un tunnel pour acheminer les armes destinées à Israël.

Les Etats-Unis seraient obligés de construire un tunnel sacrément grand pour contenir l’arsenal que Boeing, Raytheon, Lockheed Martin et Caterpillar fournissent à Israël. La taille d’un tel tunnel l’imposerait comme Huitième Merveille du monde, un tunnel genre Grand Canyon, une prouesse technologique inégalée à ce jour.

Pensez à tout ce qui devrait être acheminé par là .

Imaginez les cargaisons de Boeing pour Israël circulant dans un énorme tunnel assez grand pour laisser passer l’envergure des avions, suffisamment solide pour permettre le passage de camions chargés de missiles.

D’après le "Corporate Watch" 2009 d’Indymedia du Royaume Uni, Boeing a envoyé à Israël dix-huit hélicoptères de combat Apache Longbow, soixante-trois avions de combat F15 Eagle, cent deux avions de combat F16 Eagle, quarante-deux hélicoptères de combat Apache, des chasseurs F-16 Peace Marble II & III, quatre Boeing 777, et des intercepteurs d’antimissiles Arrow II (…).

En septembre de l’année dernière, le gouvernement américain a autorisé la vente à Israël de mille bombes à faible diamètre GBU-39, pour une somme estimée à 77 millions de dollars.
Maintenant qu’Israël a largué tant de ces bombes sur Gaza, les actionnaires de Boeing peuvent espérer davantage de ventes et davantage de bénéfices si Israël leur rachète d’autres bombes. Peut-être y a-t-il d’autres massacres en perspective. Il serait important d’entretenir soigneusement ce tunnel.

Raytheon, un des premiers fabricants d’armes aux Etats-Unis, qui réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 20 milliards de dollars, est un des principaux fournisseurs d’armes d’Israël. En septembre l’année dernière, la "Defense Security Cooperation Agency" (qui dépend du ministère de la Défense des Etats-Unis, NDT) approuvait la vente d’équipements de Raytheon pour moderniser le système de missiles Patriot d’Israël pour un total de 164 millions de dollars. Raytheon utiliserait lui aussi le tunnel pour convoyer ses "bunker busters", ainsi que ses missiles Tomahawk et Patriot.

Lockheed Martin est le leader mondial des sous-traitants de la défense en termes de revenus, avec un chiffre d’affaires estimé en 2008 à 42,7 milliards de dollars. Parmi la production de Lockheed Martin, il y a les missiles Hellfire, qui auraient été utilisés dans les récents bombardements de Gaza. Israël possède également des F16-350, dont certains ont été achetés à Lockheed Martin.

Imaginez-les défilant dans le plus grand tunnel du monde.

tableau "Gaza", Albert Szamosfalvi, http://albertszamosfalvi.com

Peut-être Caterpillar Inc. pourrait-il contribuer à la construction du tunnel. Caterpillar Inc., le premier fabricant mondial de matériel de construction (et de destruction) avec un actif de plus de 30 milliards de dollars, détient l’exclusivité des ventes en Israël pour le bulldozer D9, spécialement conçu pour être utilisé pour les invasions de zones habitées. Le gouvernement des Etats-Unis achète des bulldozers Caterpillar et les envoie à l’armée israélienne dans le cadre de son aide militaire annuelle à l’étranger. Ces ventes sont soumises à la loi sur le contrôle des exportations des armes (US Arms Export Control Act) qui limite l’utilisation de l’aide militaire à la "sécurité intérieure" et à l’autodéfense légitime" et interdit son usage contre les populations civiles.

L’armée israélienne utilise ces bulldozers pour démolir des maisons où vivent des familles pour faire de la place pour les colonisations. Et bien trop souvent, ils les détruisent avec les familles à l’intérieur.

Rachel Corrie, la militante américaine pour la paix est morte écrasée par un de ces engins alors qu’elle s’était interposée entre le bulldozer et la maison d’un médecin palestinien.

En réalité, il n’y a pas de tunnel pour acheminer jusqu’en Israël les armes fabriquées aux Etats-Unis. Mais les expéditions d’armes et la complicité des Etats-Unis avec les crimes de guerre d’Israël sont totalement invisibles pour beaucoup d’Américains.

Les Etats-Unis sont les principaux fournisseurs de l’arsenal d’Israël. Depuis plus de 30 ans, Israël est le premier bénéficiaire de l’aide américaine à l’étranger et depuis 1985, Israël reçoit environ 3 milliards de dollars de subventions, chaque année, et une aide économique de la part des Etats-Unis ("U.S. and Israel Up in Arms," Frida Berrigan, Foreign Policy in Focus http://www.fpif.org/fpiftxt/5791 , January 17, 2009).

Il y a tant de gens en Amérique qui ne voient même pas cette affluence d’armes, et ce que cela signifie pour nous, pour les enfants de Gaza et d’Israël, pour les enfants du monde entier.

Et, donc, les gens à Gaza sont en droit de nous demander : "Comment faites-vous ? Où trouvez-vous la force ? Comment pouvez-vous vous installer confortablement pour regarder ce qui se passe alors que ce sont vos impôts qui servent à nous massacrer ? Si c’est mal d’envoyer à Gaza des fusils, des balles et des roquettes artisanales, des armes qui pourraient tuer des Israéliens innocents, alors, n’est-ce pas également mal d’envoyer aux Israéliens l’énorme arsenal qui a été utilisé contre nous, tuant, au cours de ces six dernières semaines, plus de 400 de nos enfants, en mutilant et en blessant des milliers d’autres ?

Mais là , alors que j’étais juste au-dessus des tunnels à Rafah, ce matin là , par un beau temps ensoleillé, avec en bruit de fond le bourdonnement constant des espions mécaniques prêts à faire déclencher de nouveaux bombardements aériens, personne ne m’a posé, à moi, une Américaine, ces questions désagréables. L’homme à mes côtés m’a désigné un abri de fortune où lui et d’autres avaient fait du feu dans une poubelle.
Ils voulaient que j’y entre pour me réchauffer et prendre une tasse de thé.

Kathy Kelly

Coordinatrice de "Voices for Creative Nonviolence", écrit depuis Arish, une ville près de la frontière de Rafah entre l’Egypte et Gaza. Bill Quigley, avocat défenseur des droits de l’homme et professeur de droit à l’université de Loyola New Orleans et Audrey Stewart sont également en Egypte et ont contribué à cet article. En savoir plus sur Kathy Kelly :
http://www.reforme.net/archive2/article.php?num=3098&ref=140

Traduction : emcee http://blog.emceebeulogue.fr/ pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info

ARTICLE ORIGINAL
http://www.counterpunch.org/kelly02102009.html

URL de cet article 8050
  

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