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Avec Jeremy Corbyn, un Parti travailliste au confluent des mouvements sociaux ?

L’élection, le 12 septembre dernier, de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste britannique a secoué toute la social-démocratie européenne, tant pour la façon de faire de la politique que dans la définition de son contenu.

En préalable, pour disposer d’une vision globale du paysage politique d’outre-Manche, il faut rappeler une caractéristique du système électoral en vigueur : le scrutin uninominal majoritaire à un tour – est élu député le candidat qui a obtenu le plus de voix, même si elles ne représentent pas la majorité absolue – entraîne généralement une forte distorsion entre le score d’un parti et le nombre de sièges dont il disposera.

Ce mode de scrutin favorise outrancièrement les deux partis dominants et désavantage les autres qui, malgré une moyenne nationale importante, sortent rarement vainqueurs dans une circonscription donnée. Ainsi, lors des élections législatives de mai 2015, le Parti conservateur a obtenu 331 sièges (sur les 650 de la Chambre des Communes) avec 36,9 % des voix, alors que le Parti travailliste n’en obtenait que 232 avec 30,4 % des suffrages. Soit une différence de 99 sièges pour un écart de 6,5 % ! En fait, les Tories n’ont progressé que de 0,8 % par rapport aux élections précédentes en 2010. En termes de nombre de suffrages, on est très loin du « raz-de-marée » évoqué par certains commentateurs !

De son côté, le parti europhobe Ukip s’est seulement adjugé un siège à Westminster alors qu’il avait mobilisé 13 % des électeurs au niveau national. Le cas de l’Ecosse est encore différent car les deux partis dominants n’y sont pas les Conservateurs et les Travaillistes, mais le Parti national écossais (SNP) et les Travaillistes. Le SNP, présentait seulement des candidats dans cette composante du Royaume-Uni dont il réclame l’indépendance, et a enlevé 56 des 59 sièges à pourvoir dans ce qui était historiquement un bastion du Labour.

Les études montrent que la défaite du Labour aux élections de mai dernier est essentiellement imputable à une forte abstention de ses électeurs traditionnels, ceux des catégories populaires, qui ne se reconnaissaient plus dans une formation dont la ligne visait davantage à accompagner les mesures d’austérité du gouvernement Cameron qu’à les combattre frontalement.

Le contraste est frappant avec l’enthousiasme des membres et sympathisants du Parti travailliste – dont un très grand nombre de jeunes – qui ont assuré la victoire écrasante (59,5 % des suffrages) de Jeremy Corbyn dans l’élection interne pour la désignation de leur dirigeant appelé à devenir le chef de l’opposition. Cette victoire est d’autant plus remarquable qu’elle s’est faite sur une ligne en rupture totale avec les politiques néolibérales et atlantistes impulsées par Tony Blair à son arrivée au pouvoir en 1997 et poursuivies par son successeur à Downing Street, Gordon Brown, de 2007 à 2010, puis (certes avec plus de modération), par Ed Miliband dans l’opposition.

Quand Corbyn manisfestait devant la Maison de l’Afrique du Sud à Trafalgar Square

L’originalité de la démarche de Corbyn est qu’elle vise à transformer le Labour de l’intérieur, à en refaire un parti authentiquement de gauche, fidèle à ses traditions militantes historiques. Ce faisant, il ne laissera pas vacant l’espace qui, en Espagne et en Grèce, a été occupé par des forces extérieures à la social-démocratie – respectivement Podemos et Syriza – au détriment du PSOE et du Pasok discrédités par leur conversion au néolibéralisme.

Cette entreprise va se heurter à d’énormes difficultés car, funeste héritage du blairisme, les barons du parti et 90 % des députés travaillistes sont foncièrement hostiles à ce virage à gauche, certains d’en eux, en premier lieu le nouveau milliardaire qu’est devenu Tony Blair, étant idéologiquement plus proches des 1 % de privilégiés que des 99 % auxquels le nouveau leader veut justement donner la parole. Il est significatif que, dans son premier face à face avec David Cameron aux Communes, le 16 septembre dernier, Jeremy Corbyn ait posé au premier ministre six questions – maximum prévu par le règlement de Westminster pour le chef de l’opposition – qui étaient revenues le plus souvent chez les quelque 40 000 électeurs qui lui avaient envoyé un courriel à cette fin.

Un conflit de légitimité risque fort de se déclencher entre la nouvelle direction du Labour et son groupe parlementaire à Westminster. S’il est isolé au sein de l’Establishment travailliste, Jeremy Corbyn ne l’est pas du tout dans les bases du parti, ce qui fait sa force. Tirant les leçons de l’étonnante mobilisation qui a assuré son succès, il a écrit dès le lendemain du scrutin dans le journal dominical The Observer que « l’ampleur du vote de samedi est un mandat sans équivoque pour le changement émis par le soulèvement démocratique qui est déjà devenu un mouvement social ». En fait, un mouvement social agglomérant et fédérant les nombreuses luttes en cours au Royaume-Uni – en matière de logement, d’accès aux soins (notamment psychiatriques), de baisse d’impôts pour les foyers pauvres, de frais d’inscription dans les universités, etc. – dont les médias parlent peu sauf pour les discréditer.

Un parti qui se veut aussi un mouvement social – catégories d’ordinaire bien distinctes, particulièrement en France – voilà une configuration inédite dans la social-démocratie européenne, comme d’ailleurs chez les formations de la gauche radicale. Elle rappelle la dynamique des révolutions citoyennes d’Amérique du Sud que Jeremy Corbyn connaît bien. Nul doute qu’elle sera suivie de près non seulement par tous les déçus de la politique institutionnelle, mais aussi – question de survie – par les dirigeants d’une social-démocratie européenne en perdition.

Article publié sur le site de Mémoire des Luttes

 http://www.medelu.org/Avec-Jeremy-Corbyn-un-Parti
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COMMENTAIRES  

03/10/2015 21:08 par Feufollet

Toujours à la recherche d’un salut possible
Voilà que nous tombe du ciel J. Corbyn
Alléluia, de nouveau j’y crois
Je retrouve une foi en l’homme en qui je désespère
Encore un espoir dans l’horizon stérile du politique
Voilà, Jérémy, t’es mon nouvel espoir

09/10/2015 17:05 par Michel Rolland

S’il est isolé au sein de l’Establishment travailliste, Jeremy Corbyn ne l’est pas du tout dans les bases du parti

Il ne suffit pas de se définir comme faisant partie de la gauche radicale. Tsipras, le vendu grec, en est un bel exemple. Les membres doivent reprendre le contrôle de leur parti en bloquant lors des conventions pour le choix d’un candidat tous les néolibéraux qui ont été élus sous la bannière travailliste. S’ils ne réussissent pas, ils doivent présenter un candidat travailliste radical contre lui pour s’en débarrasser en lui faisant perdre le comté. Ils doivent dans les autres comtés n’élire que des candidats de la gauche radicale. Là encore, s’ils ne peuvent y parvenir, ils doivent faire opposition au candidat travailliste néolibéral, lors des élections. Si rien ne fonctionne, ils doivent former leur propre parti.

Il est terminé le temps de la convergence. À quoi sert de se faire élire, si c’est pour ne rien changer. Si un parti est accaparé par les néolibéraux, fut-il communiste, il faut tenter de le récupérer sans concession ou former un nouveau parti. Le défi est de taille. La démocratie n’existe plus. Par le contrôle de la pensée avec entre autres, la dictature médiatique, les néolibéraux mettent qui ils veulent au pouvoir et à l’opposition.

Bonne chance à Jeremy Corbyn et aux militants travaillistes !

Michel

12/10/2015 07:08 par alain harrison

Bonjour.

Oui, tout un défi à relever pour M. Corbyn.

« « Cette entreprise va se heurter à d’énormes difficultés car, funeste héritage du blairisme, les barons du parti et 90 % des députés travaillistes sont foncièrement hostiles à ce virage à gauche » »

Pour la gauche française, c’est de transformer l’UE de l’intérieure. Puisque 100% des partis au pouvoir dans les pays formant l’EU sont d’accord avec l’eurogroupe !!!
Et les Syriza, Podemos... diluent leur politique au point que le statu quo devient leur politique.

C’est le cul de sac, et à moins d’être une paticule sub-atomique, pas question de saut quantique.

Alors comment résoudre la quadrature du cercle ?

En sommes nous là, les lois de la nature économique ne peuvent être contredites ou transgressées.
Mais est-ce bien une loi de nature objective ?

Après tout la dérèglementation a été le fait d’un acte politique basée sur une idéologie, rien à voir avec une quelconque loi naturelle dite économique, mais par un rapport de force de la part d’un parti sur d’autres dans le cadre du parlementarisme.
Donc d’une élection et des habituelles promesses : un ptit peu ici et là, etc bla bla bla.

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